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LES PYRÉNÉES ET L’ALLEMAGNE
Bulletin pyrénéen n° 126, novembre-décembre 1914
LES PYRÉNÉES ET L’ALLEMAGNE
La paix régnait alors, en Europe. Nous avions remarqué, dans la DEUTSHE ALPENZEITUNG (1) , un article susceptible d’intéresser les amis des Pyrénées, et l’auteur, M. Franz Ramsauer, professeur au Gymnase Royal de Ratisbonne, nous avait autorisés à traduire son travail pour le BULLETIN PYRÉNÉEN.
Au moment où nous le lisions, en avril ou mai dernier, l’article de la revue allemande nous avait semblé ne constituer autre chose qu’une étude de géographie ancienne, une curiosité d’érudit. Faut-il le dire ? Il ne nous avait pas déplu de voir les Pyrénées attirer l’attention de la presse étrangère. Puisqu’on parlait d’elle, même outre-Rhin, la chaîne pyrénéenne n’était donc pas négligeable.
Il paraît avéré, aujourd’hui, que l’on s’occupait trop de nos montagnes, comme de toute frontière, d’ailleurs. Nous étions aveugles, une fois de plus, et confiants, comme d’habitude. Pouvait-il, en effet, venir à notre esprit que sous le couvert de tourisme, par exemple, ou de contemplation de la belle nature, se poursuivaient des études pratiques et s’entassaient des documents précis et militairement utilisables ? Or, il n’en était pas autrement.
Ainsi, depuis que le Bulletin publiait la légende topographique de La Blottière et Roussel, il était de plus en plus demandé en Allemagne. En même temps, des touristes allemands parcouraient notre région et, personnellement, j’en rencontrais précisément sur des points nettement stratégiques tels que Velate, le Somport ou Broussette. J’ai retrouvé, dernièrement, toute une correspondance, venue de Nuremberg et demandant des indications de route, de climat, de saison favorable. Plusieurs de nos camarades en possèdent d’analogues. Et nous répondions avec candeur, nous bornant à constater que les alpinistes anglais d’autrefois se trouvaient à l’heure actuelle remplacés par des Teutons, ceux-ci, d’ailleurs, plus voisins de nous, comme aspect extérieur, allant à pied, sans guide, par groupes de deux ou trois, portant le sac, comme nous-mêmes, en somme de paisibles confrères. Nous supposions que les Alpes, trop rapprochées de l’Allemagne, étaient devenues fastidieuses aux Allemands qui, alors, venaient chercher ailleurs des impressions nouvelles.
Nous étions loin de compte et les journaux récents nous dévoilent, je crois, la véritable cause de ces multiples déplacements. Le numéro des DÉBATS du 16 octobre dernier nous dit, en effet : «  Bien avant la guerre actuelle, les Carlistes avaient, assure-t-on, conclu avec l’Allemagne un accord secret d’après lequel, si la France n’avait eu l’appui de l’Angleterre et, partant, la maîtrise des mers, l’Allemagne opérait, dans le Golfe de Gascogne, un débarquement de troupes qu’aurait protégé un corps de volontaires carlistes évalué à environ 40.000 hommes. Les quatre provinces basques devaient fournir, chacune, un contingent de 10.000 hommes.
Le but de l’Allemagne était de renverser Alphonse XIII, dont les tendances francophiles sont notoires ; secondée par les Carlistes et bons nombre de conservateurs mauristes, l’armée du Kaiser aurait assuré l’avènement au pouvoir d’un prince à sa dévotion.  »
De même, on lit, par exemple, dans le numéro suivant du même journal : «  Une station de télégraphie sans fil, installée par des Allemands, a été découverte près de Bilbao.  »
Pendant que des télégraphistes plaçaient des postes, pendant que de jeunes étudiants ou de futurs officiers parcouraient notre frontière, prenaient des notes sur place et parlaient notre langue, les intellectuels écrivaient des articles historiques ou savants. Les doctes études, en apparence purement spéculatives, se superposaient aux rapports secrets comme pour en encourager l’éclosion. Ces derniers ne nous sont pas parvenus, mais nous avons la note de M. Ramsauer, qui paraîtra dans l’un de nos prochains numéros.
Le sujet traité par la DEUTSCHE ALPENZEITUNG est instructif, en lui-même, mais non entièrement nouveau. La plupart des recherches qu’il révèle ont déjà été effectuées par des auteurs français, notamment par MM. Camena d’Almeida (2) et Alphonse Meillon (3).
Les pyrénéistes, toutefois, liront avec profit l’article à l’aspect débonnaire de la revue germanique, traduit à leur intention par une de nos jeunes compatriotes, sachant maintenant que cet article a servi de couverture à d’autres, moins dogmatiques mais plus redoutables, tous ne formant, en somme, autre chose que les éléments d’un vaste plan de guerre.
Peut-être s’en est-il fallu de peu que la riche plaine sous-pyrénéenne, de Handaye à Toulouse, par Pau et Tarbes (4) n’ait eu à subir le sort de la vaillante et malheureuse Belgique.
R.M.
(1). - Numéro de Février 1914. - Les Pyrénées et les montagnes de la péninsule ibérique dans la littérature de l’antiquité.
(2). - Les Pyrénées. Développement de la connaissance géographique de la chaîne. - A. Colin, Paris, S. D. (paru en 1893).
(3). - Esquisse toponymique sur la vallée de Cauterets. - Cazaux, libraire, Cauterets, 1908. (Étude spéciale du mot Pyrénées).
(4). - Tarbes, surtout, devrait être visé, pour son arsenal.