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EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS

N° 140 - Juillet - Août 1917

Avril a vu l’entrée en guerre des États-Unis, le 15 mai le général Foch est nommé chef d’état-major général au ministère de la guerre, en août, comme si le malheur qui frappait le pays n’était pas suffisant, la grippe espagnole, après une première vague au printemps, frappe les civils et les militaires. La pandémie est l’une des plus meurtrières de l’histoire.

 
Alors que la guerre sévit depuis trois ans, l’article ci-dessous, d’Alphonse Meillon, qui est la suite d’une longue série commencée dans le n° 131 de Septembre - Octobre - Novembre - Décembre 1915, revient sur le départ des troupes en 1914.



EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS
Exposé chronologique des opérations
Notes et impressions

(La première campagne a été menée en 1909.)

NOTES DES TEMPS DE GUERRE

En quittant à regret la montagne, le 1er Juillet, pour revenir à Pau reprendre mes occupations professionnelles, j’avais remis le théodolite à mon collègue et ami, le Dr M. Heid qui, dès le lendemain, se rendait à Héas pour aller poursuivre sa campagne de triangulation dans la région Estaubé-Munia-Troumouse. J’espérais à ce moment-là qu’il me serait possible de reprendre mes opérations en faisant une campagne photographique durant les belles journées d’automne.
Tout à ces projets, je m’étais mis à classer mes documents et à revoir mes carnets. Je ne prévoyais pas alors les évènements qui, en quelques semaines, devaient déchainer la guerre européenne. La cruelle réalité n’allait pas tarder à apparaître. Tout y fut ramené. L’esprit se portait vers d’autres points de la patrie ; il allait vers nos frontières de l’Est et du Nord où auraient lieu les premières rencontres ; aussi les occupations de mes vacances se transformèrent-elle pour moi, comme chacun de nous, en préoccupation d’un autre genre.

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PAU, 2 Août. - Nous avons vécu ces heures de fièvre en même temps que de confiance. C’est l’appel du chef de l’État secouant d’un frisson d’émotion patriotique tout le pays. Le Président de la République avait raison de compter sur le sang-froid de la noble nation dont tous les enfants rempliraient leur devoir. « À cette heure solennelle, comme il le disait justement, il n’y avait plus de partis ; il y avait la France éternelle, la France pacifique et résolue. Il y avait la patrie du Droit et de la Justice, tout entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité. »
Au vibrant appel au peuple succède, le soir même, l’ordre de mobilisation générale ; chacun, avec recueillement et le cœur plein d’espérance, accompli son devoir.
Les rivalités ont disparu comme ces nuages légers qui sont emportés par la brise du large, et il en est de même de nos divisions, plus superficielles que profondes, que l’ennemi avait escomptées.
Les pessimistes - mais c’est à peine si on en découvre - qui avaient craint un manque d’organisation, s’inclinent avec une surprise joyeuse devant l’admirable fonctionnement de la mobilisation sur tout le territoire. À Pau, dans le calme proverbial de notre doux Béarn et dans le cadre splendide formé par notre chaîne frontière, mais si loin de celle où vont se dérouler de sanglants combats, tout marche non seulement sans un à-coup, mais à la perfection même, pendant que nos régiments de pyrénéens et de montagnards, qui iront demain à la bataille, se préparent et s’organisent.

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7 Août. - Les troupes vont partir pour se rendre sur le front. Dans un instant elles quitteront la caserne. La foule compacte les attend pour les acclamer et leur donner, avec toute son âme, le salut de la patrie. C’est un silence religieux qui, jusque là, s’est établi dans la foule, comme on le constate à toutes les grande heures. Il y a dans ces âmes, communiant dans la même patriotique pensée, de la fierté et de l’angoisse. Des mères, des femmes, des sœurs sont là. Elles sont toutes venues pour jeter à l’être aimé le suprême regard ; mais vous ne verrez pas une larme dans ces yeux qui sont cependant gonflés par la souffrance. Toutes sont fortes devant le devoir afin que l’aimé s’en aille content.
Le premier détachement de nos soldats apparaît bientôt ; il est précédé des clairons et des tambours. La musique attaque Sambre-et-Meuse, et jamais elle n’a joué avec autant d’élan. Dans le ciel clair d’une merveilleuse journée d’été, les moteurs ronflent, et nos aéroplanes, oiseaux de France qui quittent leur nid du Pont-Long pour voler vers l’ennemi, tournoient dans l’espace.
Dans l’avenue de la Gare, comme un long cordon bleu, la troupe défile au milieu de la foule recueillie et silencieuse qui admire. Les soldats portent, fichés dans leur fusils, de petits drapeaux qui font sur ce ruban bleu une moucheture tricolore.
Ce ruban vivace s’écoule sous l’ombre des grands platanes et s’engouffre dans la gare décorée d’oriflammes, puis dans le long train noir, bientôt enlevé par la locomotive fleurie et ornée de drapeaux. Des hurrahs frénétiques se mêlent au chant de La Marseillaise. Les accents de Sambre-et-Meuse sont entendus encore pendant que le peuple se retire en attendant les autres départs qui vont se succéder.
À 1 h 20, c’est le premier bataillon de notre brave 18e régiment d’infanterie qui vient de partir.
À 5 h 34, c’est le deuxième bataillon, emportant le drapeau sur lequel, dans la formidable mêlée de demain, les noms de nouvelles batailles viendront s’ajouter à tout un passé de gloire.
Il semble que nos Pyrénées aient voulu, elles aussi, s’associer à nos espérances, car elles se font plus belles, plus splendides que jamais. Aucun voile ne les dérobe à nos yeux. Dans ce décors incomparable où tout est en harmonie, les grands pics se dressent comme des ancêtres éternels, témoins de toujours, des deuils comme des espérances de la patrie, afin de saluer les enfants de leur vallée qui vont à la bataille en chantant.
On dirait que leurs cimes altières ont tenu à faire la haie d’honneur, pendant que les Pics du Midi d’Ossau et de Bigorre, se détachant de l’ensemble comme deux sentinelles avancées, gardent la frontière méridionale de notre belle France.
Du côté de l’occident, le ciel est couleur de pourpre, et les hauts sommets de la cordillère pyrénéenne se poudrent d’or.
Une teinte violette est répandue sur la vallée ; les nuances les plus délicates et les plus variées se multiplient et se fondent en un tout qui englobe les gaves, la plaine se prolongeant dans le lointain, les coteaux environnants, la tour carrée du Château qui se découpe en noir sur les massifs plus sombres des grands arbres du parc.
La nuit vient, et à neuf heures, le train qui emporte le 3e bataillon s’ébranle lui aussi aux cris mille fois répété de : Vive la France ! Puis des voix jeunes et fortes s’élèvent ; ce sont nos soldats qui chantent :

Montagnes Pyrénées, vous êtes mes amours. Halte-là, halte-là, les montagnards sont là…

Et nos Pyrénées les saluent une dernière fois.

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9-10Août. - La nouvelle se répand que les troupes françaises occupent Altkirch et Mulhouse, et la foule est joyeuse en commentant ces évènements qui sont comme la première revanche de la Justice et du Droit. La confiance est plus grande que jamais, et c’est avec la joie au cœur que, dans la nuit, au milieu des acclamations enthousiastes, les trois bataillons du 143e territorial quittent Pau. Ils seront sur le front avant peu.
Puis, les évènements se succèdent. Nous subissons le contrecoup d’une offensive déclenchée par l’ennemi qui a l’écrasante supériorité du nombre. Les nouvelles, arrêtées par la censure, ne parviennent que difficilement, peu à peu ; elles sont filtrées avant d’être communiquées au public dont l’inquiétude s’accroît, mais qui, devant le péril entrevu, garde sa force d’âme. Vous n’entendez aucune parole découragée. Aucune récrimination ne s’élève. Quel que soit le revers momentané qui éprouve la Patrie, nul ne perd confiance et la foi au pays demeure inébranlable. Est-ce que la France, luttant pour la plus noble des causes et allant au combat avec un enthousiasme comme on n’en vit jamais de plus grand dans l’histoire du monde, peut être vaincue ?
Le furieux orage, déchaîné à Charleroi, est passé, et l’espoir revient tout entier quand bientôt la nouvelle court que l’ennemi est contraint à la retraite. La victoire de la Marne arrête le flot des Allemands et fixe le destin.
Mais la rude et terrible mêlée qui s’étend de la mer du Nord à la ligne des Vosges, absorbe toutes les pensées, et on ne comprendrait pas, en de pareilles heures, un sport ou des occupations, si dignes d’intérêt qu’elles puissent être, qui fussent étrangère au drame qui se joue. Nous disons donc adieu à la montagne et à nos cités thermales fermées et silencieuses. La nature reprend possession de sa solitude. Nos sommets pyrénéens seront inviolés pendant de longs mois. Rien ne troublera le bruit des gaves. Les isards vivront en paix. Les fusils sont ailleurs et ils tirent sur des loups !...
Les regards et l’admiration du monde sont fixés sur d’autres frontières envahies et souillées par l’ennemi que notre armée retient et use. Vers d’autres monts, nos Vosges, notre pensée va chaque jour à nos vaillants alpins qui se battent avec l’intrépidité et le courage acquis à l’école de la montagne.
Mais ce serait une pensée impie que de marquer une préférence ; les héros de la bataille de la Marne et ceux de Dixmude et de l’Yser, ont droit à la même admiration émue et reconnaissante. Combattants de l’Est ou du Nord, de l’Ouest ou du Midi, ce sont nos frères et nos enfants et ils ont, au même titre, bien mérité de la Patrie et de l’humanité.
Demain, la France victorieuse, réservera pour eux ses arcs de triomphe où de nouveaux noms, les plus grands de tous, seront inscrits. Et ne pleurons pas ceux qui sont tombés, car ils ont nos pensées, notre souvenir, notre tendresse. La voix de chacun de nous se fait plus grave et plus douce pour dire ce qu’ils étaient. C’est la voix d’un peuple entier qui les berce en leur tombeau. Ils ont l’immortalité. Ils ne sont pas perdus, ils nous ont devancés.

Alphonse MEILLON






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