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NOS MORTS, NOS HÉROS

Nous poursuivons la consultation du Bulletin Pyrénéen par le premier numéro de l’année 1915 (n° 127 - Janvier - Février 1915). À partir de ce numéro, apparaît deux nouvelles rubriques :
PAGE DE GLOIRE DU PYRÉNÉISME, dans laquelle sont consignés les Pyrénéens morts au champ d’honneur et
CITATIONS À L’ORDRE DU JOUR DE L’ARMÉE dans laquelle sont consignés les morts, les disparus et les survivants.

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« Il faut vouloir vivre et savoir mourir. »
Edmond Boerner.

Pour célébrer dignement nos morts il conviendrait, sans doute, par ce temps d’héroïsme, de laisser la plume à l’un de ces blessés qui ont eu le privilège de verser aussi pour la France un peu de leur sang généreux. Mais ceux qui se battent pour nous n’ont pas le temps d’écrire - puis ils ne daigneraient pas parler de leurs blessures. C’est donc à nous, leurs frères, à nous que l’âge, les infirmités ou des aptitudes spéciales ont désignés pour les besognes obscures de l’arrière-garde, de recueillir pieusement - et non sans envie - leurs actions exemplaires, pour en dresser un trophée et pour proclamer leur gloire.Br>
Parmi tous ces vaillants qui dans l’élan de leur jeunesse opposent leur poitrine aux projectiles de l’envahisseur pour la défense de notre sol sacré et de la liberté du monde, les plus chers - après ceux qui sont nôtres par les liens de la famille ou de l’amitié - n’est-ce pas nos compagnons d’aventure ? Nous les avons rencontrés un jour, sur quelques sentiers de nos montagnes. Parce qu’un même entrain les soulevait vers les mêmes cimes, nous avons reconnu en eux nos pareils, et nous avons cheminé ensemble. De la communauté des efforts et des fatigues, des difficultés et des dangers, de la réciprocité des menus services et parfois d’un dévouement complet, est née l’estime mutuelle qui est la source de la camaraderie et la raison foncière de l’amitié.
Faut-il rappeler que dans toute ascension sérieuse arrive un moment particulièrement solennel ? Pour accoutumés que l’on soit aux sévérités de la montagne, ce n’est jamais sans un peu d’émotion qu’on déroule la corde pour s’attacher l’un à l’autre. C’est l’annonce du danger proche : danger de la crevasse qui a creusé ses trappes sous le moelleux tapis des neiges, blanc comme l’innocence ; danger de la glissade sur les pentes glacées, sur les rochers inclinés ou tremblants. Mais ce qui étreint les cœurs plus que cette précaution contre la mort qui rôde, c’est le sentiment de la solidarité. Désormais la caravane n’a plus qu’une vie. Elle a mis en commun le secours, mais aussi le péril. Chacun se sent responsable de l’existence d’autrui dans la même mesure qu’il dépend lui-même de l’adresse des autres. Les catastrophes comme celle du Cervin ou des Aiguilles d’Arves sont là pour montrer que cette émotion involontaire n’est pas un vain jeu de l’imagination. C’est matériellement et moralement tout ensemble qu’on est liés : à la vie, à la mort.
Mais la corde n’est pas seulement un des instruments nécessaires de l’alpinisme. Elle est aussi un symbole, et c’est par là qu’elle nous plaît. Cette union de dangers et d’émotions a bien vite fait de rapprocher les esprits et les cœurs. À ce trait d’union matériel qu’est la corde correspond un trait d’union invisible qui est l’amitié ; et celui-ci ne se dénoue point quand, l’ascension terminée, nous nous séparons. On ne quitte pas ceux qu’on aime, on ne détache point la corde ; à travers l’espace et le temps nous crions à nos amis le délicat aveu du « Voyageur » :

Where ‘er I roam, whatever realms to see,
My heart untravelled fondly turns to thee,
And drags at each remove a lenghtening chain.

Depuis qu’ils sont là-bas, vers les frontières profanées, ces compagnons de notre vie aventureuse, notre pensée ne les abandonne pas, notre cœur reste avec eux, battant des mêmes élans, des mêmes anxiétés, des mêmes joies. Ce que nous cherchons fiévreusement aux colonnes des journaux, c’est, avec l’annonce des victoires de notre armée et celle de nos Alliés, le nom de ces amis ; avec l’anxiété de le lire aux trop longues listes funèbres, et l’espoir, souvent réalisé, de le trouver inscrit à l’ordre du jour de l’armée, ce livre d’or des héros.
Pour rendre un pieux hommage à ceux qui sont tombés et aux survivants dont la vaillance a été signalée, le « Bulletin Pyrénéen » inscrira désormais dans ses pages leurs noms et leurs titres de gloire (1). Les Sociétés Pyrénéistes ne sont pas seulement une Fédération, mais une famille : ceux de ses Fils qui sont entrés dans l’histoire de la France au prix de leur sang et de leur héroïsme doivent être marqués au livre d’or des Pyrénées, puisque c’est en parcourant leurs cimes aimées qu’ils ont préparé leur énergie « par la montagne, pour la Patrie ».

Ludovic GAURIER .

(1) Pour que cette publication soit complète, MM. les secrétaires des diverses Sociétés de la Fédération sont instamment priés d’adresser, à la rédaction du Bulletin Pyrénéen, à la fin de chaque mois, les renseignements concernant les membres de leur Société tués à l’ennemi ou cités à l’ordre du jour.
La liste également glorieuse des blessés sera établie à la fin de la guerre.






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