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Carnet N° 4 (1929 - 1933)

Carnet N° 4 (1929 - 1933)


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Pic de Mont Aspet (1849 mètres)
(31 décembre 1929)

Partis en auto de Mourlon, à 6 heures, par nuit noire, nous arrivons (maman, Élisabeth et moi) aux chalets Saint-Nérée à 8 heures, après nous être embourbés dans un fossé, à Ferrère.
Nous commençons de suite l’ascension, avec des renseignements très vagues. On remonte l’Ourse jusqu’au pont en bois, à 1500 mètres des chalets, et nous suivons le chemin montant en forêt, parallèlement au torrent. Ce chemin, emprunté par les camions d’une exploitation forestière, est très défoncé. Au terme de ce chemin, nous dépassons les quais de chargement des troncs d’arbres et nous nous engageons dans une petite gorge en direction du Mont Aspect. Au sortir de cette gorge, nous faisons la halte horaire casse-croûte dans une ancienne hutte de charbonnier. Beau temps, forêts splendides, région et aspect variés. Puis, pendant une heure, grimpette fatigante, le long d’un ravin escarpé et à travers les « hougas » et les petits sentiers des charbonniers. Enfin, à 10h15, on débouche sur une croupe clairière tapissée de fougères (petit plateau de Monsech). On s’engage de nouveau en forêt (taillis de hêtres, puis futaie), en suivant un sentier rempli de feuilles sèches. En arrivant aux premiers sapins, le sentier disparaît. Ayant pointé à la boussole avant de s’engager en forêt, je me fie à la boussole et nous débouchons, à11h10, sur un deuxième plateau (myrtilles et bruyères) d’où l’on découvre tout l’itinéraire jusqu’au sommet où la tourelle s’érige.
Déjeuner frugal et rapide. La vue est tronquée par des nuages envahissants, mais le soleil resplendit et la température est idéale. On reprend les sacs, et une ascension facile sur des plaques de neige et des bruyères nous conduit sur la crête mamelonnée de Mont Aspect. À ce moment, les nuages nous enveloppent. Nous nous hâtons vers la tourelle en marchant sur une corniche verglacée. Trop tard ! En touchant le signal géodésique (haut de 4 mètres), qui date de 100 ans, nous sommes en plein brouillard (12h15). Nouveau casse-croûte, carte de visite dans le cairn, photo « à 5 mètres » et, à 13 heures, nous redescendons.
Au plateau de Monsech, cueillette de houx et changement d’itinéraire ; au lieu de descendre par le chemin du matin, nous prenons un sentier qui descend en direction de Ferrère. Descente en forêt ; parvenus au-dessus de Saint-Nérée, dont on aperçoit les toits, nous dévalons à pic puis, par de petits sentiers de charbonniers, nous zigzaguons et débouchons aux chalets à 15 heures. Café et retour par Siradan, Loures, Barbazan et Valentine. Mourlon à 17h30.
Beau temps, belle ascension, mauvaise vue.

Quatre sorties à skis
(Janvier et février 1930)

1. Avec Elisabeth, nous tentons le Céciré vers le 10 janvier. Neige épaisse (1,10 m) et très molle. Le temps se gâche et les pentes deviennent difficiles (stries d’avalanches) au-delà du portillon du sentier d’été. Il neige ; nous faisons demi-tour et regagnons Luchon par l’itinéraire habituel de la forêt. Neige jusqu’en ville.
2. Avec le docteur et Mme Ponsan, séance de ski au sommet du col de Peyresourde. Journée chaude et claire. Peu de neige, mais excellente. À la fin de la journée, je casse une spatule.
3. Toute la famille (y compris papa, maman, Jean et Jeanne) à Superbagnères. Neige toute la journée. Baptême de la neige pour Raoul et Maud qui font de la luge et du ski.
4. Le 13 février après-midi, à Super avec le docteur et Madame Ponsan.

Ski à Juzet et au col des Ares
(23 et 24 février 1930)

Avec les enfants, nous allons en auto au-delà de Juzet où nous nous amusons beaucoup dans une prairie enneigée. Le lendemain, nous revenons dans ces parages et nous skions et déjeunons dans une dépression circulaire (doline). L’après-midi, je fais une reconnaissance aux alentours.

Port de Vénasque
(2 octobre 1930. 18e ascension)

Avec Jean (Jeanne et les enfants sont restés à l’Hospice), nous montons au port par beau temps et forte chaleur, en deux heures quinze. (C’est le record de mes ascensions ; il est vrai que la course se terminait au Port et se faisait sans sac.) Très belle vue sur la Maladeta fraîchement enneigée. Au port, la neige de dimanche dernier a fondu ; il n’en reste que dans quelques coins abrités. Descente en une heure cinq. À l’Hospice, les ours viennent d’égorger neuf moutons.

Tentative à l’Arbizon
(19 juin 1931)

Avec les Grillet et les Cambo, départ de La Barthe vers 2 heures du matin (pluie). À Arreau, chez Rodière, pluie et attente. Vers 4 heures, départ à la faveur d’une éclaircie. Montée raide, dans l’obscurité, vers la hourquette d’Arreau. La pluie recommence ; diverses haltes sous les arbres. Enfin, les pâturages, mais, vers 7 heures, la journée étant sans espoir, on fait demi-tour, pour aller se réfugier dans une écurie où nous faisons du feu pour nous sécher et déjeuner. Course manquée.

Vénasque et pic d’Albe
(8 - 11 juillet 1931)

Mercredi 8 juillet. Une autorisation étant indispensable pour procéder à l’expérience de coloration Toro-Joueou, j’ai décidé d’aller la demander moi-même à Vénasque. À 11 heures, j’arrive en auto à Luchon, avec Élisabeth, chez maman, qui termine son traitement aujourd’hui-même. Après une visite à messieurs Gourdon (absent) et Molinéry, nous déjeunons et partons en auto pour l’Hospice où nous débarquons à 15h30. Aussitôt, nous donnons l’assaut au port, par temps heureusement frais. Je suis dans un état de faiblesse et de dépression inquiétants. Au refuge, nous entrons dans le brouillard, mais aux lacs nous le surmontons. Le grand lac est encombré d’icebergs et la neige est assez abondante dans l’hémicycle du port. Cependant, les lacets sont libres et, à 19 heures, nous débouchons face aux Monts Maudits, très nets, que nous admirons un quart d’heure avant d’entamer la descente par la Peña Blanca. Au bas de la Peña Blanca, avant d’arriver au confluent du ruisseau et de l’Ésera, nous passons à une résurgence jamais aperçue qui doit être la sortie de la troisième perte de l’Ésera. Nous entrons à l’Hospice à 20h45 pour dîner et nous chauffer au foyer géant. La patronne est toujours là, avec ses mioches et Joaquim, plus Michel, le vacher, et un « cacarot » de 12 ans. Après la « comida » à la cama, nous entrons dans la même chambre que l’an dernier.
Jeudi 9 juillet. À 7 heures, aussi mal en point qu’hier et suivi de mes deux ombres habituelles, j’avance péniblement et lentement, comme si je tirais tout le monde. Étape des plus pénibles où je n’avance qu’à force de volonté. Nous passons le pont de Cubère à 10h30, après avoir rencontré deux carabiniers au défilé du campamento et un grand troupeau sous les bains de Vénasque. Aux approches de Vénasque, où nous arrivons à 11 heures, on fait la fenaison.
À Vénasque, je me fais conduire à l’Aduana Nacional, pour voir l’administrador, qui, encore au lit, nous fera attendre une grande heure sous la pluie. Galamment, les carabiniers offrent des chaises à maman et à Élisabeth, tandis que je fais la connaissance de François Cabellud qui, dans un moment, me servira d’interprète. Enfin, le jeune freluquet administrador arrive et dans son bureau commence une interminable palabre qui ne tarde pas à prendre mauvaise tournure, l’administrador ne voulant prendre aucune décision et me renvoyant au Ministera de la Guerra ! Malgré toutes mes explications et la bonne volonté de Cabellud, impossible de le fléchir. On fait appel au lieutenant des carabiniers devant qui je recommence mes explications et mon exhibition de « documentos ». Ce brave homme ne voit aucun empêchement et me promet une autorisation écrite, et la séance prend fin.
Aussitôt, nous entrons à la fonda Cabellud pour un excellent déjeuner au cours duquel mon extraordinaire malaise, qui ne faisait que s’aggraver depuis Luchon, se dissipe. (5 pesetas par tête.) Après un tour de ville et un bref courrier à Martel, et la remise du papier du lieutenant Vallesper, nous quittons Vénasque d’un pied léger et le cœur plein d’allégresse, malgré un soleil de feu (14h45). Par la suite, un bienveillant nuage nous masque le soleil et l’amélioration grandissante de mon état me fait trouver la formidable étape très supportable. Derrière moi, on marche très bien, et le trio manifeste un entrain qui manquait à l’aller.
À 19h45 (six heures de Vénasque, dix heures de marche au total), nous sommes de retour à l’Hospice où les deux carabiniers croisés ce matin font étape. On bavarde avec eux pendant que « le gros » se confectionne un sac à asticots et que « le maigre » tue des « mosquitos ». Ce dernier offre à Élisabeth le produit de sa pêche (une truite). Un moment après, nous dînons de bon appétit puis, autour du feu, nous assistons au dîner des carabiniers, de Miquel et du « cacarot » autour desquels passent les enfants, le petit chat et « Coquina ». Nous convenons du prix de la pension prochaine (10 pesetas par jour) ; nous réglons notre écot (dîner, coucher, petit déjeuner, 7 pesetas) et nous regagnons les grands lits.
Vendredi 10 juillet. Départ à 6h55. Dès les premiers pas, je manifeste le désir de faire un pic avant de réintégrer Luchon. Après quelques pourparlers, on décide d’arriver à la Rencluse. Chemin faisant, nous revoyons les pertes et résurgences successives de l’Ésera, et maman, avec sa baguette, retrouve les lits souterrains décelés l’an dernier. L’étang temporaire n’est pas complètement résorbé. Le grand corral est occupé par le troupeau des cent huit mules vues avant-hier dans le Plan des étangs.
À 8h30, nous arrivons très frais (sauf Élisabeth) à la Rencluse où nous sommes reçus aimablement par la mère Sayo qui ignore encore l’accident survenu à son gendre, Antonio. On s’allège des deux sacs et, à 9h10, nous partons pour le pic ou la Dent d’Albe. En remontant le rio, nous dépassons l’étang de la Rencluse, nous traversons une moraine et un cône de déjections granitiques, et nous nous élevons vers le massif d’Albe, sur des pentes en partie gazonnées, très raides, puis dans des granits et des plaques de neige où nous faisons lever un lagopède (qui n’a plus que les ailes blanches). L’indécision et les flottements sur l’itinéraire sont d’autant plus accentués que nous n’arrivons pas à identifier le pic de la Dent d’Albe et la Tuca Blanca. Pendant une marche de flanc sur les blocs de granit et les névés, quinze isards défilent sous nos yeux. (Les trois derniers se montrent assez longtemps à portée de fusil.) Un instant après, un vautour passe en planant au-dessus de nous. Nous avons passé l’arête du Paderne et, à force de lire le feuillet du guide Soubiron, nous tombons d’accord pour reconnaître le pic d’Albe et lui donner l’assaut. Nous recoupons un beau névé qui tapisse un vallon et, à 13h40, nous sommes juchés dans l’entaille d’une petite brèche (avec fenêtre naturelle) d’où l’on découvre l’étang d’Albe et le chemin à parcourir. Nous changeons donc de versant et, à travers névés et îlots de rochers, nous atteignons la base de la pyramide du pic. La vue est déjà très étendue et remarquablement nette. Par d’assez mauvaises cheminées où tous les blocs sont instables, nous gagnons beaucoup de hauteur ; l’ascension se poursuit dans un amoncellement invraisemblable de granits fracassés où j’ai soin de jalonner notre passage par de petits cairns. Un replat se présente, occupé par un névé où nous laissons sacs et piolets, et nous attaquons la cime par de nouveaux couloirs très redressés où tout croule et roule sous les mains et les pieds.
L’arête ruiniforme, où nulle part on ne voit la roche en place, est enfin atteinte quelques mètres au nord du sommet où nous nous asseyons, vainqueurs, à 15h30. Les Monts Maudits, vus d’enfilade, sont masqués par le pic occidental. Seul, le Néthou est visible. Le revers sud des Monts Maudits (jamais vus) nous montre le lac Gregonio, l’Éroueil, le Malibierne, etc... On voit beaucoup plus loin que le Galinero, le Turbón et le Cotiella. Par ailleurs, on voit du Vignemale au Carlitte. Notre échec du 28 septembre 1930 est brillamment vengé et, dans une petite tourelle, nous glissons une carte commémorative.
La mission de Vénasque a réussi ; nous avons vu des isards, nous venons de faire un 3000, c’est aujourd’hui ma fête. Belle et bonne journée à marquer d’un caillou blanc (granit) que je glisse dans ma poche avant de quitter le sommet. (16 heures.)
La descente se fait bon train, malgré un névé assez fuyant sous les pieds et un soleil piquant et aveuglant. À 17h20, brèche, puis descentes agrémentées de toboggans jusqu’au cône de déjections sous le Paderne. Traversée de la grosse moraine, étang de la Rencluse, traversée du torrent, déchaussés, et bain frappé pour Élisabeth et moi. À 20 heures juste, nous réintégrons la Rencluse où nous apprécions une fois de plus (et d’autant mieux que nous y sommes seuls) la bonne table et le confort. La Rencluse n’est ouverte que depuis trois jours. Nuit longue et réparatrice après quatorze heures de marche et d’ascension. (Écot : 11 pesetas par tête.) Beaucoup de neige rouge au port de Vénasque et ici.
Samedi 11 juillet. Après le café au lait, départ à 8h05 pour le retour. Au bas de la Coustère, cueillette d’une botte d’iris et ascension tranquille des lacets au sommet desquels nous faisons la causette avec deux touristes qui vont faire le Néthou. Port de Vénasque, 11h43. Bain et déjeuner aux lacs des Boum (boite à sardines et nappe d’huile). J’ai les pieds écorchés et je descends le port en clopinant. Hospice, 16 heures. Vu Haurillon, et limonade. En auto de l’Hospice à Mourlon.
(Note de Gilberte Casteret : À ce stade de ses récits, N. C. a souligné et encadré « 18 septembre 1931 », date de la mort de son père.

Bentaillou, Liat
(23 - 25 octobre 1931)

Pour le compte de l’Union pyrénéenne électrique, qui désire que je fasse une prospection hydraulique logique, je me rends en auto, avec Élisabeth, au Bocard d’Eylie. Après une entrevue avec les ingénieurs Catala, Villemain, Bézy, nous partons à 10h40 pour Bentaillou, avec un porteur. À la nuit tombante, au-dessous de la station de Rouge (du câble), deux hommes viennent relayer notre porteur. On s’arrête un moment dans leur baraque, pour se désaltérer, et on continue à monter vers Bentaillou. Bientôt, une nouvelle équipe de deux hommes, descendue de Bentaillou, vient à notre rencontre. Malgré le clair de lune, le versant étant dans l’obscurité, nous montons à la lanterne. Enfin, à 18h50, nous entrons dans la maison des ingénieurs, juste pour nous mettre à table. Messieurs Tapie, Dourthe, Broca, Sanègre etc, nous font les honneurs de la maison et de la table.
Il y a ici 250 hommes occupés aux différents chantiers et tunnels de l’équipement hydroélectrique du Haut-Lez. À 22 heures, nous gagnons le grand lit de la minuscule chambre et, après une nuit presque sans sommeil :
Samedi 24 octobre. Réveil et départ à 6h25. On traverse les chantiers et, prenant le sentier descendu le 13 juillet 1929, nous montons vers le port de la Hourquette, très attentifs aux affleurements géologiques, schiste et calcaire, qui se succèdent. À 9h25, nous atteignons le port et, aussitôt, nous descendons jusqu’au lac de Liat, qui est dans les schistes.
On suit attentivement le déversoir jusqu’au gouffre de l’Embudo pour y découvrir des pertes, mais il n’en existe pas. Le gouffre est très important. Il a capturé assez récemment (géologiquement parlant) le ruisseau du Liat qui y tombe en cascade et dont on voit nettement, à l’aval, le lit devenu fossile.
Le gouffre est creusé au contact schiste-calcaire. J’en prends un croquis et nous inspectons les abords : grotte aérienne, lit du rio Paloumère, petite perte, entonnoirs du Liat où disparaissent des ruisselets. L’eau du Liat est à 9,01°. Celle de Paloumère est à 6,01° (eau très magnésienne). Déjeuner à l’Embudo vers 12h30. Plaine du Liat, en surveillant les dolines et la bande de calcaire vers le Maubermé. On remonte lentement et péniblement vers la Hourquette. Palabre avec deux carabiniers charmants. Inspection du faux port de la Hourquette au-dessus des à-pics français. Le calcaire franchit ici la frontière.
Passage de la Hourquette vers 15h30. Le brouillard nous surprend dans la descente mais, grâce aux cairns, nous atteignons facilement le lac de Bentaillou. Malgré l’heure tardive (16h45), le brouillard épais et la température de l’eau (7°), nous prenons un bain délicieux. L’air est aussi à 7° ; nous n’avons rien pour nous essuyer et nous nous rhabillons lentement. Nous arrivons à la cantine dans le brouillard très dense. Excellent dîner (huîtres) ; audition de Werther ; coucher tard.
Dimanche 25. Départ à 7h20 pour la résurgence d’Ardan, par un sentier vertigineux des plus pittoresques. Nous dépassons des équipes d’hommes portant des pièces de fer destinées à des pylônes. Ces porteurs font des prouesses extraordinaires. Un mauvais passage, sur des à-pics, et nous arrivons à Ardan à 8h40. L’eau est à la base d’une falaise de calcaire massif, au contact du schiste. Résurgence orientée ouest-est ; l’eau à 3° sort d’une diaclase verticale, les strates sont légèrement plongeantes, calcaire cristallin. Un trou souffleur, au-dessus de la résurgence, souffle l’air à 3°. La température de l’air, au dehors, est de 7 à 8°. Les schistes, assez peu fissiles, sont à stratification horizontale. Au retour, je prends la température de l’eau dans deux ravins recoupés par le sentier (6,05° et 5,05°). L’eau du tunnel (fenêtre proche du compresseur), est à 4°. Le brouillard et la pluie recommencent vers 11 heures. À 14 heures, après le déjeuner, nous décidons de partir, malgré la pluie battante. Au Bocard, personne. Nous regagnons Saint-Gaudens par tempête de vent et de pluie.
La neige est tombée sur toute la chaîne, dimanche et lundi.

Massif boisé au-dessus de Gège
(26 novembre 1931)

Seul, en auto, j’arrive à 10 heures à ce hameau où l’on me signale l’existence de puits dans les bois. Près du hameau, dans les prairies, deux sources donnent naissance à un fort ruisseau. Ces sources restituent les eaux englouties dans ce cirque boisé, calcaire. Je monte sous-bois (belle haute futaie de hêtres) jusqu’à un col qui permet de descendre sur Barbazan. À ce col, trois ou quatre dolines. Du col, je continue à monter vers le sud (très belle futaie), jusqu’à midi, où je m’arrête en balcon sur la vallée de la Garonne (Bertren à mes pieds). Je déjeune en regardant à la lorgnette le panorama enneigé : Montlude, Burat, Monts Maudits, Sacroux, Spijeoles, Hourgade, Sayette, Monné, Mont Las, Areing, Sacon, Arbizon, pic du Midi. Je reviens à Gège par le même chemin. (Traces de sangliers.)

Lac de Caillaouas (en téléphérique)
(3 décembre 1931)

À 18 heures, M. Leclerc du Sablon nous prend en auto à la gare de Lannemezan, Élisabeth et moi, ainsi que MM. Petetin et Bidermann. Dîner fort animé à l’hôtel Carrère, en compagnie de MM. Martrix, Fourcassé, Cerisay.
3 décembre. Réveil à 6 heures. Départ en auto à 7h15 pour Tramezaygues, dans une confortable Renault, avec M. Petetin. Belle matinée, très froide et claire. Au-delà de Loudenvielle, nous roulons sur une nouvelle route, construite par la SHEM, et nous allons de surprises en surprises. On stoppe à l’usine de Tramezaygues, au pied du pic du Midi de Genos, au débouché des gorges de Clarabide. Usine, bâtiments, matériels, tout cela n’existait pas en 1926, mais ce qui frappe le plus c’est la conduite forcée verticale qui descend de la Santête, accrochée aux falaises, et la portée de câble de 700 mètres, également presque vertical, sous lequel glisse une cabine qui, bientôt, vient se poser au sommet d’une tourelle en fer où nous montons pour prendre place.
Avec une douceur et une lenteur majestueuse, la cabine, pleine à craquer, s’élève. Impression inoubliable de vide absolu qui ne fait que grandir durant les vingt-cinq minutes d’un trajet vertical féérique, entrecoupé de petites sensations moins agréables. À la station de la Santête, on prend un autre câble, celui-là horizontal, et, dans une nouvelle cabine qui glisse à raison de 5 mètres à la seconde, on surplombe la gorge de Clarabide et le même sentier, accroché aux escarpements. Trajet fantastique.
On débarque à la Soula, sans s’être servi de ses jambes depuis Arreau ! D’ici part un troisième câble qui monte très haut, jusqu’à un tunnel percé dans le pic de Courtaou, mais il ne possède pas encore de cabine et l’on monte à pied vers Caillaouas. La neige commence ici. Le sentier, très verglacé, est pittoresque, le froid vif. On arrive à Caillaouas où l’on est stupéfait de voir la nappe du lac fortement diminuée et à 23 mètres au-dessous de son niveau normal. Un immense radeau, occupé par des pompes puissantes, est arrimé aux berges verticales. Les pompes abaissent le niveau du lac de 0,30 m par jour. On veut l’abaisser de 70 mètres en tout, pour creuser une galerie qui permettra d’utiliser le lac à plein rendement.
Par une grossière échelle impressionnante on descend du radeau, puis on fait un petit tour en barque, on aborde plus loin et on remonte à la maison des gardes. Soleil et neige éblouissants. Tableau de haute montagne. Il faut descendre la Soula pour déjeuner. À midi trente, on arrive au bâtiment réfectoire où une table de quinze couverts nous réunit. Repas encore très animé, température printanière.
Après une visite de l’usine de la Soula, on repart en câble. Je scrute avidement la « coulière » de Clarabide : elle ne paraît nullement difficile à suivre. Kaléidoscope de vues plongeantes, de murailles cuirassées de glaces, de sommets immaculés. Enfin, le câble plongeant de la Santête à Tramezaygues. Curieux contraste de la conversation animée et bruyante et de la douceur et du silence de la machine qui nous tient entre ciel et terre, à une hauteur effrayante.
Rochers, éboulis, sapins : les détails se précisent peu à peu jusqu’à l’atterrissage. On descend de la tour métallique, on s’affale sur les coussins d’autos confortables qui nous ramènent, à grande vitesse, à Saint- Gaudens. Satisfaction des yeux, impressions nouvelles et très prenantes, attrait de ces modes de locomotion, mais une lacune : on n’est pas fatigué, on se demande si l’on a bien été en montagne, montagne truquée, rabaissée, blessée, lac desséché. Nos successeurs connaîtront la montagne beaucoup plus vite et plus complètement que nous et pourront ascendre à tout âge, même s’ils sont culs-de-jatte...

Orédon, Aumar, Aubert
(15 - 16 mars 1932)

En auto de Saint-Gaudens à Fabian, avec Martial, Paule et Élisabeth.
Nous garons l’auto, à 15 heures, à l’hôtel Fouga, où se trouvent quantités d’autos de pêcheurs et touristes. En trois heures quinze, nous arrivons sous la pluie à Orédon où nous recevons l’hospitalité chez les gardes Fouga et Bouzin. Il y a déjà trois autres pyrénéistes : un professeur du Caousou (NDLR : un établissement d’enseignement privé catholique de Toulouse créé par les Jésuites en 1874) et deux élèves. Après une bonne nuit dans une chambre commune, je donne le réveil à 5h30. À 6h30, par très beau temps, on part vers Orédon. Chemin faisant, la caravane du garde Fouga nous rattrape et nous dépasse.
Le lac d’Orédon apparaît en entier, à demi glacé. La neige commence autour de ses berges et en arrivant hors de la forêt elle règne partout. Le lac d’Aumar est glacé et recouvert de neige. Le Néouvielle, que nous avons photographié plusieurs fois étant en forêt, apparaît tout entier. Mais il faut renoncer à cette belle ascension aujourd’hui, car Martial et Paule sont venus pour se promener et non pour s’éreinter. D’Aumar, on va au lac d’Aubert où nous croisons le groupe Fauga qui vient de visiter les robinets. Après une longue halte sur le barrage du lac, d’où l’on domine les laquettes, je décide la troupe à monter jusqu’à une brèche de la crête des laquettes, pour redescendre sur Cap-de-Long. Après une montée interminable, coupée d’arrêts fréquents sur une neige molle (deux lagopèdes, pas de traces d’isards) nous atteignons la crête vers midi. Beau point de vue sur Cap-de-Long et le lac de l’Oustallat, entièrement glacés, le pic Long et le Campbieil. Beaucoup de traces d’avalanches. La descente sur Cap-de-Long est fort raide mais très faisable, mais Paule a le vertige et il faut redescendre par le même chemin, en faisant quelques toboggans un peu trop mous. Déjeuner au bord de la première laquette, puis marche sous-bois et dans les rochers, en longeant les lacs successifs, très pittoresques. On rejoint le chemin d’Orédon, puis le lac, et nous descendons rapidement sur Fabian pour goûter à l’hôtel Fouga.
Le temps a été très beau en montagne, mais de Guchen à Sarrancolin, il pleut.
Retour à Mourlon. Chacun a un coup de soleil. Flore très pauvre. Est-ce la saison trop précoce ? Ce massif est fort pittoresque avec ses grands et nombreux lacs. Mais, est-ce les barrages, les maisons de gardes ? On ne se sent pas en haute montagne, on ne se sent pas isolé. Que doit être alors l’impression en été !

Plateau de Liat
Prospection hydrographique
(04 - 08 juillet 1932)


Partis en auto de Mourlon jusqu’à Melles-Sérial et, de là, en tramway jusqu’au Pont du Roi (8h25), nous arrivons à pied à Pontaut. On nous donne la clé des mines de Liat, et en route, à 9 heures, par un soleil éclatant.
Nous sommes très chargés et faisons une courte halte au premier pont, sur le rio Toran, à 9h45. Plus loin, casse-croûte. Le chemin, très ensoleillé, remonte la vallée en bordure du torrent, tantôt sur une rive, tantôt sur l’autre. On passe devant l’ermitage de Sant Joan de Toran et devant le village couvert en chaume, du Pradet. À 11h30, nous sommes à la fonderie, à la bifurcation des chemins. Nous prenons, à droite, le camino de Vecheda et on s’élève en forêt. À 12h45, déjeuner à l’ombre. Un berger passe, c’est le seul homme que nous verrons de toute la randonnée.
À 13h30, on repart. Fin de la forêt ; interminable coume, déserte et brûlante, où des chutes de rochers ont fauché des pylônes de transports de force. À 15h20, cabane sur promontoire. La montée continue, monotone et pénible. Un étang, à droite. Enfin un col et, au-delà, encore un lac, un cirque avec des névés. On sent qu’on approche du plateau, mais on n’y est pas encore.
On stoppe auprès d’un ruisseau à 12°, issu de quelque lac. On prend un bain dans une baignoire tumultueuse, suivi d’une longue séance d’héliothérapie et nudisme intégral. Le tout nous redonne un regain d’énergie et l’on repart, franchissant des versants et des croupes sans caractère. Enfin on culmine, la crête frontière apparaît, du Crabère au Maubermé. À nos pieds, des lacs et le sentier du rio Toran. La neige s’étend au Cap de Guerri. Ô surprise, il faut descendre pendant dix minutes pour rejoindre le chemin commun mais, de suite après, on remonte. Vestiges de constructions, déblais de sondages. On croit toujours arriver, mais toujours le sentier se découvre plus loin, escaladant des vallonnements où nous le suivons, résignés.
Enfin, à 19h30 (onze heures depuis le Pont du Roi), nous atteignons les bâtiments du Liat, au pied desquels dort le lac de Liat. Nous prenons possession des locaux et allons faire une corvée d’eau et de vaisselle au déversoir du lac de Palomère. La cuisine nous absorbe, puis le dîner, et enfin les préparatifs du couchage dans le bâtiment voisin (maison des ingénieurs). Avec une paillasse et des couvertures, nous faisons le lit de M. Descous. À 22 heures, on se couche, mais, par la suite, l’étroitesse du lit nous incite à faire deux lits. Orage dans la nuit.
Mardi 5 juillet. Lever à 7 heures, lait Nestlé et, à 8 heures, départ par un temps incertain. Nous traversons le déversoir du lac de Palomère (4,05°) et montons vers la gauche pour franchir au point le plus bas la crête du Palomère. De là, on découvre le pic de los Armèros, au flanc duquel baille une grotte. Bassin lacustre, névés. Suivant la crête de Palomère, nous essuyons un grain et dévalons directement dans la coume d’Arros (ruisseau à 8,05°). Cabane en ruine et cascade ; gorge du torrent au pied de los Armèros. Nous suivons le torrent rive droite. (Rive gauche, le versant, très raide, est dénudé et terreux, noir comme du charbon.) À hauteur d’une deuxième cascade, halte casse-croûte. Et, de suite après (10h30), je découvre dans les éboulis de la rive gauche une harde de quinze isards qui montent à l’assaut d’escarpements impressionnants. Nous assistons à une belle gymnastique et les isards disparaissent dans une cheminée vertigineuse. Un moment plus tard, alors que nous suivons les lacets descendant du sentier dans un vaste éboulis, nous voyons les isards dévaler à toutes pattes de leurs escarpements. Parvenus eux-mêmes dans un éboulis, ils nous considèrent, hésitent et, finalement, s’enfuient en file indienne vers los Armèros. Presqu’aussitôt, le ciel devient noir, le tonnerre qui gronde depuis longtemps se rapproche et l’orage crève. En courant, on va se gîter sous un rocher surplombant, et l’orage passe.
Nous sommes venus dans cette vallée pour voir une résurgence dite « Pile d’Arros » ; aussi descendons-nous toujours, à contre cœur, il est vrai, car nous pensons à l’interminable remontée sous la chaleur orageuse. Dans un pâturage très fleuri et luxuriant, nous passons à la belle cabane d’Arros, au-dessus d’un cañon étroit et profond. Descente en forêt, et nous atteignons la cascade, confluent du Saut de la Piche, et la cabane des Artiguettes. Halte de 12h20 à 13 heures. La Pile d’Arros est certainement plus bas, mais nous devons faire demi-tour.
Par une marche obstinée et régulière, nous remontons au « rocher du déjeuner » (14h50), puis à la cabane en ruine de los Armèros et, par le thalweg marécageux, on remonte jusqu’à la crête de Palomère (16h45) où je fais un croquis de la région et des petits lacs de los Armèros. À 17h15, nous arrivons à l’étape et la pluie commence à tomber jusqu’au lendemain. Tapioca traditionnel, crabe, fromage. Deuxième nuit, assez bonne.
Mercredi 6 juillet. Réveil à 7 heures. Départ à 8h30. Cette journée est consacrée au plateau et aux lacs de Liat. Dès la sortie des bâtiments, nous trouvons des entonnoirs et des laquets, mais le brouillard se met de la partie et nous gêne considérablement dans nos relevés. Enfin, à 9h45, nous atteignons la rive amont du grand lac de Liat (9°). Un ruisseau issu de névés s’y déverse (4,05°). Nous visitons les lacs voisins pour en déterminer l’hydrographie exacte (trois lacs : voir étude spéciale de cette question). Nous allons au déversoir du grand lac par la rive gauche (trois affluents). Dans les mares des bords, multitude d’œufs de grenouilles, têtards et grenouilles. Le déversoir du lac est à 9,01°. Nous passons à l’Embudo, qui est engorgé et forme un petit lac. La cascade est très forte (quatre à cinq cents litres, peut-être ?) Puis nous arpentons le rio Palomère ou Iñola, et les entonnoirs qui étaient desséchés en novembre dernier et qui, aujourd’hui, engloutissent des ruisseaux. Traversée du défilé qui fait suite à ce plan et demi-tour. Nous retraversons le plan et montons en écharpe sur les flancs de la Pyramide de Serre pour atteindre une résurgence, mais ce n’en est pas une : c’est un ruisseau issu de névés invisibles depuis en bas. On repasse au déversoir du lac où, malgré le vent et la pluie, Élisabeth prend un bain. Je l’imite, et nous remontons vers les mines après avoir fait un repère du niveau du lac sur un rocher du déversoir (rive droite). En trois-quarts d’heure nous faisons la remontée. À 18 heures, nous entrons au bureau. Devant partir le lendemain pour Bentaillou, nous faisons des débauches de cuisine : tapioca, bouillon Kub, saucisson, fromage, abricots cuits... ! Puis nous allons nous coucher dans la maison voisine, sous une pluie battante, qui durera toute la nuit et la journée du lendemain, et les suivantes...
Jeudi 7 juillet. Réveil 7 heures. Nous confectionnons le dernier bol de lait, et, à 8h30, nous partons sous un vrai déluge. Les pentes regorgent d’eau, les torrents sont grossis. Élisabeth a mon imperméable, et moi, je suis drapé dans une couverture et surmonté d’un parapluie emprunté à la mine. Au passage, nous regardons l’Embudo qui, lui, ne paraît pas grossi (à cause du régulateur que constitue le grand lac). À bonne allure, et sans arrêts, malgré nos équipements, nous montons droit sur le col de la Hourquette que nous franchissons à 10h05. La pluie cesse. Descente sur névés, passage des entonnoirs. Le silence de Bentaillou nous étonne et rien ne bouge. Au bas de la descente, vers 2000 mètres d’altitude, je trouve une résurgence assez forte et très froide (2,07°). Deux autres petites résurgences se voient à 40 et 50 mètres de là. Ce sont probablement des émergences des eaux enfouies dans les entonnoirs vus plus haut. Le brouillard nous fait errer un moment, puis nous sautons le déversoir de l’étang de Bentaillou et, à 11h45 (trois heures quinze depuis Guerri), nous sommes à la maison de Bentaillou où nous trouvons un gardien de chantier, Cabalet, qui nous fait un déjeuner auquel nous faisons honneur : veau à la poêle, petits pois, vin, café (une demi-heure de manducation). Cabalet part pour Araing et nous pour Ardan, car il nous tarde de voir cette résurgence. À la première fenêtre, la pluie nous arrête et nous force à nous abriter dans la forge en tôle ondulée, avec un berger nostalgique. La pluie s’éternise. À la faveur d’une prétendue éclaircie, nous poussons vers Ardan. On franchit un névé, puis un déblai de la deuxième fenêtre, et là, le sentier se perd dans la végétation et le brouillard redouble. Demi-tour. À Bentaillou, je téléphone à Catala puis, sur un radiateur électrique, on procède à une longue séance de séchage de bas, chaussettes et vêtements. Souper (bouillon, frites, salades, petits pois). Coucher dans la même chambre qu’en novembre dernier (avec des draps). Pluie toute la nuit.
Vendredi 8 juillet. Lever à 7h20. La pluie et le brouillard, aussi intenses qu’hier, ne permettent pas même de voir Ardan. À 8h05, nous descendons sous la pluie et dans la brume jusqu’au Bocard où nous retrouvons le personnel de l’an dernier confortablement installé : Catala, Tapie, Sanègre, Dubreuil, Broca, etc.… (En bas à 9h35.) Long entretien avec Catala. Déjeuner excellent à la popote (isard). Puis, Catala nous porte en auto à Saint-Girons où nous jetons un regard sur le matériel de l’abbé Gaurier. Et, à 14h50, nous prenons le train pour Boussens et Saint-Gaudens où nous arrivons à 17h15. À pied jusqu’à Mourlon. Grâce au temps pluvieux, nous ne rapportons pas le coup de soleil traditionnel. Le lendemain, samedi 9 juillet, je vais, par train et tram, chercher l’auto à Millas et rapporter, à Pontaut, clé, couverture et parapluie.

Grande Fache (3006 mètres)
Cambalès (2965 mètres)
Vignemale (3300 mètres)
(22 - 25 août 1932. Maman, Martial, Élisabeth, Norbert.)

Partis de Saint Gaudens par le train, à 7 heures du matin, nous arrivons à Cauterets à midi. On parfait le ravitaillement, on fait quelques emplettes, cloutage de chaussures, et, vers 13 heures, nous déjeunons entre Cauterets et la Raillère, près d’un camp thermal. On dépasse la Raillère et on monte, par une chaleur torride, vers le Pont d’Espagne, par une route des plus pittoresques (cascade du Cerisey, Pas de l’Ours, etc.…) Bientôt nous sommes rejoints et dépassés par le flot quotidien des autos que nous retrouvons tout près du Pont d’Espagne où grouille une foule bruyante et bigarrée. Après un soda bien gagné, nous nous engageons dans la vallée du Marcadau qui, elle, est solitaire et a fort grand air, avec un boqueteau de pins dans les alluvions du torrent. Bientôt nous nous arrêtons, avec Martial, pour plonger dans le gave, dans un bassin où l’eau est d’une limpidité idéale. Élisabeth vient nous succéder au bain, et nous repartons. Longue marche d’approche, mais pittoresque, vers le refuge du Marcadau où nous arrivons une heure avant le dîner. Très vaste et agréable refuge, trop fréquenté, hélas. Une trentaine de tentes sont disposées autour, pour loger les nombreux touristes. On nous loge dans un marabout avec quatre lits, où nous reposons dans un calme parfait.
23 août. À 6h40, nous traversons le plan gazonné du Marcadau au confluent des ruisseaux du Marcadau et du Cambalès et, par la rive gauche du ruisseau du Marcadau, nous prenons la direction de la Grande Fache. À 8h10, après un éboulis fatigant et un escarpement rébarbatif, nous atteignons le lac central de Remoulins aux eaux d’une pureté exceptionnelle. (NDLR : Il s’agit en fait d’un des lacs de la Fache, baptisés à tort lacs de Remoulins sur une carte d’État-Major de l’époque portant le n° 251 ; cette erreur, parmi d’autres, est signalée dans le guide de Cauterets d’Alphonse Lequeutre et Paul-Édouard Wallon, pages 95-96 de l’édition de 1934 revue et corrigée par l’abbé Ludovic Gaurier et Alphonse Meillon). Des vautours planent au-dessus du pic Falisse et de la Fache. Dans les éboulis qui accidentent la haute vallée jusqu’au col de la Fache, je trouve une veste en laine. L’extraordinaire variété des roches et de leur faciès m’est un enchantement et une énigme. C’est le paradis des minéralogistes, mais aussi, je pense, le désespoir des tectoniciens.
À 9h30, nous atteignons le col de la Fache, en longeant un névé. Martial mitraille sans arrêt avec son kodak. Un long arrêt au col nous permet de nous reposer et de déjeuner en nous familiarisant avec la vue, assez imprévue pour nous, nouveaux venus dans le massif de Cauterets. Cependant, nous identifions la Grande Fache (notre objectif), le pic d’Enfer, Campo Plano, le pic du Midi d’Ossau, le Balaïtous, le Pène d’Aragon et, à l’opposé, visible par intermittence entre deux nuages, le Vignemale.
À 11h55, nous faisons une « cache » de nos sacs et nous donnons l’assaut au pic. Par une grimpette amusante, mais assez longue, nous nous incorporons à la masse fort redressée de la montagne. Suivant de près, ou tout à fait, le fil de l’arête, nous arrivons sur son échine et, de là, à la tourelle du sommet (12h45). Très beau pic, très belle vue. On s’embrasse, on dépouille le registre tout neuf du sommet, on photographie, on regarde, et, à13h35, après une descente émaillée par une chute de Martial, on se retrouve au col. Casse-croûte, et en avant dans les blocs de granit vers le col d’Aragon que nous atteignons en contournant le Pène d’Aragon par les flancs sud.
Au col, vision sibérienne de deux petits lacs glacés que nous photographions pendant que maman et Élisabeth nous précèdent au col où nous les rejoignons pour admirer la forme hardie de la Petite Fache et les murailles terrifiantes du pic d’Araillous qui dominent un immense névé.
À 16h10, après un bon coup de collier, nous sommes au sommet du Cambalès et de ses lacs. (Deux lagopèdes se lèvent, à deux mètres sous nos pieds.) À 16h55, nous sommes de nouveau au col d’Aragon et entreprenons la descente vers le Marcadau, d’abord dans des pierrailles, puis par un long toboggan. Traversée d’une curieuse cuvette, mi-glacier, mi-névé, puis moraines successives interminables. À chaque ressaut du cirque, il faut ahaner dans des blocs et des éboulis. Un petit névé très raide nous oblige à tailler au piolet, au-dessus du lac de Cambalès que nous longeons, toujours dans la pierraille. À ce moment, le brouillard monte de la vallée et vient nous gêner. La descente se prolonge, interminablement, coupée de ressauts où l’on craint toujours de se fourvoyer.
Enfin, on aperçoit le refuge, les tentes, et nous dévalons jusqu’au plateau herbeux où, avec Martial, je prends un bain dans le gave, tandis qu’Élisabeth en fait autant « à une portée de fusil », car nous sommes sans maillots (20h15). Au refuge, toujours affluence, la salle-à-manger est pleine. Deuxième nuit très reposante, sous la tente.
24 août. À 6h40, nous quittons le refuge Wallon pour remonter aussitôt la vallée d’Arratille, d’abord sous bois, puis en traversant plusieurs ressauts granitiques dont le dernier, très fort, nous mène, à 8h45, au lac d’Arratille où nous faisons halte. Après repérage à la carte, nous repartons en direction du col d’Arratille, en remontant très longtemps des chaos et labyrinthes de rochers où Martial nous guide. Après avoir contourné le lac supérieur, au pied du pic grisâtre d’Arratille, nous débouchons au col d’où l’on découvre subitement la masse prodigieuse du Vignemale qui s’élève démesurément au-dessus de la vallée espagnole de Cerbillona, où naît le rio Ara. Un troupeau de moutons ponctue les pentes de la vallée.
De 10h25 à 11h30, nous marchons en écharpe sur un immense éboulis fatigant, dans la direction supposée du col des Mulets. Mais nous avons fait une fausse manœuvre et, après avoir franchi un ressaut, nous nous apercevons que nous sommes dans le cul de sac de la vallée, où il n’existe pas de col. Le col des Mulets est loin à droite, défendu par des éboulis schisteux désespérants.
Après un mince casse-croûte, on se met en devoir de rallier ce col. Martial descend dans le thalweg, tandis qu’avec maman et Élisabeth nous entreprenons une marche d’approche par de mauvaises pentes, perchées au-dessus de falaises. Bientôt, au-dessous de nous, nous apercevons une caravane de six à sept personnes que nous retrouvons au col (11h40). Sans nous arrêter, car cette fausse manœuvre nous a retardés, nous descendons, par quelques névés, et toujours d’affreux éboulis, jusqu’aux Oulettes de Gaube où nous admirons les glaciers nord du Vignemale et ses parois verticales (13h25.) On traverse les Oulettes (vallée ensablée, drainée par d’innombrables filets d’eau et semée de résurgences d’eaux glaciaires), et on attaque les lacets du col de la hourquette d’Ossoue en compagnie de deux personnes qui se relaient sur un mulet conduit par un guide.
Au sommet des trente lacets, que nous montons d’une traite, malgré la fatigue et la chaleur, mais avec la distraction de la vue si proche du Vignemale et du couloir de Gaube, nous faisons une halte d’une heure durant laquelle tout le monde dort. J’en profite pour aller chercher un bidon d’eau à un petit lac glacé, car nous souffrons tous de la soif.
À 15h40, on repart et nous passons le port à 16h30 pour atteindre le refuge d’Ossoue à 16h45. Ce refuge, ogival et goudronné, est d’un aspect lugubre ; le cirque restreint dont il occupe le centre est sans attrait, sauf une belle échappée sur le massif de Gavarnie. Temps froid et maussade ; on ne sait comment passer le temps. À l’heure du dîner, le refuge est plein (trois caravanes, quatre guides et nous). Nuit d’insomnie sur la paille, à cause de trois chipies qui chahutent jusqu’au jour.
25 août. Départ à 5h45, au milieu des caravanes. On aborde le glacier, exceptionnellement bon à cette saison, et, sans la moindre difficulté on en escalade le front ; puis, longue ascension en pente peu accentuée. Beaux effets de nuages et d’éclairage. Parvenus sur la partie plane du glacier, le brouillard apparaît, nous environne et nous masque le sommet. Au pied de la muraille de la Pique Longue, on dépose sacs et piolets et on grimpe jusqu’à la grotte artificielle du Paradis où on s’abrite un instant du vent glacial (7h45). Le chapeau d’Élisabeth s’envole dans le couloir de Gaube. À 8 heures, nous sommes sur le sommet, en nombreuse compagnie, mais on n’y voit pas à dix pas. Après un quart d’heure de vaine attente, on redescend, on s’arrête encore à la grotte, puis on part au pas accéléré sur le grand plateau, pour se réchauffer. Bientôt on se trouve sous les nuages et, à 9h45 nous arrivons au refuge d’Ossoue sous la pluie et la grêle. À 10h30, à la faveur d’une éclaircie, nous partons pour Cauterets par la hourquette d’Ossoue (10h45). Nous foulons les Oulettes de Gaube à midi, où nous déjeunons, après avoir croisé un vieux monsieur qui photographie le Vignemale. À 14 heures, après avoir descendu la vallée de Gaube, nous nous arrêtons pour nous baigner dans le lac de Gaube autour duquel déferlent de nombreux touristes et pèlerins que nous croisons, de plus en plus nombreux, jusqu’au Pont d’Espagne (15h20). Descente jusqu’à Cauterets - La Raillère où nous prenons un tram à 16h15. Retour le soir même à Mourlon.

Étude hydrogéologique du Liat
Ascension du Maubermé (2880 mètres)
Grotte des édelweiss (1930 mètres)
(30 août - 4 septembre 1932)

[Le côté technique de cette randonnée faisant l’objet d’un rapport spécial n’est pas relaté ci-dessous.]
30 août. Après déjeuner, je quitte Mourlon en auto, avec Élisabeth et maman que nous laissons à Saint-Martory, et nous continuons sur Sentein après nous être arrêtés au château de Coume, chez les Bégouën. Nous arrivons au Bocard d’Eylie pour dîner (Catala, M. et Mme Sartorio, Bronca, Sanègre, Tapie). Nous couchons au « château ».
31 août. Départ d’Eylie à 7 heures. Bentaillou à 10 heures. Nous y arrivons fatigués et ayant très faim. Nous faisons fonctionner la cuisinière électrique et Élisabeth confectionne un déjeuner avec les ressources de l’office : petits pois sauce tomate, corned-beef sauce tomate, café, pinard. Nous nous accordons un moment de sieste et, à midi, nous partons pour Ardan. Sur le sentier, nous avons la surprise de découvrir de très nombreux et très beaux édelweiss. À 14h10, nous arrivons à la résurgence (3,03°). Après une longue station, souvent dans le brouillard, nous nous apprêtons à repartir, lorsque nous voyons, plus haut qu’Ardan, dans des gazons et des roches très redressés, un trou où nous décidons d’aller. Après une gymnastique délicate, nous atteignons cet orifice. C’est l’entrée d’un couloir rectiligne horizontal où souffle un courant d’air glacé. Munis uniquement d’allumettes qui s’éteignent aussitôt, nous avançons pas à pas. Nous trouvons des plaques de glace et, à 300 mètres, le fond. Il y a là un blocage de dalles et de cailloux qui obstruent la galerie mais d’où filtre un violent courant d’air. Nous sortons de la grotte et, en cherchant entre elle et Ardan, je trouve d’autres crevasses avec courants d’air. Nous rentrons à Bentaillou dans les nuages et sous la pluie, à 18 heures. À ce moment, l’orage redouble et c’est une trombe d’eau très violente qui s’abat. (Cet orage a causé de graves dégâts à Toulouse.) Cabalet et son mulet arrivent sous ce déluge. Il porte des provisions et nos draps de lit, mais on a oublié de lui confier mon sac de montagne qui est resté à Eylie. Séchage au radiateur électrique, dîner, visite des bergers (le Maire et le Sourd), lecture (au Spitzberg).
1er septembre. Lever à 6h30. À 7h50, nous partons pour Ardan où nous arrivons à 9h05, munis de lampes à acétylène fermées. Inspection du limnigraphe qui est placé là depuis le 19 août. Nous accédons, toujours dangereusement, à la grotte des édelweiss où je place le thermomètre (1,0°). La grotte mesure 32 mètres. Pendant une heure nous travaillons à déblayer la galerie. Après avoir remué beaucoup de pierres et de blocs, nous y renonçons, devant l’étroitesse de la fissure et l’aspect peu engageant du plafond disloqué. Je sors et je monte au-dessus de la grotte jusqu’à une fissure où je crie et où je jette des pierres pour tenter de me faire entendre d’Élisabeth qui est restée à l’écoute au fond de la grotte. Elle n’entend pas la voix, mais il lui a semblé entendre deux pierres.
Au retour, près d’Ardan, je monte à un autre trou (ancienne résurgence), fermé à 12 mètres (horizontal). Nous sommes de retour à Bentaillou vers 12h30, toujours dans le brouillard. Après le déjeuner servi par Cabalet, nous prenons congé de ce dernier et, à 14h40, nous partons pour le port de la Hourquette et le Liat. Après l’étang de Chichoué, nous faisons un crochet pour aller à une résurgence vue en juillet. Elle sourd à 30 mètres en aval du point observé alors et sa température est maintenant 3,05° (au lieu de 2,07°). Nous montons le port dans le brouillard. Les entonnoirs y sont entièrement démunis de neige, mais les traces d’engouffrement, à la suite de l’orage d’hier, sont assez nettes. Vers le haut du port, Élisabeth est prise d’une crise d’urticaire qui atteint son maximum après avoir passé le port (17h10). Enfin, au bout d’une heure, cela se passe (dû, probablement, aux conserves de Bentaillou). Le temps est aussi très nuageux en Espagne. En passant le déversoir du Liat, le ciel est noir, il pleut et nous mettons les manteaux. Plus haut, au treuil du câble, nous rencontrons les six ingénieurs venus pour une visite extraordinaire et nous allons nous gîter dans la chambre et le lit du gardien du chantier (19h). Soirée, feu.
2 septembre. Lever, 6 heures ; très beau ; départ 6h25 (après l’incident du chien policier qui a couché dans notre pièce). À 6h55, nous stoppons un instant à l’Embudo où il fait froid (4° et vent). La cascade est vraiment faible ainsi que le rio Palomère, lequel se perd dans son lit. Par le sentier, nous montons lentement vers le Maubermé, mais nous sommes affaiblis par le manque de nourriture et nous marchons lentement. Nous atteignons un lac (signalé par Gourdon), puis on en aperçoit un second. On tire vers la gauche, vers un éboulis que nous allons ascendre après avoir laissé le sac au bas. Éboulis interminable et fastidieux où nous avons cependant la distraction de voir s’agrandir peu à peu l’horizon (Monts Maudits, Néouvielle, Vignemale, Gavarnie). Crète : vue simultanée sur l’Embudo et Ardan, et sur l’Ariège. La plaine est sous les nuages. Une grimpette facile et attrayante nous met au sommet à 11 heures. Temps clair, grand soleil, vue splendide. Nous séjournons une heure trente au pied de la tourelle où flotte un drapeau français. Registre ; le pic est peu fréquenté. Sur la crête, minerai et sillons de foudre. Vue plongeante sur Urets et Montolieu. Déjeuner ; vautours. Nous dévalons le grand éboulis schisteux, en nous donnant le spectacle d’avalanches de blocs qui font des sauts et des parcours extraordinaires. Au pied du pic, nous louvoyons en direction du col du Maubermé : étang, flaques, lagopèdes. Enfin, nous passons le col entre le Maubermé et le pic des Crabes et nous allons nous baigner dans un petit lac allongé, sans déversoir actuel, après une séance d’héliothérapie (14h30, eau à 15,04°).
Port d’Urets, 15 h 40. Après un dernier regard sur le lac de Montoliu qui dort dans ses berges de schiste et aux cimes espagnoles, nous descendons le sentier, taillé dans le roc, de la falaise d’Urets. A ce moment, le brouillard envahit la région que nous traversons sans pouvoir faire les observations que je projetais. Plus bas (deuxième falaise), le brouillard disparaît et nous voyons une belle résurgence, puis la fontaine d’Urets. Enfin, à 19 heures, après une longue descente, nous arrivons au Bocard.
3 septembre. À 9 heures du matin, je pars avec le mulet Barraquet pour monter au port d’Urets parfaire les observations que le brouillard d’hier m’a empêché de faire dans la partie supérieure du port. Par un temps splendide et un soleil brûlant, j’apprécie ce mode de locomotion que je n’avais jamais utilisé. Malgré quelques passages scabreux et la paresse de ma monture, je passe une journée royale, prenant des notes du haut de ma selle. Je relève ainsi l’hydrographie de ce port et je constate que la fontaine d’Urets n’est que la résurgence du torrent supérieur et que le lac de Montoliu, ni celui du Liat, n’ont rien à voir avec les eaux nées dans le cirque d’Urets. Au bas de la dernière muraille du port, j’attache le mulet dans un baraquement abandonné et je continue à pied (14 heures) jusqu’aux névés qui donnent naissance à la résurgence de Coustère. À la descente, parvenu à la Plagne, je m’engage dans la vallée vers Bentaillou pour voir l’hydrographie et je remonte au Bocard à 19 heures. Pendant mon absence, les Bégouën sont venus en nombre faire un déjeuner sur l’herbe à la Plagne et ont invité Élisabeth. Dîner, pelote basque, et au lit à 23 heures.

Séjour à Bentaillou
Découverte de la grotte de la Cigalère
(29 septembre - 4 octobre 1932)

29 septembre. Saint-Gaudens, Saint-Martory, Salies en auto avec Élisabeth qui me dépose à la gare de Salies vers 16 heures. Le train a du retard et n’arrive à Saint-Girons qu’à 18 heures. Là, je prends le tram qui arrive à Sentein à 21 heures. Avec le boucher Moune, qui me porte en camionnette, j’atteins enfin le Bocard d’Eylie à 22 heures (15 francs). Je me fais donner la clé de Bentaillou pour partir demain de bonne heure, et je vais me coucher au château. Il pleut et le vent fait rage.
30 septembre. Lever, 7h40 ; départ, 7h20. Beau temps. Après avoir hésité, je décide de monter à Bentaillou par la Plagne (ce qui est beaucoup plus long), afin de mieux étudier le cirque et de voir au passage la résurgence des eaux du Floret qui a été décelée récemment par une expérience de fluorescéine (fin juillet).
En passant au confluent de la Plagne, je prends les températures suivantes : Urets, 3,07° ; Lez, 4,04° ; résurgence de la Plagne, 7,04°. Au moment de quitter le thalweg pour prendre les lacets du chemin de Bentaillou, je trempe encore le thermomètre dans le Lez : 3, 06°.Le chemin, autrefois carrossable, de Bentaillou, monte doucement en forêt ; il fait des lacets interminables qui me permettent de scruter le cirque de la Plagne et d’en dresser un schéma. Il a neigé fraichement, jusqu’à 1900 mètres. Vers 11 heures, après avoir rencontré des brebis, j’arrive à un ravin où se trouve le ruisseau de la Cigalère et divers filets d’eau. 1er filet : 10,04° ; 2e filet : 10° ; 3ème : 9° ; ruisseau de la Cigalère : 6°. Le sentier franchit le ruisseau de la Cigalère à la faveur d’un gros éboulis où le ruisseau disparaît. À 15 mètres au-dessous du sentier, l’eau jaillit abondamment parmi les blocs, mais on remarque que son débit a bien augmenté. C’est en effet sous cet éboulis que se produit la résurgence de l’eau des étangs d’Albe et de Floret.
Température : 5,05°. Le sentier passe à flanc d’éboulis, au pied d’une belle falaise verticale de 100 mètres de haut ; c’est le Rocher de la Cigalère. Au pied de la falaise calcaire, à 10 mètres au-dessus du sentier, j’avais avisé, de loin, un trou. Je n’ai garde de monter et voir ce porche auquel je suis surpris de trouver des dimensions intéressantes (4 à 5 mètres de large, 5 à 6 mètres de haut, et couloir rectiligne). Je fais quelques pas à l’intérieur, puis je redescends au sentier où j’ai laissé mon gros sac et j’allume une bougie.
À 40 mètres à l’intérieur, j’avance pas à pas sur un chaos de rochers et j’entends le bruit d’un cours d’eau souterrain. Je ne doute pas un instant qu’il s’agisse du Floret souterrain et, en effet, à 80 mètres, la descente s’achève au torrent hypogé (NDLR : qui se développe au-dessous de la surface du sol, dans la terre, dans les grottes ou les eaux souterraines) qui court sur un lit de graviers, entre des berges d’argile noire et glissante. Tout est noir dans cette grotte qui devient immense et la bougie n’éclaire que le bout de mes pieds. (Eau, 5,05°). J’avance sur des vallonnements argileux, jusqu’à 60 pas de l’entrée. Là, je me sens isolé dans une vaste salle sans limites, et j’entends un bruit de cascade. Poursuivre l’exploration avec une seule bougie serait de la folie alors qu’à Bentaillou je trouverai des lampes à acétylène. Je fais demi-tour, sûr, déjà, que personne ne connaît l’existence de cette caverne. Au premier lacet après la grotte, j’aperçois Cabalé qui me guette du haut d’un piton. Prévenu de mon arrivée, il m’attendait et descend vers moi pour m’aider à porter mon sac, très lourd. Il est midi trente quand nous arrivons à Bentaillou où se trouvent déjà Bronca et Dubreuil, montés ce matin par Rouge. Après le déjeuner, je demande à Cabalé de me préparer une lanterne à acétylène. Il en prépare deux et manifeste le désir de m’accompagner. Nous descendons rapidement jusqu’à la Cigalère et pénétrons dans la grotte. La cascade entendue ce matin n’est pas l’obstacle que je craignais ; ce n’est qu’un barrage tombé des voûtes où l’eau passe bruyamment. Ici, la salle mesure bien 50 mètres de large. En amont, nous cheminons dans une diaclase de 3 à 6 mètres de large, tantôt dans l’eau jusqu’aux genoux, tantôt sur des barres d’argile, de graviers, de galets ou des corniches et des dérivations.
Nous marchons vite et toujours la caverne se poursuit. À la traversée d’un bassin, Cabalé reste sur place et je continue pendant 225 mètres. Je reviens en arrière pour exhorter Cabalé à passer, ce qu’il fait, et nous repartons de l’avant. Nous dépassons un petit cairn que j’avais fait à 225 mètres en amont de Cabalé et nous faisons encore 325 mètres. Là, nous nous arrêtons devant une nouvelle nappe d’eau où je n’ose plus entraîner mon compagnon, qui tousse beaucoup. Nous faisons un cairn et revenons en arrière. En arpentant, au retour, nous saurons que nous étions là à 980 mètres de l’entrée.
À 150 mètres de l’entrée, nous pénétrons dans une galerie affluent rive droite. Long de 100 mètres, cet affluent provient d’une cascade de 7 à 8 mètres de haut qui tombe d’une lucarne. À côté, galerie supérieure où je n’essaie pas de monter, mais qui n’est pas difficile. Cet affluent n’aboutit pas directement dans le ruisseau de Floret ; il disparaît dans un tiroir par une dérivation.
Nous sortons enfin de la grotte et, à 17h30, nous sommes à Bentaillou, où nous retrouvons Bronca et Dubreuil. Cuisine, lecture, dîner. Pendant le dîner, j’avais mis à sécher, à côté d’un radiateur électrique, ma veste, mes chaussettes et mes souliers ; un de ces derniers étant tombé sur le radiateur a le talon et le contrefort entièrement brûlés... Je téléphone à Catala ma mésaventure et la découverte de la grotte. Enthousiasmés, nous convenons de reprendre l’exploration demain, à 14 heures, et il m’apportera des chaussures. Je couche dans une chambre-cellule, entre Bronca et Cabalé.
1er octobre. Départ à 8h20 pour la région d’Albe. Vent violent, froid vif. Je remonte le ruisseau de la Cigalère, issu du pic de l’Har. C’est le synclinal de Bentaillou, creusé dans les schistes, avec érosion profonde. Puis, j’oblique à gauche, je visite au passage, quelques excavations des mines, et je me dirige vers le port d’Albe, en franchissant le contact schiste-calcaire. À ce moment, j’aperçois Bronca et Dubreuil qui sont passés à Chichoué et montent, eux aussi, vers Albe. Je passe au seuil d’une cascade venue de la Serre d’Araing et je remonte le lit desséché du déversoir de l’étang de Floret. Au passage d’une gorge calcaire de 4 à 5 mètres de profondeur et 2 à 6 mètres de large, non loin du contact avec le schiste, se produit la perte. Elle est rive gauche, strates presque verticales, température 2° (à cause de l’enneigement tout proche). Le débit paraît plus faible que dans la grotte. À l’origine de la petite gorge, à quelques mètres de la rive droite, existe un ancien lit avec un puits de fuite. J’y descends, mais, à 5 mètres de profondeur, il est obstrué. Dans le voisinage, je remarque des diaclases colmatées et une ancienne zone d’absorptions. À environ 400 mètres en amont de la perte, j’atteins l’étang de Flouret, peu profond, 80 mètres x 60 mètres, température 2,06°. La neige commence ici. Je monte péniblement un chaos enneigé pour atteindre le vaste porche de la grotte des Corneilles. Salle de 15 mètres et deux prolongements rampants, de 15 et 22 mètres. (Glace.)
Il est 11h50. Je descends rapidement jusqu’à la cascade du ruisseau d’Araing. Là, j’abandonne l’itinéraire de la montée, et je descends vers Chichoué. Au bas du ressaut de la cascade, le ruisseau se perd (contact schiste-calcaire). Il y a là deux lits à sec. Celui de gauche reste desséché, celui de droite s’engage dans une gorge où l’eau reparaît. Mais au bas de la gorge, dans le même plan que l’étang de Chichoué, il se perd encore, mais le lit en delta est net jusqu’à l’étang (7°). Je marche très vite et j’arrive à Bentaillou à 12h15, pour déjeuner.
À 15 heures, après être descendu par la rive gauche du ruisseau de la Cigalère, nous arrivons à l’entrée de la grotte avec Bronca et Dubreuil, porteurs de cinq lampes. Bientôt, arrivent du Bocard, Catala et Dunglas. On pénètre dans la grotte. Je fais les repères lumineux et j’arpente, tandis que Dubreuil fait les visées à la boussole de mine. Nous arrivons sans encombre au terminus d’hier. On patauge 20 ou 30 mètres de plus et on arrive au siphon (1 kilomètre de l’entrée). Une galerie sèche montante s’embranche là, où nous pénétrons. D’abord étroite et accidentée, avec chatières, nous arrivons à une salle haute, « la Mer Blanche », puis cascade de stalagmite, chatières et diaclase à 45°. Il y a fort longtemps que nous sommes sous terre et subitement nous débouchons dans une galerie facile et avec des concrétions de plus en plus belles. Les stalactites présentent des formes et des scintillements extraordinaires. C’est le « Palais des Fées » dans toute sa splendeur. C’est indescriptible et les exclamations admiratives ne cessent point. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau sous terre, ni d’aussi varié.
Nous dépassons un embranchement, le couloir se rétrécit. Bientôt il faut se coucher et ramper sur des tas de sable. Enfin, un évasement terminal, au-delà duquel il y a cependant un laminoir qu’il faudra désobstruer. Un courant d’air pénètre dans ce laminoir ; l’exploration pourra peut-être se continuer. Dubreuil additionne les visées, nous sommes à 1,600 km du jour et la direction de la grotte est presque rectiligne. On fait demi-tour et, délivrés du souci des visées et de l’arpentage, on met quarante-cinq minutes à revenir au jour. Il est 19 heures, nous avons passé quatre heures sous terre. Sans éteindre les lampes, car il fait nuit, nous descendons par le chemin de la Plagne et nous arrivons au Bocard à 21 heures, après que j’aie semé mon piolet à la Plagne, à la faveur d’un changement de chaussures. On se couche à 23 heures, après avoir bu à la continuation de la grotte.
2 octobre. Il y a eu le changement d’heure dans la nuit. Je me lève à 6 heures pour aller chercher mon piolet oublié hier à 1 kilomètre en amont du confluent de la Plagne. Je le trouve au lever du jour. À 7 heures, je suis de retour au Bocard, j’attends l’arrivée de Cabalé et je repars pour Bentaillou. Je monte d’une traite en cinquante minutes jusqu’au Rocher de la Halte, en haut de la forêt. Au-dessus de la Cataouère, je m’arrête avec le berger « le Maire », qui me raconte qu’en 1897, l’eau sortait par la grotte de la Cigalère. (L’autre berger, « le Sourd », m’a assuré, la veille, que le même fait s’est produit en novembre 1928.)
À midi, j’allume la cuisinière électrique pour confectionner des petits pois et le café. Le temps est incertain, les souliers de Loustau me blessent, je dois renoncer à monter au Liat et je me résigne à redescendre au Bocard, non sans passer à la grotte de la Cigalère, où je compte prendre des stalactites. À 14 heures, je descends vers la grotte où j’arrive à 14h45. En vingt-deux minutes j’atteins le siphon. Je suis très fatigué. J’atteins 1400 mètres, j’emballe deux stalactites très soigneusement et je fais demi-tour.
À 17 heures, j’achève ma randonnée solitaire au cours de laquelle j’ai réussi à sauver mes stalactites.
À 17h10, je descends très chargé, puisque j’ai mon sac et mon butin. Je marche à merveille, et grâce à des raccourcis judicieux, je suis à la Plagne à 18 heures et au Bocard à 18h50. Le soir, je lis au lit jusqu’à l’arrivée de Catala, à 23h30, qui est stupéfait de me voir là alors qu’il me croyait au Liat.
3 octobre. Lever, 8h45. Départ à 9h30 avec Dubreuil, par Rouge, tandis que Bronca monte à mulet par la Plagne avec des provisions et mon sac. Nous arrivons à midi et le temps se gâte. La cuisine se prolonge ; ce n’est qu’à 16 heures que je pars, dans un brouillard épais, pour aller visiter une résurgence-grotte vue il y a quelques jours au débouché du ravin sec de Chichoué.
À 16h30, j’atteins la grotte par pentes très redressées. Il en sort un petit ruisseau à 4,09°. La grotte est au contact schiste-calcaire. C’est un couloir montant. À 25 mètres à l’intérieur se présente un embranchement, l’un de 20 mètres avec cascade de 3 mètres, chatière, puis impénétrable (eau : 4,08°), l’autre, courant principal (4,06°), n’est pénétrable et péniblement, que sur 12 mètres. Il s’agit très probablement de la résurgence de l’étang de Chichoué qui se perd à 3 ou 400 mètres en amont. Dans la première partie de cette grotte, on a porté un long tuyau, que l’on a dressé contre une paroi pour dénicher des corneilles. Au retour, j’explore un peu un ravin voisin, puis je remonte à Bentaillou par l’éboulis de fenêtre de tunnel où je récupère de vieilles lampes à acétylène. À 18h40, j’arrive à Bentaillou où Dubreuil s’inquiétait de ne pas me voir rentré, car le brouillard est très épais et il pleut. Après le dîner, on sort pour voir le temps. Toujours le brouillard ; des oiseaux volètent autour de l’ampoule électrique.
4 octobre. Lever à 9h30, car il fait très mauvais. Il a neigé à Chichoué. À 11 heures, je pars pour Chichoué où je vais visiter la perte du déversoir. J’entre dans cette perte (eau : 7,06°) ; descente en crans rapides. Je parcours difficilement vingt mètres, puis le conduit devient impénétrable, avec courant d’air. Au retour, à l’escalade d’un ressaut, la lampe à acétylène m’échappe et tombe sous un mètre d’eau. À cause de la position délicate, je l’abandonne et je sors. Après un instant de repos, je reviens à l’intérieur avec la lampe électrique et, grâce au piolet, je repêche la lanterne. Cette perte est au contact schiste-calcaire.
Je descends le ravin desséché jusqu’au tunnel en planches et j’arpente 270 pas. Là, je pénètre dans le tunnel pour me rendre compte. Je chemine longuement jusqu’à la croisée d’un autre tunnel, en plan très incliné, que je remonte, et je revois le jour à Narbonne au terminus du câble aérien. (NDLR : Narbonne désigne ici une galerie de mine.) À midi quinze, je suis à Bentaillou pour déjeuner. Le brouillard et la pluie redoublent ; impossible de songer à monter au Liat. À 15h15, nous partons pour le Bocard sans y voir goutte (pluie, imperméable). Au bas de la forêt, nous trouvons quelques cèpes. Nous arrivons à Eylie à 16h30. J’achève la journée à me documenter sur la région, d’après la carte et le plan en relief.
5 octobre. Je ne quitte Eylie, en auto avec Catala, que vers 16 heures. À Sentein, l’institutrice monte avec nous. À 17h30, nous sommes à Mane, mais Élisabeth n’est pas au rendez-vous (ou, plutôt, elle est déjà repartie). Catala me dépose à Saint-Martory vers 18h15. Je dîne avec maman et, à 20 heures, je prends le train pour Saint-Gaudens. Élisabeth, qui me cherche partout en auto, me rattrape sur le chemin de Mourlon que je regagnais à pied.

Val d’Aran
Vallée de Barrados
Pile d’Arrós
Pic de los Armèros
Liat
Bentaillou
(17 - 19 octobre 1932)

Élisabeth me dépose en auto à Fos, à 9h30. À 11 heures, départ en autobus pour le val d’Aran. Vers midi je descends à Aubért et je vais aussitôt au village de Vilac (déjeuner à mi-course) pour voir le senior de Miquel, dit « Toude Barou ». En son absence, je parle à son frère qui me confirme l’existence de la Pile d’Arrós. Sous la bruine, je redescends à Aubért et, de là, je suis la route vers Bossost (18 kilomètres), pour aller y coucher. Chemin faisant, je m’arrête au pont d’Arrós, chez Michel Arro, qui accepte, moyennant 10 pesetas, de me conduire à la Pile d’Arrós, mais pas ce soir, car il est trop tard. Je dînerai et coucherai chez lui (5 pesetas) pour partir le lendemain de bonne heure. Il est 15h30. Pour passer le temps, je monte sur la montagne d’Arrós, au-dessus des cultures, et je vais me percher sous un bois de pins, sur un rocher en belvédère sur la vallée. Je reste là jusqu’au crépuscule, face à la forêt de sapins de Barricaoule, dominant le confluent de la Garonne et du Barrados, non loin duquel on travaille à la nouvelle route de Vilamós. Je descends enfin et je rentre au village en même temps que les troupeaux, les pastourelles et les bûcherons.
À 19 heures, après être allé au confluent prendre les températures, je rentre dans la nuit noire chez Arro. Dîner très bien : potage vermicelle, pommes de terre bouillies, agneau, omelette, pâte de coings, gâteaux secs et camomille.
À 21h30, au lit (chambre propre et literie aussi).
18 octobre. À 3h50, réveil, café. À 4h15, nous partons rapidement, par une nuit splendide. Clair de lune très intense. Deux planètes brillent d’un éclat qui ne m’avait jamais paru aussi fort. À travers prés, nous remontons le rio Barrancos. Deux passerelles, puis source sulfurée froide qui sourd d’un rocher schisteux ; odeur prononcée. On dépasse, en le laissant sur la gauche, l’ermitage de Sant Joan d’Arrós. Au passage, mon guide me nomme les affluents du Barrados : rive droite, le rio San Juan ; rive gauche, rio Nere, rio Escure, rio Saseque, qui descendent du « désert d’Arrós ».
À 6 heures, la Maladeta, que l’on avait vue au clair de lune et au petit jour, s’enflamme au lever du soleil. Rive droite, rio Salès, rio Guarbès, cabanes des Artigues, plateau des Artigues, ravin de Laouen Loung et cabane d’Elsé, où nous trouvons un troupeau de moutons encore endormis, gardés par un chien de montagne féroce. Sans le berger, ce chien nous aurait attaqués. Halte de 6h30 à 6h40 dans la cabane de ce berger, qui est de Gistain, ainsi que le troupeau. Ils vont repartir dans quelques jours pour Vénasque, en faisant étape à Arrós, à l’Artiga de Lin et à l’Hospice de Vénasque.
Après Else, nous traversons une bande de calcaire, puis le rio Termé, rive droite, une résurgence à 5,01°, et, à 7h30, nous entrons dans le soleil à la cabane des Artiguettes. Ici est le confluent du rio Barrados avec la cascade du Saut de la Piche qui est formé du rio de Sarros Campat et des déversoirs du lac de Sanala et des Estagnous. À 8h30, après avoir monté sur le plateau de Campat à travers bois et longé le défilé du Sarrets, mon compagnon trouve la fameuse Pile d’Arros, résurgence considérable qui jaillit à 1,50 m au-dessus du torrent en s’extravasant d’un bassin très limpide, caché sous une voûte. Cette émergence se produit à la faveur d’un contact schiste-calcaire. Après diverses observations, nous remontons sur le plateau, près du Trou de la Vache (ancien sondage de mine) où nous déjeunons (9h15 - 9h45). Le brouillard s’est levé dans le bas de la vallée ; il monte rapidement et nous submerge. Je dois renoncer à mon projet d’aller visiter la région de la Soula et des Estagnous et, après avoir payé mon guide, je pars seul vers le Liat, dans le brouillard.
À 10h45, je fais halte au-dessus de Fontaine Rouge, à un rocher où nous nous sommes arrêtés, avec Élisabeth. Je suis à peu près à la limite du brouillard et je contemple une splendide mer de nuages d’où émergent les cimes de Luchon et du Néouvielle, pic du Midi, Vignemale.
À 11h45, après avoir traversé quelques lambeaux de neige, j’atteins les flancs du pic de los Armèros, à un endroit où j’avais cru voir une grotte en juillet. C’est à peine un surplomb. Je monte plus haut, jusqu’à un col qui domine la vallée de Barrados (lac à mes pieds) et, sans sac, j’entreprends l’ascension du pic qui se fait sans difficultés, malgré mes chaussures de ville sans clous. C’est une arête herbeuse dont j’atteins le sommet à midi quinze. Très belle vue ; malheureusement, toutes les vallées sont comblées par la mer de nuages qui s’enfonce dans tous les fjords.
À midi trente, je retrouve mon sac et, à travers la région lacustre et vallonnée qui domine le cirque de l’Ase de Caldéré, j’arrive en vue du Liat. Je descends vers l’Embudo à travers le district minier où je vois des galeries et des entonnoirs qui engouffrent de petits ruisseaux et j’arrive à l’Embudo à 13h50. J’arpente son périmètre (340 mètres) et j’évalue son diamètre à 70 mètres, sa profondeur à 30 mètres. Je casse la croûte au bord du torrent (9,01°), assez fort. L’Embudo n’est séparé du rio Paloméro que par 17 mètres de roche. À 14h15, j’attaque les pentes qui me séparent du port de la Hourquette que j’atteins lentement, mais sans fatigue, à 16h25. Descente sans incident jusqu’à la cuvette de Chichoué où je découvre une nouvelle résurgence, à 110 mètres environ de celle que je connaissais déjà, au pied des lacets de la Hourquette. Il s’agit sûrement de résurgences des eaux enfouies dans la vaste zone des entonnoirs de la Hourquette. Ces deux résurgences sont à 3°. Je longe l’étang de Chichoué. Le limnigraphe et la porte du déversoir sont à 70 mètres de l’étang.
À 17 heures (après treize heures de marche) j’arrive à Bentaillou où je pénètre par une fenêtre. Par téléphone, je fais adresser un télégramme à Élisabeth pour qu’elle vienne me chercher demain au Bocard. Cuisine, repas, lecture, chauffage. Je me couche à 21h30. Insomnies ; je lis de 3h20 à 5 heures.
19 octobre. Lever à 7 heures. Il fait beau en altitude, mais ici le brouillard fait son apparition. Je décide de visiter la grotte de la Cigalère en descendant au Bocard. Muni de l’unique lampe à acétylène de Bentaillou, je pars à 7h20. Brouillard et brume. À 7h40, je suis à la grotte. Mais, à 80 mètres à l’intérieur, là où l’eau rejoint le torrent souterrain, je constate qu’il y a 2 ou 3 mètres d’eau. Les chutes de neige récentes ont grossi le torrent, et l’engorgement de la résurgence crée à l’intérieur une retenue d’eau. Visite impossible (eau : 5,05°)
À 8h35, je repars, après avoir évalué à 10 mètres la différence de niveau entre l’eau et la sortie de la grotte. À 10h30, j’atteins le thalweg de la Plagne. Vers midi, j’arrive au Bocard pour déjeuner. À 15 heures, Élisabeth arrive en auto avec ses parents pour me rapatrier.

Bentaillou/Liat
Montgarri
Port de Salau
(14 - 18 novembre 1932)

Lundi 14 novembre. À 14h30, nous arrivons en auto à Eylie et, aussitôt, avec maman, nous prenons le chemin de la Plagne tandis qu’Élisabeth repartira en auto, après déjeuner, avec Catala et Salègre. À 13 heures, nous déjeunons à l’amorce des lacets du chemin de Bentaillou, au seul endroit ensoleillé. D’ailleurs, le soleil nous quitte bientôt et se cache derrière le pic du Coumenges. Montée par très beau temps et température un peu étouffante en forêt. À 15h30, nous arrivons à la grotte de la Cigalère où je constate qu’une dalle, qui était en équilibre à droite du porche d’entrée, s’est écroulée tout récemment (sans doute lors d’un tremblement de terre, datant de quelques jours). Nous pénétrons dans la grotte jusqu’au torrent pour constater son débit. Il a baissé de 1,10 m depuis le 19 octobre, jour où il était en crue. L’eau est à 5°. À 16 heures, nous sortons de la grotte et à, 16h35, nous arrivons à Bentaillou où nous trouvons Dubreuil. Une heure plus tard Bronca rentre d’Ourdouas et se met à faire la cuisine. Cuisine, chauffage, diner. Clair de lune très beau, température assez douce (7°). Nous couchons dans des chambres jumelles.
Mardi 15 novembre. Lever à 6h30 et, à 7h35, nous partons pour le port de la Hourquette. Beau temps, ciel blanc, 8°. La neige commence à Chichoué. En passant, je prends la température de la résurgence du ravin de la fenêtre B : 3°. À l’amorce des lacets de la Hourquette, deux perdrix s’envolent. Les lacets disparaissent sous la neige. La zone des entonnoirs est toute blanche, mais la neige est ferme et on avance aisément.
À la sortie des entonnoirs, avant le coup de collier du port, nous cassons la croûte et nous apercevons un isard qui achève de monter et disparaît par le faux col de la Pyramide de Serre. À 10h10, nous passons le port, par grand vent. Le versant espagnol est peu enneigé et nous dévalons vers l’Embudo. Belle vue sur les Encantats, Maladeta, Lys, Oô, Néouvielle. À 11h05, nous faisons le tour de l’Embudo, maman avec sa baguette, à titre d’expérience. La baguette et le pendule indiquent le contact schiste-calcaire, la petite grotte et, probablement, les courants d’eau. Tout le versant de la Hourquette est en pleine fonte, les ruisseaux coulent et se perdent dans les entonnoirs. Nous déjeunons au bord du gouffre et, à 12h15, nous montons vers les mines de Liat. Une tourmente de neige semble imminente. Le brouillard masque, par moments, la vue.
À 13 heures, nous arrivons aux bâtiments et le temps semble vouloir rester au beau. On s’introduit dans le bureau par le grenier, on prend possession des lieux, on laisse les sacs et, à 13h30, nous repartons. Nous traversons le déversoir du lac de Palomèra, en partie glacé (2°), et nous attaquons les pentes redressées de la Pica Palomèra où nous trouvons des plaques de glace qui nous retardent et nous rejettent sur la gauche. Sous la crête, nous sommes assaillis par un vent violent et glacial. À 14h25, nous sommes au piton noir du Palomèra. Nous poursuivons notre promenade de crête, en balcon sur le Barrados. Les lointains sont tronqués par des nuées. Traces d’isards nombreuses. Vu l’estanh Nere (moins grand que le lac de Palomèra). À l’extrême droite, on voit le pic du Midi, le Montaigu, le Nistos, le bas du Cagire.
Parvenus au cap de Güèrri, nous abandonnons la crête et rentrons vers notre cantonnement, en visitant au passage quelques galeries de mines. À 15h30, retour à la maison. Corvée d’eau et de bois, furetage en quête de carbure, trouvaille de pain et de riz. Maman fait la cuisine et le café pour le lendemain. On installe des paillasses sur un sommier et sur la table ; nous avons sept couvertures. Enfin, on dîne : bouillon aux pâtes et croûtons, riz, provisions diverses. Il neige par moments. À 21h45, on se couche avec un grand feu dans la pièce. Nuit froide et agitée.
Mercredi 16 novembre. Réveil à 6h30, café, départ à 7h35, par très beau temps. Nous descendons la vallée en évitant l’Embudo et le premier défilé. Du haut d’un mamelon, je prends un croquis du plan qui se déroule, tandis que maman m’a devancé. Cabane, lit desséché, entonnoirs. Je pénètre dans une perte (desséchée en ce moment). C’est une diaclase très descendante : 20 mètres de trajet pour 12 mètres de descente et ça continue, mais je n’ai qu’un bout de bougie et la roche est tellement noire que j’y vois à peine.
Nous suivons une gorge rive gauche, puis rive droite, pour descendre dans un nouveau plan, puis un autre, très vaste, où l’eau sourd de partout : c’est le Plan deth Tor, dont on aperçoit les mines, bâtiments et sentiers au-dessous de nous, rive gauche. À 10 heures, casse-croûte en vue du confluent d’Unhóla - Montabren. Descente rapide et facile par le sentier (traces de trainage de rails) jusqu’à Bagergue où nous arrivons à 12h20. Les rues sont des bourbiers. Café, et en route pour Montgarri. À quelques minutes au-dessus du village, nous déjeunons, ayant sous les yeux le val d’Aran (cinq clochers), et les Monts Maudits.
À 13h45, on se remet en route et nous franchissons la croupe qui nous sépare du Pla de Béret. Vue sur l’Ayguenach, la Garonna de Ruda, la route de la Bonaigua ; troupeaux et sauterelles. À 14h50, nous atteignons le Goueil de Garonne, source insignifiante (à 6,02°), qui met deux secondes à remplir mon quart ! À peu de distance, on voit une pierre levée qui marque le seuil du Pla de Béret et le début de l’immense pâturage que nous allons mettre deux heure trente à traverser en suivant un sentier jalonné par des menhirs et par des traces de rails qui proviennent des mines du Tor ! De nombreux ruisseaux contribuent à former la Noguera Pallaresa.
Le temps se maintient très beau, mais le vent est froid dans la traversée du plateau. À 16h30, après avoir traversé un bois de pins, nous arrivons à la première maison de Montgarri, chez François, où nous trouvons l’hôtesse et des carabiniers. Au coin du feu, devant une cheminée où pendent une belle crémaillère et la « vera » pour les torches de pins, nous attendons l’heure du dîner (tourin, frites, omelettes, raisins noirs, gâteaux secs). Vers 20h30, nous montons au premier étage. Chambre à deux lits.
Jeudi 17 novembre. Lever à 6h15. Café au lait. Écot individuel : une peseta. Départ à 7 heures. Temps splendide, forte gelée. Après quinze minutes de descente on traverse Montgarri et l’ermitage, et on s’engage dans la longue vallée solitaire de Pallaresa, à pente peu accentuée. Les cultures s’étendent loin et haut sur le versant du Salau. Vu trente chevaux au pacage. Traversée des bordes d’Isil, des anciens bâtiments ruinés du Bouché d’où part le câble du port de Salau. Dans le torrent, nous voyons des truites.
À 11h10, nous atteignons « Escalo Alta », au confluent du Noguera et du Barranco del puerto de Salau. Déjeuner ; corned beef. À 11h45, nous partons à l’assaut du port, sous un chaud soleil. (Ruisseau avec perte et résurgence.) Échantillons de calcite nombreux. Pâturage brûlant (un 17 novembre !), lacets, lapiaz. Port (2037 mètres) à 13h55. On prend deux photos et nous descendons aussitôt sur le versant français, abrupt et désolé. Lacets, refuge, première source du Salat, longue descente ; un bon raccourci dans les buis nous fait atteindre le thalweg à hauteur des premières granges.
À 16h40, arrivée à Salau. Café et limonade, télégramme à Élisabeth, et nous couvrons les cinq kilomètres qui nous séparent de Couflens où nous sommes à la nuit noire. (Visite à Nounou.) (Note de Gilberte Casteret : Comme beaucoup de nourrissons à cette époque-là, N.C. n’avait pas été nourri par sa mère. Une solide montagnarde pyrénéenne avait été requise par nos grands-parents pour remplir cet office et elle avait passé plusieurs années dans la famille. Quand notre père passait à proximité de son village, il ne manquait pas d’aller lui rendre visite.)
Dîner copieux à l’hôtel Ambiès avec une colonie d’ouvriers espagnols. Encore une petite promenade ; cartes postales. Coucher à 20h30. (Avec le café au lait du lendemain, 15 francs par personne !)
Vendredi 18 novembre. En autobus de Couflens (5h30) à Saint-Martory (8h15).

Source du Job
(23 mars 1933)

Toute la famille et maman, en auto, à Juzet d’Izaut. Là, en auto, nous nous engageons dans le mauvais chemin de Soum jusqu’au terminus praticable. Puis, après 200 à 300 mètres à pied, nous dominons la gorge du Job et les carrières de marbre d’Arguenos. (Grotte de M. Renou.) Le chemin, bon et pittoresque, nous amène à flanc de Cagire, à travers hêtraies et sapinières, jusqu’à une petite clairière où l’on s’installe pour le pique-nique à 12h30.
Vers 13h15, la troupe se scinde : M. et Mme Martin restent sur place avec Gilberte (qui est venue jusqu’ici à pied : 2 ans et demi). Et avec maman, Élisabeth, Raoul et Maud, nous continuons vers la source du Job où nous arrivons vers 14h30 après une longue marche en forêt et dans des prairies du thalweg. La source sourd par plusieurs filets à travers un éboulis qui se relève très haut et qui est adossé à une crète secondaire du pic du Gar. Restes d’avalanche de neige au bas de cet éboulis. À ma grande surprise, la source est à 8°. Son origine ne serait donc pas lointaine et son cours souterrain serait bref. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une dérivation souterraine d’un ravin mort (avec lit fossile très apparent) qui conflue avec le Job à 60 mètres en aval de la source.
Au retour, je me détache avec Raoul et nous attendons longtemps le trio qui s’est engagé sur un chemin de la rive gauche et qui a dû se déchausser pour traverser le Job. Cette région, entre Gar et Cagire, est très belle et très boisée ; quelques falaises s’étagent sur les flancs du Cagire qui est encore sous la neige. Au col de Buret, entre Sengouagnet et Juzet, à droite de la route et en contrebas, dans des prairies, j’avais plusieurs fois remarqué un effondrement. Aujourd’hui, j’y suis allé : entre trois grands peupliers d’Italie, j’ai vu qu’il y avait là un regard sur un ruisseau souterrain et, en même temps, perte d’un ruisselet né à 10 mètres en amont, dans la même prairie. Malheureusement, le puits est actuellement bouché et masqué par des branchages et des ronces dont on l’a recouvert. Encore une de ces innombrables circulations souterraines.

Ascension du Cagire
(8 avril 1933 ; 4e fois)

Avec maman. En auto jusqu’à Juzet d’Izaut, d’où nous partons à 7h20. À 7h45, nous entrons en forêt par le sentier d’Arguenos. À 8h20, clairière. À partir de cette clairière, et surtout d’une deuxième, il n’y a plus guère de sentier ; nous montons au jugé en forêt. Nous faisons un crochet à gauche et en descendant pour aller voir la cabane de Juzet, qui est suffisamment confortable (10°). À 60 mètres à l’ouest de la cabane, et à même altitude, existe un puits naturel, recouvert de troncs d’arbres. À 7 ou 8 mètres en contrebas existe un goulet au-delà duquel on ne peut guère juger de la profondeur.
Nous reprenons l’arête de Couage pour arriver, affamés, au sommet de Pique-Poque à midi précises. En montant cette arête nous avons eu le loisir d’examiner le bas, le ravin du Job, et la zone qui alimente la source-résurgence du Job. Nous déjeunons copieusement, buvant l’eau qui suinte d’une flaque de neige, et examinons longuement le beau panorama à la lorgnette (du Montaigu au mont Valier). Les Monts Maudits, surtout, sont splendides, et nous en détaillons les aspects familiers. Cependant, des nuages se sont formés rapidement et nous cachent par moments le Cagire et l’Ariège.
Je vais un peu en contrebas de Pique-Poque, versant sud, pour repérer des puits qui, paraît-il, y existent. Je ne les trouve pas et fais lever une perdrix. À 14 heures, après deux heures exquises passées au sommet, nous partons pour le Cagire par l’arête où existent encore quelques belles corniches de neige. Le puits de Cagire, où nous descendîmes le 26 juillet 1932, est bien à 60 mètres sud-ouest du sommet et à 10 mètres au nord de la crête. Il est nivelé par la neige qui forme un pont au-dessus de lui. Au piolet, je fais écrouler une partie de ce pont sous lequel on aperçoit quelques mètres de pentes neigeuses. Le puits paraît colmaté, ou peu s’en faut.
À 14h25, sommet du Cagire enneigé, où nous ne faisons que passer pour descendre aussitôt, en quelques toboggans, au fil de l’arête, très raide, de Plaède. Après la neige, on descend dans le pâturage très penté, puis en forêt où la pente ne se calme pas. Enfin, à 16 heures, nous traversons la clairière de Plaède où nous goûtons. Visite à la cabane, à quelques mètres de laquelle est un ruisseau que nous suivons un moment en forêt avant de descendre rapidement jusqu’au bas du grand sillon nord du Cagire où nous bouclons la boucle commencée ce matin. À 17 heures, nous stoppons à l’auberge Dedieu où nous retrouvons l’auto. Panaché, et en route pour Saint-Gaudens où nous arrivons vers 18h30, après nous être arrêtés un instant avec le curé de Sengouagnet.
Très belle course. Vu Mourlon à l’œil nu, grande insolation, enneigement un peu déficient. Malgré la fonte des neiges (active à cette époque, au Cagire), il est impossible de voir le moindre ruisselet sur cette montagne entièrement calcaire du Cagire. C’est une montagne sans eau. À signaler, cependant, la source de Plaède dont le ruisseau se perd en forêt, car je n’en connais pas l’issue sur la route de Juzet, au col de Buret.
À cette date du 8 avril, les hêtres ont encore leur ramure d’hiver, les bourgeons ne sont pas « partis ». En forêt, profusion de jeunes jacinthes naissantes (scilles).

Ardan
Grotte des Édelweiss
Pyramide de Serre
(24 - 26 mai 1933)

Le 24 mai, à 10 heures, nous arrivons en auto, Élisabeth, Nanie et moi, à Saint-Girons, au siège de l’U.P.E. où Catala vient me prendre. À midi, déjeuner au Bocard. À 14 heures, je pars par la Plagne pour Bentaillou avec Cabalet et Estrémé. Au confluent de la Plagne, je note les températures suivantes : Lèz, 8,02° ; résurgence de la rive droite, 5,07° ; de la rive gauche, 6,01°. Plus haut, je note pour le ruisseau de Cigalère : 7,04°.
Par temps humide et brouillard, nous montons les lacets où nous rencontrons des moutons. Grotte de la Cigalère à 17 heures. Le ruisseau, avant la résurgence est à 6,09°. Nous pénétrons dans la grotte et nous constatons que l’eau, à 4°, est à 60 mètres du jour, ce qui correspond à une crue de 6 mètres environ. La voûte plonge sous l’eau ; il y a siphon. En temps normal, on ne trouve le ruisseau souterrain qu’à 80 mètres du jour et il n’y a qu’un pan de profondeur.
À 60 mètres, nous dérangeons deux corneilles qui s’envolent au-dehors. À 17h55 (trois heures vingt-cinq du Bocard), nous arrivons à Bentaillou où l’on s’installe. Cuisine, séchage, repas. Dehors, il pleut et il vente. Je couche dans la chambre de Catala (et même dans ses draps !)
25 mai. (Ascension) . Départ de Bentaillou à 7h45 pour Ardan où nous allons essayer de désobstruer la grotte des Édelweiss. Beau temps, quelques nuages. Au passage, je prends les températures : fenêtre B, 9,05° ; ravin B, 3,02° ; source des Édelweiss, 3,05°. Je fais aussi quelques photos du sentier avec mes deux porteurs. Ardan à 9h20. La résurgence, très forte, se fait sous un pont de neige sous lequel je m’introduis jusqu’au pied de la falaise. Température de l’eau : 3,01°.
Nous montons jusqu’à la grotte des Édelweiss qui est transformée en glacière sur 25 mètres de long ; neige, glace, colonnes de draperies congelées. Au terminus, là où j’ai déblayé avec Élisabeth le 1er octobre 1932, Cabalet et Estrémé se mettent à l’œuvre à la pioche. Bientôt, l’exiguïté du passage et le fait que les rochers sont scellés par la glace les obligent à travailler au burin et à la masse. Après cinq heures d’efforts obstinés, je me glisse difficilement dans une chatière et je pénètre dans un réduit où l’entassement des blocs se continue en profondeur. Il faudra de gros efforts pour continuer ce travail.
La température (1,04°) est la même que le 1er octobre1932. Je suis gelé. Enfin, à 11h15, nous sortons et nous allons déjeuner dans les escarpements impressionnants du Tartereau. Puis nous continuons à monter des versants herbeux très raides où Cabalet met le feu et lâche un coup de fusil maladroit, croyant son arme au cran d’arrêt. On remonte la Coume deras Cabras en direction du port de la Hourquette puis, obliquant à gauche sous le pic de Coumo Barrado, nous allons au cirque du Tartereau où le regard plonge dans le couloir du Tartereau (source à 1,06°). On revient sur nos pas puis, par des chaos de rochers, on rejoint le port de la Hourquette. À ce moment, Cabalet aperçoit un isard au sommet du pic de Coumenge et il décide d’aller le surprendre. L’animal se détache dans le ciel, au sommet du pic ; on l’examine à la lorgnette.
Cabalet s’en va au trot, puis gravit toute la montagne neigeuse à un train d’enfer. Il marche contre le vent et a tous les atouts pour lui. Arrivé au sommet, l’isard se lève et bondit à 30 mètres de Cabalet qui tire... et le manque !
Nous franchissons le port et descendons en toboggans sur le clôt d’Enfer, et plus bas, jusqu’à Chichoué. (Résurgence du bas des lacets : 2,08°.) Bentaillou à 18 heures où nous délivrons les deux chiens, enfermés depuis ce matin. Séchage, cuisine, coucher à 22 heures. Pluie, neige.
26 mai. Je pars seul de Bentaillou, à 7h30, sous la neige et dans le brouillard. Mon intention est de passer à l’étang d’Araing, le col d’Auréan, le plateau d’Uls, et de descendre à Melles et Fos. À 8h20, j’atteins la crête de la Serre d’Araing après avoir suivi un à un les vingt-cinq poteaux de la ligne électrique qui m’a servi de fil d’Ariane. J’entreprends la descente sur Araing, mais au troisième poteau, le temps est si mauvais et si bouché que je fais demi-tour. Revenu à la crête, j’hésite et je réfléchis assez longuement, et je décide de faire une promenade de crête en direction du Mail Lauzès qui se devine par moments. La tempête fait rage et les chasse-neige sont irrésistibles.
Arrivé au port de Lauzès, je descends en écharpe vers l’étang de Floret où j’arrive après avoir marché à la boussole et fait lever deux lagopèdes. De Floret, je monte à l’étang d’Albe, entièrement glacé. Puis, j’entreprends la montée raide vers le port d’Albe. Les murailles du pic d’Albe sont cuirassées de glace dont des stalactites tombent sans arrêt et glissent sur le névé que je gravis.
À 10 heures, je suis au port où je vois une mare glacée et, 300 mètres plus loin, un bel étang (du Portillon) qui alimente le lac de Liat. De Liat, je ne vois absolument rien, car il neige de plus en plus. Très en forme, et excité par la tempête, je décide de gravir la Pyramide de Serre, ce que je fais à tâtons, car on n’y voit rien. À 11 heures, je découvre et j’atteins la tourelle sommitale où je séjourne trente-cinq minutes à guetter de brèves éclaircies qui me montrent le cirque de Bentaillou sous un aspect irréel et funèbre. C’est indescriptible. La tempête fait rage et il y a -5°. Je bats en retraite, repassant au port, aux étangs, à la perte de Floret, dont le petit cañon est nivelé par la neige. (Torrent à 2°.) Il est midi trente. Je continue à descendre à flanc de la Pyramide, jusqu’à Chichoué. À Bentaillou, je trouve Cabalet et son compagnon qui allaient descendre au Bocard. Ils me font déjeuner et me quittent. J’entreprends d’attendre le lendemain pour essayer de faire l’étape manquée d’aujourd’hui. Mais, vers 16 heures, Catala me téléphone de descendre. Le mauvais temps continuant toujours, je me rends à ses raisons et, à 17h15, je dévale par la Plagne. Il neige jusqu’à 1500 mètres d’altitude. Au-dessous, il pleut. Je mets l’imperméable et, à 18h40, j’arrive au Bocard où je passe la soirée et la nuit.
Le lendemain, Catala me rapatrie à Mourlon. Il fait toujours mauvais temps.


 







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