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Le Bulletin Pyrénéen pendant la grande guerre

Sommaire des articles du Bulletin Pyrénéen en ligne

Liste des articles reproduits sur notre site à l’occasion de la commémoration de la guerre de 1914 - 1918 :



LES PYRÉNÉES ET LA VICTOIRE


N° 146 - Janvier - Février 1919
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Avec ce numéro de début d’année 1919, année de paix enfin, nous terminons la visite du Bulletin Pyrénéen pendant la Grande guerre.

Mars 1918, début des bombardements de Paris par les Allemands.
En avril, le général Foch assure la direction stratégique des forces alliées.
Au mois de mai, début de la troisième offensive allemande au Chemin des Dames et en juillet une ultime offensive adverse en Champagne, mais à partir d’août alors que le général Foch a été fait maréchal de France, la coalition alliée ( française, britannique, américaine, canadienne, australienne) commence à ébranler les forces ennemies, en octobre la retraite allemande s’accélère.
Le 29 octobre, l’Allemagne demande l’armistice au président Wilson.
Dans le wagon stationné en forêt de Compiègne à Rethondes le 11 novembre 1918 la signature de l’Armistice est signée entre les alliés (le Général Maxime Weygand, le Maréchal Ferdinand Foch, Le capitaine Ernt Vanselow, l’Amiral Rosslyn Wemyss) et les allemands (Matthias Erzberger, le Comte Alfred von Obendorff).

Dans les Pyrénées comme dans tout le pays la période d’après-guerre est celle du deuil, mais pourtant il faut relancer l’activité, reconvertir une économie de guerre en économie de paix tout en faisant face à une grave pénurie de main-d’œuvre : cette guerre fut une véritable catastrophe démographique, le bilan rien que pour la France est très lourd : 1 450 000 morts, 3 à 4 millions de blessés, 600 000 veuves, 760 000 orphelins.

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11 novembre 1918. - Au moment où nous jetons en hâte quelques notes sur le papier, la nouvelle « officielle » de la signature de l’armistice n’est pas parvenue encore à Pau et dans la région ; mais la nouvelle « officieuse » est connue.
Le drame qui a bouleversé le monde pendant cinquante et un mois est terminé. Le cauchemar s’achève, et il prend fin, par la victoire la plus incontestée et la plus éclatante, dans une apothéose d’une splendeur incomparable qui doit aller toute entière à nos soldats, aux vivants et aux morts, car notre pensée ne les sépare pas ; elle aime, au contraire, à les réunir dans le même sentiment d’admiration et de respect.
Dans quelques instants vont sonner les cloches.
Qu’elles sonnent à toute volée ! Que dans toutes les communes, dans tous les hameaux de nos Pyrénées, partout où, dans les heures que la France vient de vivre, se montra plus que jamais l’âme de la patrie, leurs sonneries éclatantes, accompagnent la joie qui est en chacun de nous et qui est libre d’éclater enfin.
Sortez les drapeaux, tous les drapeaux, c’est la délivrance du monde et c’est la plus pure des gloires qui est sous leurs plis.
Et vous, Pyrénées, toutes en beauté et qui avez la majesté des siècles, illuminez-vous de tous les feux que le soleil jette à profusion sur vous, afin d’attester que la date du 11 novembre 1918 est l’une des plus grande dans l’histoire du monde.

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Est-ce une illusion ? Il semble à chacun de nous que jamais nos montagnes n’ont été aussi riantes. C’est que, plus encore que le soleil d’un splendide automne, la victoire, qui inonde nos pensées et nos âmes, fait que nous les contemplons comme il ne nous a été plus donné de le faire depuis longtemps déjà. Plus de quatre années de guerre, en effet, où ni les tristesses ni les deuils ne nous furent épargnés, où le doute ne nous effleura jamais, mais où la lassitude se montra parfois, parurent un siècle qui ne devait jamais finir.
Mais les heures, longues et douloureuses, sont terminées comme est terminé le mauvais rêve. Tout est aujourd’hui à l’enthousiasme et à la douceur de vivre.
Sur nos têtes, le ciel de Pau paraît plus bleu encore, tenant, avec une mesure tout en délicatesse, le juste milieu entre le bleu profond qui encadre l’Alhambra de Grenade et le bleu méditerranéen. Regardez et dites moi si le « Bet Céu de Pau », que nulle part ailleurs vous ne trouvez, n’est pas soyeux et léger comme un pavillon de fête dont le bleu s’harmonise avec l’azur dans lequel se déroulent ses plis ?
Au-dessous, comme une toile de fond, le panorama de nos montagnes couvertes de neige, à la foi robustes et toutes en dentelles, forme une ondulation dans laquelle se rencontrent toutes les teintes d’une nature apaisée, depuis l’or clair, le bronze roux et le safran jusqu’au vert sombre. Et l’on se plait à songer, pendant que le regard contemple, au mot d’Henry Russell : « C’est un paysage harmonieux et pastoral ; c’est virgilien et c’est l’image de la paix. »
Au pied de la terrasse, appelée le grand balcon des Pyrénées, dans la vallée enchantée, parsemée de villages blottis dans les arbres, apparaissent les clochers blancs, et leurs cloches se répondent pendant que le gave fait entendre un murmure chantant comme s’il tenait lui aussi à participer à la joie qui va de la ville à la vallée et de la vallée à la montagne.

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La nouvelle de la signature de l’armistice est officielle. Les drapeaux sont arborés, et les beffrois de Saint-Martin et de Saint-Jacques lancent vers le ciel leur carillon d’allégresse qui est le premier chant de la victoire. C’est l’heure de la paix qui s’approche et va descendre sur le monde. Heure bénie où les rivalités disparaissent, où l’on se sent meilleur comme si un monde nouveau allait surgir.
Cloches sonnez et que, portés par l’élan qui s’échappe de nos cœurs, vos sons s’élèvent jusqu’à Dieu.
 
Mais combien notre joie eut été plus grande si notre pensée, se voilant de tristesse n’allait, hélas ! aux êtres aimés, victimes de la guerre, que Dieu a rappelés à lui. Ils sont tombés pour la grande des causes ; mais notre âme est partagée entre la reconnaissance infinie que nous leur devons et la douleur de ne pas les voir dans le triomphe qui fut leur œuvre.
Cloches sonnez. Sonnez pour nos grands morts.

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15 Novembre. - Dominant le monde, voici qu’une voix puissante se fait entendre. Elle retentissait, au plus fort de la lutte alors que les heures angoissantes s’écoulaient trop lentement au grès de chacun de nous. Nous l’avons entendue, comme l’appel du clairon réveillant les énergies. Elle nous criait sa confiance dans la victoire et sa foi dans les destinées immortelles de la patrie. Et la voici aujourd’hui, annonciatrice d’une incomparable aurore, nous parlant d’union, de solidarité, afin que notre victoire ne soit pas inutile et que la France soit prête pour l’œuvre féconde de la paix.
Nous relisons ce discours de M. Clémenceau dont chaque phrase a une incomparable portée :
« Je demande aux Assemblées de la République française de se préparer déjà dans leur pensée au travail qui s’imposera, et ne sera pas moins redoutable que le problème de la guerre.
Il est beau, pour un homme, un jour de bataille, de rassembler ses énergies en un acte d’héroïsme, et de se jeter au-devant de la mitraille.
Cet homme est honoré des générations futures. Mais il y a aussi le poilu de la paix, devant qui les plus graves problèmes se posent.
Nous avons tous commis des erreurs ; nous en commettrons encore. Mais il ne faut pas en commettre trop, ni trop longtemps.
Il faut nous affranchir de nos vieilles habitudes d’esprit, qui ont fait de nous un peuple prompt à s’enflammer pout un idéal, idéal admirable, mais que nous n’atteindrons jamais, pas plus que nous n’atteignons les astres qui éclairent le ciel.
Il faut accomplir un effort sur nous-mêmes pour qu’après avoir été dignes dans la guerre, nous nous montrions dignes de la paix.

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Il faut que l’alliance dans la guerre soit suivie de l’indéfectible alliance dans la paix.
Solidarité avec nos Alliés et puis, permettez-moi de le dire, solidarité française !
Ah ! Comme nous nous sommes bien haïs, détestés, exécrés les uns les autres, et combien nous avons été heureux de nous retrouver frères et amis en ces jours terribles !
Grâce à cette consolation, nous avons tout supporté, ceux de droite, ceux de gauche, ceux du centre, il n’y avait plus que des Français.
Messieurs, il faut que cela demeure. Chacun gardera son idéal car nous sommes un pays d’idéal, et nous avons payé d’assez de souffrances, le droit d’être appelé quelques fois les conducteurs de l’humanité. »
 
Après avoir médité ces paroles, je me suis abandonné à rêver. Je promenais mon regard sur la chaîne des nos Pyrénées, sur ce sublime tableau de notre beau pays de France, et je pensais en effet combien il est nécessaire d’accomplir cet effort demandé.
Chaque jour que nous perdons, chaque heure qui s’écoule sans que rien d’utile n’ait été accompli, constitue autant de fautes que nul n’a plus le droit de commettre.
N’attendons pas à demain. Mettons-nous tous au travail dans notre spécialité et dans notre sphère. Et c’est notre devoir à nous, dans ce « Bulletin » qui est l’organe officiel, le trait d’union de toutes les sociétés pyrénéistes, d’aider à la réorganisation du pyrénéisme qui contribuera à la régénération de la France.
Le devoir ne nous commande-t-il pas d’être dignes de nos grands chefs qui furent des Pyrénéens et des pyrénéistes et à la gloire desquels un monument devra être élevé sur l’une des plus hautes de nos cimes ?
La gloire veut que demeure sur les hauteurs éternelles le souvenir de Foch, le bigourdan du Vignemale ; de Joffre, le catalan du Canigou. Que ce souvenir soit placé là où, seuls, planent les aigles. Et associons à la même gloire Gallieni qui, de sa maison natale, contemplait le beau décors de Vénasque, Castelnau dont le nom a les sonorités des clairons triomphants, nos poilus enfin des Pyrénées qui là-bas, dans les vallons d’Alsace, entonnent en ce moment les refrains des chansons de Despourrins.
Oui, nos pyrénéens ont bien mérité de la patrie. Que nos efforts tendent à les glorifier. Eux, de leur côté, donneront une impulsion nouvelle à notre organisme fédératif.
Je viens aujourd’hui, en vue de cette œuvre, dans ce premier numéro de l’année 1919 - année bénie de la paix si longtemps attendue - après avoir salué l’ère nouvelle aux larges espoirs, je viens adresser un appel à toute nos sociétés. Qu’elles reprennent leur activité féconde et que, plus que jamais, l’union sacrée soit maintenue entre elles, car c’est ainsi seulement que pourront être accomplies, en faveur de nos Pyrénées, de belles et de grandes choses.
Amis, préparons-nous à recevoir nos héros, nos poilus pyrénéens, enfants de nos vallées et de nos montagnes qui, au fond des tranchées, songeaient entre deux batailles au pays aimé.
 
Montagnes, Pyrénées vous étiez leurs amours.
 
Que de lettres émouvantes par les souvenirs qu’elles évoquaient, par la douce vision d’autrefois, n’ai-je pas reçues, d’eux ! Ces lettres étaient la parure de notre « Bulletin ». Elles venaient du Mont Saint-Éloi et de la cote 165 à Notre-Dame-de-Lorette ; du Mont des Allieux, au sud de Vauquois ; de Mont-sous-les - Côtes qui dominait la tranchée de Calonne ; du col de la Schlucht, de la crête du Linge, de l’Hartmanweillerskopf et du fameux Reichaker Kopf, du mont Gruppa, des monts des Balkans et des monts d’Albanie, des Karpathes et du Mont des Oliviers où nos soldats songeaient à la mort de Jésus.
J’ai relu toutes ces lettres d’amis bien chers qui portaient si haut le nom de la France.
Et tous me parlaient des Pyrénées comme on parle de ce que l’on aime le plus au monde.
Que nos Pyrénées se parent donc pour recevoir bientôt les plus grands, les plus fidèles et les meilleurs de leurs enfants.

Alphonse MEILLON

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NOS MORTS NOS HÉROS

PAGES DE GLOIRE DU PYRÉNÉISME

IN MEMORIAN.

Le livre de gloire et de deuil est fini ; la dernière page de sang et d’or est écrite. La liste de nos collègues, de nos amis qui dorment de leur dernier sommeil sous les boues glacées de la Somme, au pied de quelque chêne d’Argonne tendant vers le ciel la croix immense de ses branches mutilées, dans un trou d’obus à Verdun ou à l’ombre des Vosges, la liste tragique, l’horrible liste est enfin close !
Dans la lumineuse paix à l’aube de laquelle leur sacrifice héroïque a fait briller la Victoire, il nous faudra poursuivre, en souvenir d’eux, leur œuvre d’avant la guerre, répandre cet amour de la petite patrie qu’ils avaient au cœur et qui leur fit tant aimer la grande, ce culte de la montagne pyrénéenne qui fut la dure école où ils apprirent à mépriser le danger et a si bien mourir.
Aux jeunes qui ne les auront pas connus, nous devrons dire combien ils étaient grands, combien ils étaient forts, combien ils étaient enthousiastes, combien nous les aimions parce qu’ils étaient les meilleurs d’entre nous.
Enfin, surtout, pour quelques uns, pour ceux qui les ont le mieux connus, qui les ont le plus aimés, qui ont été les compagnons de leur trop courte vie pyrénéiste, il y aura un suprême devoir à remplir. Quand nous reviendrons au milieu des sites qu’ils ont préférés, il faudra les faire revivre dans nos cœurs. Le soir, à voix basse, quand auprès des tentes la flamme déclinante du foyer de campement vacillera comme le cierge d’une veillée funèbre, quand leur voix se mêlera aux murmures nocturnes de la forêt, quand dans l’ombre fantastique des pins se dessineront leurs attitudes et leurs gestes familiers, il nous faudra longuement, pieusement causer d’eux comme si nous les avions quittés hier, comme si nous devions les revoir demain…
Il ne faut pas que dans leurs Pyrénées ces morts soient tout à fait morts !

L.L.B.


EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS
Suite


N° 141 - Septembre - Octobre - Novembre - Décembre 1917
 

Le 15 octobre 1917, la danseuse Mata-Hari est fusillée pour espionnage, en novembre, le gouvernement mis en minorité à la Chambre démissionne, le 17 novembre, Georges Clemenceau forme le Gouvernement, cumulant la présidence du Conseil et le ministère de la guerre ; quelques jours plus tard il déclare à la Chambre :« Ni trahison, ni demi-trahison, la guerre, rien que la guerre. [...] Un jour, de Paris au plus humble village, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. Ce jour, le plus beau de notre race, il est en notre pouvoir de le faire. »
La Chambre vote la confiance par 418 voix contre 65 et 40 abstentions.
Le 29 novembre c’est l’ouverture à Paris de la conférence des Alliés.
 

Alphonse Meillon poursuit sa série d’articles sur ses excursions topographiques dans la vallée de Cauterets .

EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS
Exposé chronologique des opérations
Notes et impressions

(Suite)

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Campagne de 1915
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En me servant de ce mot « campagne », je ne puis dissimuler le scrupule que j’éprouve. Un pareil terme employé pour résumer l’ensemble de modestes travaux, peut sembler prétentieux. Seuls, nos soldats font « campagne ». Mon excuse sera que la prétention n’est pas dans ma pensée.
Pendant que nos héros défendent, avec une ténacité inlassable, la France envahie dans ses riches départements du Nord et de l’Est, ici, dans notre Béarn ensoleillé qui se pare, malgré les deuils pour recevoir les hôtes étrangers, nous suivons, loin des combats et des périls, les opérations engagées sur l’immense front ; mais nous avons le devoir, au point de vue économique, de nous livrer à des travaux également utiles. N’est-ce pas le rôle de ceux qui, ne pouvant combattre, gardent dans le domaine de l’activité et de leurs moyens d’action, une tâche patriotique encore ?
Si animées avant la guerre, nos stations, touristiques et thermales sont forcément délaissées par la foule mondaine des baigneurs et des touristes ; seuls, nos chers soldats viennent chercher dans la bienfaisance de nos eaux sulfureuses et dans le calme de nos montagnes une guérison à leurs blessures ; nos hôpitaux, organisés dès le début de la guerre, sont combles et bien des souffrances physiques et morales, entourées de soins maternels, y reçoivent un soulagement.

Non, il ne peut y avoir cette année, de vacances à la montagne. D’abord, la montagne frontière est consignée aux touristes ; ensuite, comment songerait-on à occuper agréablement ses loisirs alors que nos défenseurs font des efforts surhumains pour chasser l’ennemi de notre territoire, et qu’à l’arrière tant de familles souffrent et pleurent ?
Nous ferons donc, loin des sommets, une campagne de bureau.

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(Suit une Étude de la nomenclature…)

Alphonse MEILLON

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N° 142 - Janvier - Février 1918

EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS
Exposé chronologique des opérations
Notes et impressions

(Suite)

Campagne de 1916

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Au moment où je commence ce nouveau chapitre, ma pensée se porte malgré moi vers les tragiques évènements qui se déroulent. La guerre dure depuis plus de deux ans, pleine de hauts faits, mais aussi de tristesses et de deuils ! La tourmente continue à ébranler le monde.
Cette année 1916, glorieuse pour la France, a été vécue par nous au milieu des angoisses et des espérances qui bouleversaient nos âmes. La ruée allemande sur Verdun, si inattendue et si formidable qu’on put craindre, dans ces journées sombres de février et de mars, que les lignes françaises seraient rompues ; puis notre offensive sur la Somme avec sa ténacité et ses trophées, enfin la triomphale reprise des défenses de Verdun où nos soldats se sont couverts d’une gloire immortelle, tous ces évènements dans lesquels la race, que nos ennemis avaient méconnue et calomniée, s’est retrouvée plus grande, ont donné à notre pays la confiance dans le triomphe final. Qui donc en doutera désormais ?
Mais pendant que nos soldats luttent en héros, nous avons les uns et les autres, à l’arrière, un devoir à remplir : être dignes d’eux. La tâche qu’ils accomplissent doit provoquer la notre, plus modeste, en vue de préparer l’avenir par la reprise du mouvement économique sans lequel toute victoire ne serait qu’éphémère.
Soutenu par cette pensée, j’ai porté cette année mon étude vers les questions économiques où je pouvais rendre des services, et vers l’organisation du tourisme, sous toutes ses formes et dans toutes les branches qui s’y rattachent. Collaborateur d’une œuvre que les hommes éminents par les services rendus, ont soutenue par leur initiative et leur expérience, j’ai pensé que le devoir commandait sans retard de tout disposer pour cette lutte de l’après-guerre. Nous retrouverons nos ennemis sur ce nouveau champ de bataille. Ils veulent être prêts les premiers. L’intérêt ne nous commande-t-il pas de chercher à les devancer ? Et tout nous dit que nous pouvons y réussir.
Ainsi que l’écrivait à juste titre M. Cambon : « Si tous les visiteurs de l’Allemagne revenaient émerveillés de l’ordonnancement méthodique et de la correction des services publics, frappés de surprise devant les résultats de son industrie et de son commerce, tout comme de son organisation militaire, il faut reconnaître que cela est juste, mais il ne faut cependant pas que cette constatation, je ne dirai pas admiration, nous rende injuste pour nous. Ne vantons donc pas tout en Allemagne alors que nous avons dans notre nature tant d’admirables qualités que nous ignorons nous-mêmes. »
Reconnaissons néanmoins que nous devons songer à organiser dans notre pays, le plus admirable qui soit, tout ce qui peut nous permettre de le faire mieux connaître et davantage apprécier. Et dans ce monde d’organisations nouvelles, n’est-ce pas le tourisme, avec son attraction sur l’étranger, qui doit dès aujourd’hui solliciter notre activité et nos efforts ? Alors que beaucoup d’industries chercheront, après les hostilités, leur nouvelle voie, le tourisme retrouvera immédiatement la sienne qui n’est qu’interceptée. Les étrangers se porteront à nouveau vers nos Pyrénées splendides. Leur cadre et leurs décors, de variété et d’harmonie attireront plus que jamais les visiteurs. Mais, adorateurs fervent de leur beauté, je les voudrais plus fréquentées, mieux connues et plus aimées encore.

Alphonse MEILLON

(Dans la suite de l’article, l’auteur traite de l’utilité des Parcs nationaux et des réserves de chasse et de pêche.)


EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS


N° 140 - Juillet - Août 1917

Avril a vu l’entrée en guerre des États-Unis, le 15 mai le général Foch est nommé chef d’état-major général au ministère de la guerre, en août, comme si le malheur qui frappait le pays n’était pas suffisant, la grippe espagnole, après une première vague au printemps, frappe les civils et les militaires. La pandémie est l’une des plus meurtrières de l’histoire.

 
Alors que la guerre sévit depuis trois ans, l’article ci-dessous, d’Alphonse Meillon, qui est la suite d’une longue série commencée dans le n° 131 de Septembre - Octobre - Novembre - Décembre 1915, revient sur le départ des troupes en 1914.



EXCURSIONS TOPOGRAPHIQUES DANS LA VALLÉE DE CAUTERETS
Exposé chronologique des opérations
Notes et impressions

(La première campagne a été menée en 1909.)

NOTES DES TEMPS DE GUERRE

En quittant à regret la montagne, le 1er Juillet, pour revenir à Pau reprendre mes occupations professionnelles, j’avais remis le théodolite à mon collègue et ami, le Dr M. Heid qui, dès le lendemain, se rendait à Héas pour aller poursuivre sa campagne de triangulation dans la région Estaubé-Munia-Troumouse. J’espérais à ce moment-là qu’il me serait possible de reprendre mes opérations en faisant une campagne photographique durant les belles journées d’automne.
Tout à ces projets, je m’étais mis à classer mes documents et à revoir mes carnets. Je ne prévoyais pas alors les évènements qui, en quelques semaines, devaient déchainer la guerre européenne. La cruelle réalité n’allait pas tarder à apparaître. Tout y fut ramené. L’esprit se portait vers d’autres points de la patrie ; il allait vers nos frontières de l’Est et du Nord où auraient lieu les premières rencontres ; aussi les occupations de mes vacances se transformèrent-elle pour moi, comme chacun de nous, en préoccupation d’un autre genre.

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PAU, 2 Août. - Nous avons vécu ces heures de fièvre en même temps que de confiance. C’est l’appel du chef de l’État secouant d’un frisson d’émotion patriotique tout le pays. Le Président de la République avait raison de compter sur le sang-froid de la noble nation dont tous les enfants rempliraient leur devoir. « À cette heure solennelle, comme il le disait justement, il n’y avait plus de partis ; il y avait la France éternelle, la France pacifique et résolue. Il y avait la patrie du Droit et de la Justice, tout entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité. »
Au vibrant appel au peuple succède, le soir même, l’ordre de mobilisation générale ; chacun, avec recueillement et le cœur plein d’espérance, accompli son devoir.
Les rivalités ont disparu comme ces nuages légers qui sont emportés par la brise du large, et il en est de même de nos divisions, plus superficielles que profondes, que l’ennemi avait escomptées.
Les pessimistes - mais c’est à peine si on en découvre - qui avaient craint un manque d’organisation, s’inclinent avec une surprise joyeuse devant l’admirable fonctionnement de la mobilisation sur tout le territoire. À Pau, dans le calme proverbial de notre doux Béarn et dans le cadre splendide formé par notre chaîne frontière, mais si loin de celle où vont se dérouler de sanglants combats, tout marche non seulement sans un à-coup, mais à la perfection même, pendant que nos régiments de pyrénéens et de montagnards, qui iront demain à la bataille, se préparent et s’organisent.

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7 Août. - Les troupes vont partir pour se rendre sur le front. Dans un instant elles quitteront la caserne. La foule compacte les attend pour les acclamer et leur donner, avec toute son âme, le salut de la patrie. C’est un silence religieux qui, jusque là, s’est établi dans la foule, comme on le constate à toutes les grande heures. Il y a dans ces âmes, communiant dans la même patriotique pensée, de la fierté et de l’angoisse. Des mères, des femmes, des sœurs sont là. Elles sont toutes venues pour jeter à l’être aimé le suprême regard ; mais vous ne verrez pas une larme dans ces yeux qui sont cependant gonflés par la souffrance. Toutes sont fortes devant le devoir afin que l’aimé s’en aille content.
Le premier détachement de nos soldats apparaît bientôt ; il est précédé des clairons et des tambours. La musique attaque Sambre-et-Meuse, et jamais elle n’a joué avec autant d’élan. Dans le ciel clair d’une merveilleuse journée d’été, les moteurs ronflent, et nos aéroplanes, oiseaux de France qui quittent leur nid du Pont-Long pour voler vers l’ennemi, tournoient dans l’espace.
Dans l’avenue de la Gare, comme un long cordon bleu, la troupe défile au milieu de la foule recueillie et silencieuse qui admire. Les soldats portent, fichés dans leur fusils, de petits drapeaux qui font sur ce ruban bleu une moucheture tricolore.
Ce ruban vivace s’écoule sous l’ombre des grands platanes et s’engouffre dans la gare décorée d’oriflammes, puis dans le long train noir, bientôt enlevé par la locomotive fleurie et ornée de drapeaux. Des hurrahs frénétiques se mêlent au chant de La Marseillaise. Les accents de Sambre-et-Meuse sont entendus encore pendant que le peuple se retire en attendant les autres départs qui vont se succéder.
À 1 h 20, c’est le premier bataillon de notre brave 18e régiment d’infanterie qui vient de partir.
À 5 h 34, c’est le deuxième bataillon, emportant le drapeau sur lequel, dans la formidable mêlée de demain, les noms de nouvelles batailles viendront s’ajouter à tout un passé de gloire.
Il semble que nos Pyrénées aient voulu, elles aussi, s’associer à nos espérances, car elles se font plus belles, plus splendides que jamais. Aucun voile ne les dérobe à nos yeux. Dans ce décors incomparable où tout est en harmonie, les grands pics se dressent comme des ancêtres éternels, témoins de toujours, des deuils comme des espérances de la patrie, afin de saluer les enfants de leur vallée qui vont à la bataille en chantant.
On dirait que leurs cimes altières ont tenu à faire la haie d’honneur, pendant que les Pics du Midi d’Ossau et de Bigorre, se détachant de l’ensemble comme deux sentinelles avancées, gardent la frontière méridionale de notre belle France.
Du côté de l’occident, le ciel est couleur de pourpre, et les hauts sommets de la cordillère pyrénéenne se poudrent d’or.
Une teinte violette est répandue sur la vallée ; les nuances les plus délicates et les plus variées se multiplient et se fondent en un tout qui englobe les gaves, la plaine se prolongeant dans le lointain, les coteaux environnants, la tour carrée du Château qui se découpe en noir sur les massifs plus sombres des grands arbres du parc.
La nuit vient, et à neuf heures, le train qui emporte le 3e bataillon s’ébranle lui aussi aux cris mille fois répété de : Vive la France ! Puis des voix jeunes et fortes s’élèvent ; ce sont nos soldats qui chantent :

Montagnes Pyrénées, vous êtes mes amours. Halte-là, halte-là, les montagnards sont là…

Et nos Pyrénées les saluent une dernière fois.

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9-10Août. - La nouvelle se répand que les troupes françaises occupent Altkirch et Mulhouse, et la foule est joyeuse en commentant ces évènements qui sont comme la première revanche de la Justice et du Droit. La confiance est plus grande que jamais, et c’est avec la joie au cœur que, dans la nuit, au milieu des acclamations enthousiastes, les trois bataillons du 143e territorial quittent Pau. Ils seront sur le front avant peu.
Puis, les évènements se succèdent. Nous subissons le contrecoup d’une offensive déclenchée par l’ennemi qui a l’écrasante supériorité du nombre. Les nouvelles, arrêtées par la censure, ne parviennent que difficilement, peu à peu ; elles sont filtrées avant d’être communiquées au public dont l’inquiétude s’accroît, mais qui, devant le péril entrevu, garde sa force d’âme. Vous n’entendez aucune parole découragée. Aucune récrimination ne s’élève. Quel que soit le revers momentané qui éprouve la Patrie, nul ne perd confiance et la foi au pays demeure inébranlable. Est-ce que la France, luttant pour la plus noble des causes et allant au combat avec un enthousiasme comme on n’en vit jamais de plus grand dans l’histoire du monde, peut être vaincue ?
Le furieux orage, déchaîné à Charleroi, est passé, et l’espoir revient tout entier quand bientôt la nouvelle court que l’ennemi est contraint à la retraite. La victoire de la Marne arrête le flot des Allemands et fixe le destin.
Mais la rude et terrible mêlée qui s’étend de la mer du Nord à la ligne des Vosges, absorbe toutes les pensées, et on ne comprendrait pas, en de pareilles heures, un sport ou des occupations, si dignes d’intérêt qu’elles puissent être, qui fussent étrangère au drame qui se joue. Nous disons donc adieu à la montagne et à nos cités thermales fermées et silencieuses. La nature reprend possession de sa solitude. Nos sommets pyrénéens seront inviolés pendant de longs mois. Rien ne troublera le bruit des gaves. Les isards vivront en paix. Les fusils sont ailleurs et ils tirent sur des loups !...
Les regards et l’admiration du monde sont fixés sur d’autres frontières envahies et souillées par l’ennemi que notre armée retient et use. Vers d’autres monts, nos Vosges, notre pensée va chaque jour à nos vaillants alpins qui se battent avec l’intrépidité et le courage acquis à l’école de la montagne.
Mais ce serait une pensée impie que de marquer une préférence ; les héros de la bataille de la Marne et ceux de Dixmude et de l’Yser, ont droit à la même admiration émue et reconnaissante. Combattants de l’Est ou du Nord, de l’Ouest ou du Midi, ce sont nos frères et nos enfants et ils ont, au même titre, bien mérité de la Patrie et de l’humanité.
Demain, la France victorieuse, réservera pour eux ses arcs de triomphe où de nouveaux noms, les plus grands de tous, seront inscrits. Et ne pleurons pas ceux qui sont tombés, car ils ont nos pensées, notre souvenir, notre tendresse. La voix de chacun de nous se fait plus grave et plus douce pour dire ce qu’ils étaient. C’est la voix d’un peuple entier qui les berce en leur tombeau. Ils ont l’immortalité. Ils ne sont pas perdus, ils nous ont devancés.

Alphonse MEILLON


LES CHALETS ALPINS AUTRICHIENS.


n° 131 - Septembre - Octobre - Novembre - Décembre 1915
 

Cette année 1915 aura vu, en février le début de l’opération des Dardanelles. Des troupes françaises, britanniques, australiennes et néo-zélandaises y prennent part, en mai l’Italie a déclaré à la guerre à l’Autriche-Hongrie, en septembre la Bulgarie a déclaré la guerre à la Serbie et en octobre c’est la France qui a déclaré la guerre à la Bulgarie.
Le conflit est partout en Europe.
Le 2 décembre, le général Joffre devient commandant en chef des armées françaises.
Dans le dernier numéro de l’année on peut y lire ce petit article.

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Avant la guerre, les touristes qui faisaient des ascensions dans les Alpes autrichiennes, ont souvent trouvé étrange et ridicule la façon dont les clubs alpinistes autrichiens et allemands avaient choisi l’emplacement de leurs chalets de refuge. On a fait souvent observer, par exemple, que c’était plutôt des cabarets que des refuges pour les amateurs du sport alpin. Or, le vrai caractère de ces chalets austro-allemands vient de se révéler aux troupes italiennes qui pénétrèrent en Autriche. Ils avaient été construits en vue d’une guerre contre l’Italie. Leurs emplacements avaient été choisis par les autorités militaires autrichiennes ou allemandes. On les avaient munis de téléphones et de tout ce qu’il fallait pour les transformer en blockhaus.
Aujourd’hui, ces chalets constituent une partie importante des ouvrages de défense qui ont été élevés dans les Alpes par les ennemis de la civilisation et de la liberté.

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PYRÉNÉISME ET PATRIOTISME


En cette année 1915, les évolutions techniques font que la guerre entre dans une phase nouvelle. En mars un dirigeable bombarde Paris ce qui a pour effet de terroriser les citadins, puis c’est le début de la guerre sous marine, enfin une autre triste innovation apparaît : les gaz asphyxiants. À l’arrière du front toutes les forces vives de la nation, toutes les intelligences, toutes les volontés s’unissent dans un commun effort.


 

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Bulletin n° 130 - Juillet - Août 1915
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Il y a quelques mois encore, mais combien longs, le Bulletin Pyrénéen comptait au nombre de ses amis, collaborateurs ou lecteurs, une foule de Pyrénéistes convaincus et actifs dont les noms restent dans toutes les mémoires, hélas ! aujourd’hui attristées.
Car où sont la plupart des pionniers et les hérauts d’antan, qui proclamaient à haute et sincère voix la glorieuse splendeur de nos monts ? Bien loin, par là-bas, à l’opposé de la frontière méridionale. C’est dans les Flandres, en Argonne ou dans les Vosges, sinon aux Dardanelles, qu’il faudrait aller les chercher avec quelque chance de retrouver ceux qui n’ont pas déjà disparus dans le tourbillon meurtrier. Les survivants - fasse le ciel qu’ils nous reviennent bientôt - sont au feu où les a appelés la grande guerre, sur le front où ils sont allés remplir le plus sacré, le plus beau mais le plus terrible aussi des devoirs, dans l’oubli de tout ce qui fut ici leurs plus chères amours.
L’oubli complet ? Non pas. Des frontières du Nord ou de l’Est où ils se battent depuis des mois, que de fois leur pensée a dû s’envoler, entre deux alertes sanglantes, vers les cimes ensoleillées de la montagne qu’ils quittèrent brusquement, brutalement, à pareille époque ! Avec quelle mélancolie ils ont dû, dans leurs tranchées, laisser s’égarer leur rêverie dans le souvenir déjà lointain du pays tant aimé et de la tâche, autrefois entreprise, de le faire aimer ! Combien de soirs de bataille, dans l’atmosphère empestée des champs de carnage, n’ont-ils pas cru sentir la brise fraîche de Gascogne leur apporter un parfum délicieux, venu des vallons pyrénéens !
Loin de jeter le découragement dans leur âme héroïque, cette douce illusion de leurs sens leur fut un réconfort ; et c’est avec plus de résolution dans le regard, plus de vigueur dans les bras, qu’ils s’éveillaient à la dure réalité en entendant le clairon français sonner la charge nouvelle. C’est pour avoir la certitude de revoir un jour leurs montagnes, qu’ils marchaient au-devant de l’ennemi ; c’est pour avoir le droit de les aimer davantage après les avoir libérées de toute inquiétude, de toute menace, qu’ils bravaient la mort afin de mieux mériter de vivre.
Si, parfois, quelque soucis se mêlait à leur rêve glorieux, ce fût en se demandant ce qu’en leur absence devenait l’œuvre inachevée à laquelle ils avaient, avant la guerre, consacré leurs forces et leurs talents. Ce souci-là, le seul qu’ils connaissent , est légitime. Que diraient les jeunes et vigoureux montagnards partis pour le front, le jour où, regagnant leurs foyers et croyant y trouver le repos bien gagné, ils trouveraient leur maison paternelle délabrée, leurs champs en friche et leurs troupeaux décimés par l’incurie des gens de l’arrière ? Que penseraient les esprits d’élite qui avaient préparé la voix de l’avenir, d’un avenir magnifique d’espoirs, si au retour ils constataient qu’on a laissé péricliter l’œuvre de prospérité que la guerre les a contraints d’abandonner ? Ils s’indigneraient avec raison et n’auraient que mépris, pour ne pas dire haine, pour tous ceux qui auraient de la sorte trahi leur confiance.
Cette tâche qu’ils n’ont pu mener à bonne fin avant de s’en aller remplir leur devoir de bon Français, c’est à ceux de l’arrière qu’il appartient de la poursuivre ; à tous ceux que leur âge ou leurs infirmités privent de l’honneur de porter les armes contre l’ennemi, il reste un autre devoir non moins important, non moins urgent : celui de continuer ce qu’ont commencé les autres. La victoire de nos armes est, certes, une question capitale pour nous tous ; celle de nos industries nationales n’est pas moins indispensable et la nécessité de veiller à leur progrès se fera sentir impérieusement lorsque nos soldats auront remporté la première. Mais ce n’est pas à ce moment-là qu’il faudra s’en préoccuper ; c’est dès maintenant, sans perdre un instant, sans négliger un seul moyen de l’assurer, qu’il convient à chacun d’y travailler dans la mesure de ses forces - et même un peu au-delà.
De même que l’on a vu des femmes prendre en main la charrue pour labourer les champs désertés par les hommes mobilisés, il faut aussi que toutes les forces vives de la nation, toutes les intelligences, toutes les volontés s’unissent dans un commun effort pour sauver d’un ralentissement fatal la marche prospère de nos stations pyrénéennes. Et cela, au prix de tous les sacrifices personnels, si durs qu’ils puissent sembler : il faut qu’à l’arrière, comme sur le front, chacun devienne un poilu digne de serrer la main des héros qui se battent pour l’honneur et le bonheur communs.
Disons nous bien que cette certitude de savoir leur tâche en bonnes mains, consciencieusement accomplie par leurs frères, sera le meilleur encouragement pour nos combattants. Ils ne se battront que mieux, ils n’en gagneront que plus alertement des batailles, ils n’en remporteront que plus tôt la victoire décisive, en songeant que, leur devoir terminé, ils pourront rentrer au pays avec l’assurance d’y goûter un repos d’autant plus complet que nous leur auront d’autant mieux conservé au foyer les avantages précédemment acquis par leur labeur obstiné, et que nous aurons plus activement préparé des progrès qu’ils se promettent de réaliser après la paix.
À l’œuvre donc, toutes et tous ! L’héroïsme civil, pour être moins brillant que l’héroïsme militaire, a aussi son prix. Il n’y a de vraiment inutiles, à cette heure, que ceux qui veulent l’être par leur inertie coupable. Préparons à nos héros des retours triomphants ; et quand ils seront là, auprès de nous, joyeux et fiers de leurs succès chèrement achetés, que chacun puisse dire aux siens en leur tendant sa main loyale :
« Vous avez bien travaillé ; voyez ce que nous avons fait. Tandis que vous versiez votre sang pour la grande Patrie, nous n’avons pas ménagé nos peines pour la petite : ensemble, nous avons remporté la Victoire, d’un bout à l’autre du pays, sur les frontières indemnes comme sur celles que vous défendiez. Nous sommes dignes de vous, et vous pouvez vous asseoir sans répugnance à notre table, à la place d’honneur que nous avons réservée aux glorieux enfants de la province Pyrénéenne, fille elle-même de la France éternelle, à la grandeur de laquelle nous avons tous travaillé et travaillerons toujours. »
Voilà ce qu’il faut, d’ores et déjà, faire savoir à tous nos poilus pour rasséréner leur âme et accroître leur courage. Voilà ce qu’il faut, surtout, accomplir coûte que coûte. Car il ne s’agit pas d’une vaine promesse destinée à les enflammer, mais qu’on tarde à remplir : c’est un devoir sacré pour les Pyrénéistes de ne pas faillir à un engagement qui sera leur meilleur titre à la reconnaissance des combattants. Il sera temps, plus tard, de songer à fêter la gloire des uns , à célébrer la mémoire des autres, en inscrivant au Livre d’Or du pyrénéisme actif les noms de ceux qui auront bien mérité du pays et de la montagne.

V. DUFAURET


VERS L’ÉPOPÉE
Nos grands Chefs de Guerre. - Pyrénéens et Cadets de Gascogne.


Le 11 septembre 1914, Joffre envoie un message au ministre de la Guerre :
« La bataille de la Marne s’achève en victoire incontestable. »
Dans tout le pays ainsi que chez les Alliés, Joffre jouit d’une très grande popularité.
Le « vainqueur de la Marne » fait l’objet d’un véritable culte qui se maintiendra jusqu’à sa mort.


 

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Bulletin n° 129 - Mai - Juin 1915
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Avec le général Joffre qui, depuis dix mois, commande victorieusement nos armées, et avec deux de ses principaux lieutenants, nos Pyrénées sont à l’honneur. On sait, en effet, que le vainqueur de la Marne est né dans les Pyrénées-Orientales, que le général Foch, son ad latus, est originaire de Tarbes et le général Gallieni, de Saint-Béat, près de Luchon. C’est au pied de nos cimes pyrénéennes et dans leur contemplation qu’ils ont grandi.
Tout a été dit sur le général Joffre et, déjà, les écrivains les plus illustres qui rassemblent les matériaux avec lesquels ils fixeront pour la postérité les évènements des années 1914-1915 nous ont fait connaître tous les détails de sa vie. Mais pour nous, pyrénéens, n’est-il pas naturel de chercher à comprendre l’influence que la montagne mystérieuse exerça sur son génie.
L’enfance et une partie de l’adolescence du général se sont écoulées sous le ciel limpide du Roussillon, devant la formidable silhouette du Canigou qui se dresse, joyau au milieu de tant d’autres, à l’extrémité de nos Pyrénées.
C’est là dans une jeunesse heureuse, se trouvant en harmonie constante avec la nature l’entourant, que son caractère s’est formé, que son intelligence s’est développée et s’est affermie. Nous gardons toujours vives les impressions de nos premières années et si ces impressions sont pleines d’équilibre et de calme c’est à la nature que nous le devons, par son harmonie même et par sa voix qui parle à la nôtre.
L’âme de Joffre, que les psychologues de l’avenir étudieront longuement, fut un épanouissement naturel dans ce cadre tout en simplicité et en beauté. On peut dire que c’est l’âme même de nos Pyrénées. Et pour la comprendre, ces mêmes psychologues, au lieu de s’attarder à des recherches complexes, devront tout simplement se borner à venir étudier la nature qui l’a produite. Ils verront que nos Pyrénées, dans leur calme plein de majesté, troublé seulement par le murmure de nos gaves ou par le cri des aigles, devaient marquer de leur forte empreinte celui que l’on appelle « le grand silencieux ». Ils comprendront que la montagne et lui se sont compris et se sont aimés et que la vue des hautes cimes, dans laquelle il y avait de l’admiration et du respect, il a appris dès le plus jeune âge à se renfermer en soi-même, à réfléchir et à penser.
Ils retrouveront enfin en lui, dans sa carrure puissante de même que dans la délicatesse réelle de ses traits et la douceur de son regard, tout ce qui, dans nos Pyrénées, constitue les oppositions et les contrastes. Joffre, c’est le « Canigou » imposant dans sa masse, dont une vallée riante atténue la rude grandeur.
Empruntant une comparaison à Pedro de Marca qui a écrit « l’Histoire des héros pyrénéens », nous ajouterons, en parlant de lui, qu’il est de la lignée de ces montagnards qui paraissent taillés dans les pierres de leur défilés.
Vous retrouvez tous ces traits caractéristiques dans la personnalité de ses deux principaux lieutenants : les généraux Foch et Gallieni dont nos Pyrénées s’enorgueillissent et s’enorgueilliront davantage encore un jour. D’eux aussi on peut dire, en raison de leur volonté et de leur caractère : ce sont des âmes de granit.
Voilà pourquoi, Pyrénéens, nous nous réjouissons que nos montagnes aient fournies de tels hommes à la patrie, de même que cadets de Guyenne et de Gascogne nous sommes fiers de penser que de Castelnau est originaire de Villefranche-sur-Rouergue, Sarrail, de Carcassonne, Boué de Lapeyrère, de Bergerac. Rostand qu’en pensez-vous ?
Poètes, préparez vos lyres, félibres réservez pour demain vos rimes les plus éclatantes. Les Cadets de Gascogne vous fournissent la matière d’héroïques épopées, et les Pyrénées éternelles élèvent encore plus haut leurs cimes. Biban ! !...

Alphonse MEILLON.

UNE ERREUR RÉPARÉE - (n° 130 - Juillet - Août 1915)

Dans un article consacré à nos grands chefs de guerre, nous avons, sur la foi de renseignements qui nous étaient parvenus, fait naître à Bergerac l’amiral Boué de Lapeyrère.
Un de nos lecteur nous fait remarquer avec la plus parfaite bonne grâce que ce renseignement était inexact. IL ajoute que le grand chef de la marine française est originaire de Lectoure.

L’amiral Boué de Lapeyrère n’est donc pas le compatriote de Cyrano de Bergerac ; mais il est encore un peu plus près de nos Pyrénées et s’il reste Cadet de Gascogne, il est en plus Pyrénéen et nous nous en glorifions.
A.M.


LA CONQUÊTE DES PYRÉNÉES
Par les Touristes Allemands


En ce début d’année 1915, alors que la guerre d’usure se prolonge sur un front qui s’étend du nord de la France jusqu’à la Suisse, commence l’opération des Dardanelles dans laquelle des troupes françaises, britanniques, australiennes et néo-zélandaises sont impliquées.


 
 
 

Bulletin Pyrénéen n° 127 - Janvier - Février 1915

Ils sont venus aux Pyrénées, les Boches. Oh ! Pas en gros bataillons, sans fifres ni tambours. Et bien leur en a pris, car leurs « maüsers » et leur « kolossal » 420 auraient trouvé chez les Pyrénéens un accueil énergique !
Ils sont venus en touristes. - En espions, nous explique le dernier Bulletin Pyrénéen. Naguère, pareille affirmation nous aurait paru prodigieusement invraisemblable, d’un comique de mauvais goût. Mais, depuis cinq mois, ces gens-là ont réalisé les plus scandaleuses invraisemblances et ils nous ont prouvé qu’en tout vrai Boche il y a l’étoffe d’un espion.
Donc, sur nos jolies montagnes, quelques Boches ont jeté leur dévolu. Ils s’appellent Künne, Endell, Schmidt, Bertram, etc. Ils ont fait de l’entrainement dans les Alpes. Ils ont acheté les récentes publications pyrénéistes. Ils se sont renseignés sur les possibilités d’itinéraires. Puis, armés de piolets, de cordes, de crampons, ils se sont élancés pour « l’attaque brusquée ».
Programme, exécution, bilan nullement dénués d’intérêt : Monts-Maudits, Pic de Tuquerouye, Mont-Perdu, Vignemale, Marmuré, Pallas par les arêtes S. O. et S. E., Pic du Midi d’Ossau, une bonne série. Sans méfiance, amateurs de beau sport, les pyrénéistes aussitôt d’applaudir, car ces Allemands sont des gaillards, dignes des équipes de solides grimpeurs qui, chaque année, font leur cueillette de grands pics.
Mais nos Boches sont des Boches, représentants de la race élue, surhommes prédestinés à l’universelle domination. Sur chaque proéminence, piédestal que la nature a fait exprès pour eux, ils prennent des attitudes de matamores :

« Paraissez, Béarnais, Anglais et Castillans
   Et tout ce que la France a produit de vaillants !

Sur cette cime qui a l’honneur de nous porter, sur cette arête que nous avons gravie, nous sommes les PREMIERS. Les montagnards qui auraient osé y venir avant nous ne comptent pas. Deutschland über alles ! À nous, les Pyrénées ! »
C’est ainsi qu’avant d’annexer la Belgique, sublime martyre de leur cupidité, les Boches avaient entrepris d’annexer à leur gloire nos gracieuses aiguilles, dressées dans l’éblouissement du ciel gallo-ibérique.
Font-ils le Marmuré ? C’est la PREMIÈRE montée du couloir occidental de la brêche Latour, couloir déjà descendu par des Français. C’est la PREMIÈRE ascension du pic par des Allemands. C’est la PREMIÈRE tentative sur une arête, qu’ils ne peuvent d’ailleurs pas suivre. C’est la PREMIÈRE descente dans le casse-cou d’un précipice où, fourvoyés, ils se livrent à des rappels de corde intempestifs [1] .

— À ce compte, me souffle Le Bondidier, ne faudrait-il pas encore mentionner comme descente nouvelle l’involontaire dégringolade du tirailleur algérien Louis Pein, sur les parois du Marmuré ? Que dis-je, la plus sensationnelle « première » serait, en même temps, une dernière pour son auteur, se jetant à corps perdu dans un des étourdissants abîmes dont cette fière cime est le nœud !
Et le même Le Bondidier en aurait long à dire sur l’obstination de nos Lohengrin à revendiquer la PREMIÈRE traversée du col Maudit.
À grand renfort de cordes, viennent-ils à bout de pitons secondaires, comme, entre Aspe et Ossau, le rocher de Ronglet, celui de la Ténèbre et le renflement culminant du chaînon de Lasserous ? À cor et à cri, ces « intellectuels », façonnés par l’incomparable kultur, célèbrent leurs gestes épiques. Dans les revues spéciales, avec tirages à part, ils mènent un tintamarre triomphal [2] . Pensez donc, trois PREMIÈRES, trois prises de possession par la race d’élite, trois victoires de plus sur la liste qui compte Saint-Privat et Sedan !
L’année suivante (1911), je visite ces trois sommets. Celui de la Ténèbre, le seul intéressant au point de vue sportif, s’enlève en vingt minutes. J’interroge chasseurs et bergers. Il y a plus de trente ans, se rappellent-ils, Guiraute, d’Accous, escalada, par la vertigineuse dalle N.E., l’obélisque de la Ténèbre, obélisque également gravi par le guide Toussaint Sainmartin, d’Eaux-Chaudes, puis, en juillet 1906, par Lalanne, de Borce, et Minvielle de Cette-Eygun. Et lorsque, à mes amis les pâtres, je conte la vantardise de nos Boches d’avoir fait la PREMIÈRE (erste Ersteigung) du Ronglet et du Lasserous, ils éclatent de rire. De temps immémorial, ces arêtes furent un but de promenade pour tous les chasseurs du pays, sans parler des touristes aussi multiples que discrets. Fringants isards et brebis pacifiques s’y donnent chaque jour rendez-vous. La ruée des conquérants Boches n’enfonça qu’une porte ouverte.
Moins amusant que son compère de Tarascon, le Tartarin de Berlin est, hélas ! Plus méchant et plus dangereux. S’il n’avait que l’inoffensive manie de se proclamer plus fort que Russell, que Brulle et que Castagné, nous pourrions en sourire. Mais, dans tous les domaines,

Ses pareils à deux fois ne se font pas connaître
Et pour leurs coups d’essai VEULENT des coups de maître.

Voilà pourquoi, tandis que les pyrénéistes aimaient la montagne pour son charme, nos Boches cherchaient, sur nos lumineux campaniles, la grotesque satisfaction d’un amour-propre national. Voilà pourquoi, à l’heure où les nations humanitaires s’efforçaient de s’unir par une législation de la paix, ces Boches méditaient de se montrer plus forts que Napoléon et plus terribles qu’Attila.
Amis de la Montagne, élevés par elle au-dessus des petitesses, des haines et des querelles d’ici-bas, habitués à considérer comme une famille la tribu des grimpeurs, nous sommes désorientés et révoltés par la guerre abominable où nous a engagés cette criminelle infatuation. Et nous sommes bien résolus à abattre, coûte que coûte, les prétentions insupportables de ces parvenus de l’Europe. Grâce au génie de nos stratèges, à l’héroïsme de nos « poilus », à notre volonté unanime, cette idolâtrie stupide de la force, de l’ogre Vaterland , sera supplantée par l’évangile de la fraternité ; dans le concert des nations, le Boche, humilié, sera mis à sa place.
En attendant, membres de Sociétés pyrénéistes, nous ne pouvons pas oublier que, dans les listes funèbres des victimes de l’alpinisme, l’Allemagne vient en tête, que l’Autriche fut la patrie du Zigmondi de la Meije et que nos ennemis nous ont donné l’exemple par leur ardeur à fréquenter les cimes. Quand donc le Club Alpin Français, association patriotique s’il en fût, comptera-t-il, comme le leur, plus de 100.000 adhérents ?...
Quoiqu’il en soit, notre victoire imposera la paix. Mais, pour que cette paix soit définitive, souhaitons que les barbares, aujourd’hui déchaînés, finissent par comprendre la grande voix de la Montagne. L’entendez-vous, cette voix profonde qui sort des torrents, des forêts, des rafales et des avalanches ? L’entendez-vous, suave ou terrible, s’élevant sous le ciel, répercutée de glacier en glacier, franchissant les espaces, survolant les frontières, dominant le fracas des canons et les cris d’agonie ? Aux mortels touchés par sa vertu magique, la Montagne clame sans cesse : « Pygmées d’un jour honorés d’une âme raisonnable et sensible, bannissez toute pose, tout ridicule, toute forfanterie ; soyez courageux avec simplicité ; vivez, et, s’il le faut, mourez pour le vrai, pour le juste ; libérez-vous de la tyrannie des Césars et de celle d’un orgueil pitoyable ; sentez-vous égaux, solidaires les uns des autres ; faites du genre humain une immense cordée unie contre crevasses et tempêtes ; et, tous ensemble, d’un généreux effort, haussez-vous vers les cimes radieuses de l’idéal social, de la beauté morale, élargissez votre vision jusqu’aux prestigieux horizons de la fraternité universelle. »

1. - Cf. Au Pays des Isards, Un Grand Pic : le Marmuré ou Balaïtous, par un des cinq frères Cadier. Vient de paraître. En vente à Izarda, Osse par Bedous (B.P.) ; à l’Agence Centrale Paul Touzaa 4, rue St-Louis, à Pau ; à la librairie Baylac (Goudard, successeur), à Tarbes.
2. - Mitteilungen des Deutschen und Osterreichischen Alpenvereins, n° 835 et 837 ; A kademischer Alpen Verein, Berlin VII Jahresbericht 1910 ; Sonderabdruck aus der Zeitschrift des D. u O. Alpenvereins. Que sais-je encore ?

George CADIER.


À NOS ABONNÉS ET À NOS AMIS


Bulletin Pyrénéen n° 127 - Janvier - Février 1915

Toujours dans le cadre de la célébration du centenaire de la Grande Guerre, nous poursuivons la lecture du Bulletin pyrénéen.

Dans les termes les plus aimables, beaucoup de nos lecteurs ont eu la bonne pensée, qui nous a profondément touché, de nous encourager à maintenir la publication de notre BULLETIN PYRÉNÉEN. De tous côtés on nous félicite d’avoir tout osé pour assurer cette continuation au moment où, seul dans la presse spéciale, nous avons réussi, par ce moyen, et malgré les difficultés de la crise que nous traversons, à resserrer les liens d’amitiés entre toutes nos Sociétés d’Excursionnistes et nos Sections pyrénéennes du C.A.F..
Merci à nos fidèles amis pour leurs chaleureux encouragements. Ils nous attestent que le sentiment qui nous anime est partagé par tous ceux qui comprennent la valeur de notre publication régionale et les services de tout genre qu’elle est appelée, plus que jamais, à rendre.
De plus en plus, nous nous efforcerons de faire de notre cher Bulletin la chose de tous. Nous accueillerons avec reconnaissance tous les renseignements que l’on voudra bien nous fournir sur nos collègues présents aux armées. Surtout qu’on nous raconte ce qui concerne les prisonniers, les blessés et nos glorieux morts, membres de nos Sociétés pyrénéennes.
Ne poursuivons-nous pas encore notre œuvre en montrant à tous que l’amour et la fréquentation de nos montagnes ont été l’occasion, pour nos chers collègues, d’enrichir le trésor de leurs forces morales et physiques, mises avec un dévouement sans bornes au service de notre mère commune : la Grande France ?
À sa place, et pour une part bien modeste, mais dont nous sommes fiers, est-ce que notre BULLETIN PYRÉNÉEN ne peut pas contribuer à renforcer l’union sacrée de tous nos compatriotes et à maintenir, dans nos régions, le goût des excursions si indispensables pour préparer une âme robuste et saine aux jeunes qui nous suivent ?
Ce vaste et utile programme a été compris de tous nos lecteurs. Après avoir obtenu leur concours moral, nous insistons maintenant afin de pouvoir vivre de leur concours matériel. Pour jouer notre modeste rôle dans la France dont la poussée victorieuse nous fait entrevoir de nouvelles destinées, il nous faut des ressources. Nous invitons donc tous nos abonnés, ainsi que les trésoriers de nos Sociétés, à nous adresser sans délai le montant de leur abonnement pour 1915, soit 3 francs pour la France et 4 francs pour l’étranger. Qu’on nous évite les correspondances inutiles et la majoration des frais de recouvrement. Il est impossible qu’on laisse périr notre BULLETIN. Régler au plus vite ce bien modique compte, c’est le seul moyen de nous permettre d’assurer désormais l’existence de notre organe. Nous comptons que ce pressant appel à la bonne volonté de chacun sera entendu au plus tôt.
Il importe aussi de nous aider à trouver de nouveaux amis et collaborateurs. Ce sera nous donner la preuve qu’on ne veut pas nous laisser seul à la tâche et que nos efforts fidèles provoquent la sympathie effective de ceux qui en sont témoins.
Jamais les vœux que nous formons n’auront été plus sincères.
Que la France, dont le triomphe est assuré dès aujourd’hui, retrouve bientôt ses frontières de 1870 et qu’elle reprenne dans le concert des grandes Nations la grande place qui lui est digne.
Que tous ceux qui, parmi nos lecteurs, ont des êtres aimés sous les drapeaux, les retrouvent à la conclusion de la paix de 1915, plus forts et plus prêts que jamais à servir la Patrie triomphante, qu’un élan inouï va jeter dans une activité radieuse et inlassable.
Et que tous ceux qui, parmi nos amis, ont là-bas, dans un coin perdu de l’Alsace, de la Belgique ou des régions encore envahies, une tombe doublement sacrée, puisent dans leur immense douleur la joie mystérieuse et la fierté civique d’avoir scellé du sang des leurs leur amour pour la Patrie. Parmi toutes les autres, la France n’a-t-elle pas le plus de droits à tous les sacrifices, puisque son âme est faite de toutes les noblesses et de toutes les grandeurs sans lesquelles il ne vaut pas la peine de vivre ?

Alphonse Meillon

La paix de 1915 …, il faudra l’ attendre encore presque quatre ans !

Les offensives des belligérants sur le front ouest,
La stabilisation du front,
Chaque camp se prépare à un conflit qui va durer.


LES PYRÉNÉES DU TRIOMPHE
Bulletin Pyrénéen n° 127—Janvier-Février 1915


... Sur le front des hostilités, dans cet épouvantable carnage, pour noël 1914 quelques épisodes à caractère humaniste sont observés, … débute l’année 1915, à la guerre de mouvement d’août à octobre 1914, succède une guerre de position, chaque camp rassemble ses ressources en vue d’une guerre longue, février est le début de la guerre sous-marine, puis c’est la bataille de Champagne ...

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LES PYRÉNÉES DU TRIOMPHE

En longue muraille délicatement festonnée, en muraille d’albâtre translucide, sur le bleu profond de l’horizon méridional, les Pyrénées s’érigent, précieuses divinement.
Ô combien délaissées à présent ! Les jeunes et hardis grimpeurs qui les gravissaient naguère ont un autre champ d’action, impérieux et noble, ailleurs, dans le Nord-Est.
Même ceux qui sont retenus ici, ne les regardent plus qu’à la dérobée. Les pensées vont tout là-bas, vers le grand noir, où la bataille fait rage ; où crépitent sinistrement les mitrailleuses ; où détonnent, par terrifiantes rafales, les délétères obus explosifs. Il semble qu’on ose plus, en ces heures graves, jouir de cette fête des yeux que les montagnes offrent superbement.
Certes, il y a un siècle, on combattait un peu partout, d’un bout à l’autre de la chaîne frontière pyrénéenne. Mais alors, l’engagement était courtois, la guerre chevaleresque. Les boulets ronflaient sonores ; les balles sifflaient gentiment ; et c’était une joie d’être frappé, armes étincelant au soleil, en bel uniforme chamarré, et panache au vent.
Vite du reste, on s’apprécia mutuellement, et les adversaires devinrent des amis, pour toujours.

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Pourtant, elles n’ont pas oublié leurs fervents, les maternelles Pyrénées. Elles ne cessent point de veiller sur eux ; elles sont très lointaines, à des centaines de kilomètres en arrière ; invisibles, mais tangibles pour ainsi parler, par les radiations spéciales qu’elles émettent, par les vibrations particulières qu’elles lancent à travers l’espace ; - les Pyrénées, antennes prodigieuses, à puissante sphère d’influence morale !
Et tel, qui repose dans les tranchées, a ses rêves peuplés de simulacres calmants. Il ne songe plus à un pic déterminé, à une ascension préférée ; les sommets se fondent, pour lui, en un tout chimérique, en un massif de Conte de Fées, où s’amalgament tous les spectacles déjà admirés dans des lieux divers, où se mêlent toutes les pures émotions déjà ressenties dans des circonstances variables. En lui s’insinue le délicieux apaisement de jadis, durant les haltes nocturnes, dans le silence des silences, sous les palpitations des lueurs stellaires.
Et tel, qui court au combat, retrouve dans la griserie de l’assaut, l’exaltation d’antan, lors des durs corps à corps avec la neige perfide ou le rocher mauvais.
Et tel, qui tombe face à l’ennemi, éprouve, à l’instant dernier, cette brusque et suprême certitude qu’il ne sombrera pas dans l’oubli ; cette caressante consolation que son héroïsme sera d’impérissable mémoire dans les fastes de l’histoire.
Ainsi se manifeste l’âme impassible et aimante de la montagne, dispensatrice de sérénité et d’audace !

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Donc, luttez de toutes vos forces, camarades pyrénéens ; luttez hardiment et gaîment, à la Française.
Vous Basques, Béarnais et Bigourdans, vous autochtones des hauts bassins des Nestes et des Garonnes, vous Ariégeois, Audois et Catalans…, vous tous qui répondîtes à l’appel de la patrie en danger, luttez sans défaillance, en ces heures atrocement magnifiques ; et portez un défi joyeux et hautin à la mort.
Ils sont là, comme un absolu palladium pour chacun de vous, vos monts de prédilection, élégants et cambrés ainsi que des cadets de Gascogne : Anie, Ossau, Bat-Laëtouse, Vignemale, Marboré, Perdu, Munia, Long, Lustou, Gours-Blancs, Crabioules, Perdighero, Maupas, Maubermé, Valier, Calm, Estats, Serrère, Rulle, Pédroux, Carlitte, Puigmal, Canigou, et mille autres géants formant les bataillons sans peur et sans reproche.
Inspirez-vous de leur fière attitude, des forts enseignements qu’ils vous inculquèrent : faites votre plein devoir, jusqu’au sacrifice, pour notre douce France libre et agrandie.
Et lorsque, tout frissonnants encore de bravoure, vous serez de retour au pays natal, vous y recevrez la glorification exquise et splendide de vos énergies.

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Déjà, sans vous en douter peut être, vous subissez à distance le réconfort mystérieux de bien des pensées féminines qui s’envolent vers vous, et qui vous frôlent avec un charme furtif.
Oui, sachez-le bien, les gentes ascensionnistes des Pyrénées, les Lycéennes de Toulouse, les Collégiennes de Perpignan et de Tarbes, toutes celles que vous guidâtes dans ces caravanes scolaires restées fameuses, vous gardent une place d’élection au fond de leur cœur juvénile. Elles craignent, elles prient, elles espèrent.
Aussi bien, à l’instar des canéphores de la Grèce antique, elles se préparent à vous fêter extraordinairement. Fleurs vivantes elles-mêmes, au parfum virginal, elles tresseront en couronnes les fleurs sauvages des hauts versants, rhododendrons rouges, lys blancs, gentianes bleues.
À Tarbes, la métropole guerrière de l’artillerie, la ville des illustres canons de 75, et des projectiles d’acier se fragmentant en cyclone, les petites excursionnistes, assortissent déjà les couleurs des oriflammes des nations alliées à la France, pour les déferler en grand pavois, lors de la caravane prochaine du triomphe, qui parcourra la voie sacrée de Gavarnie.
Alors, si quelqu’un manque à l’appel, on exaltera ses vertus avec une tristesse courte et sans trop de mélancolique regret, parce que son image ne vieillira jamais, auréolée d’un éternel éblouissement de jeunesse. Et les vainqueurs présents, repris par la passion de la montagne, auront l’âme soulevée comme par une orgueilleuse vague d’allégresse.
Ce pendant qu’en longue muraille délicatement festonnée, en muraille polychrome, sur le bleu somptueux de l’horizon méridional, les Pyrénées s’érigeront, divinement triomphales !

E. RAYSSÉ,

Président de la section de Tarbes du C.A.F .


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