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CARNET N° 3 (22 Juillet 1991 - 22 Janvier 1998)

CARNET N° 3
(22 Juillet 1991 - 22 Janvier 1998)


TOUTE REPRODUCTION DE CE CARNET EST INTERDITE SANS AUTORISATION DES AYANTS-DROIT

NDLR : La deuxième page de couverture et la première page de garde sont ornées de deux plumes d’oiseaux avec la mention : « Souvenirs des vautours de l’Escornocabres, juillet 1995 -444ème »

1991 (suite)

22 juillet. En allant à Thuir voir Arlette*, le col de la Bataille et Fort Réal (507 mètres).

25 juillet. Avec Arlette*, ermitage Saint-Martin (522 mètres).

397ème/. 8 août. Avec Jacques Harang*, Monique*, Claude* et Pierrette*. Partis pour le Besiberri sud et le Coma lo Forno, nous plantons trois tentes au Planelle de Roumano (1840 mètres), au-dessus du lac de Cavallers. À 19 heures, pluie, vent, bientôt tempête. Le double toit de Claude* arraché. Nuit homérique. Mon nouveau sac de couchage norvégien fait merveille : je suis vite réchauffé et tel une marmotte dans son trou. Seule l’oreille suit les mouvements de la tempête : c’est une « symphonie fantastique » où les furioso l’emportent sur les andante... pendant douze heures. Nous plions le camp à 7 heures, toujours dans la tempête. Comme consolation, je les amène à Roda de Isabena. (La petite serveuse brune à queue de cheval me reconnaît aimablement). On oublie la foule des « touristes » et le Coma lo Forno.

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Course 398. 14 août 1991. Le pic du midi d’Ossau vu du pic d’Er.
(Photo Henri Ferbos)

398ème/. 14 août. Le beau temps commande, mais où aller pour fuir la foule d’août ? Je me décide pour le pic d’Er. Retour en Ossau.
Sortie de Pau vers 8 heures. Voiture laissée à la barrière du chemin du Bitet, 9 heures. Prends le beau chemin de l’arrec de Gazies. Bien tracé, il monte ferme en sous-bois jusqu’au plat de Soucet où il se perd. Il reprend en sous-bois rive gauche au plus près des cascades qui descendent par une gorge (où je m’aventure sottement). Je construirai deux cairns à la descente. Arrivé dans l’arrec, je monte trop haut sous le col des Héous. C’est très raide, je suis mal chaussé en toile... La traversée vers le col d’Er serait trop risquée. Arrêt près d’une source moussue. Je monte encore jusqu’à un petit clocheton. Je pourrais traverser sur la droite vers le pic d’Aule, mais il est 14 heures. J’ai du faire plus de 1400 mètres. L’honneur est sauf. Ça suffit. Je reviens à la petite source. Long arrêt. Ni ours, ni isards en vue.
Descente vers la cabane neuve de Gazies. Il y a trois bergers. Deux semblent des hommes du moyen âge, mais la conversation s’engage avec Fourcade*. On parle de l’ours, on compare des photos. (Il est persuadé que des ours « étrangers » ont été introduits clandestinement. Les ours pyrénéens ne descendent pas se nourrir sur les tas d’ordures de Gabas ! Il a observé aussi une tache blanche sur la tête, jamais vue à un ours pyrénéen. Il est manifestement vexé pour l’honneur de l’ours des Pyrénées avec lequel il a toujours fait « bon ménage ». On parlerait des heures. Il m’a d’abord pris pour R.Ollivier* !..)
Descente. Sous la cabane, un grand lis des Pyrénées bleu-violet moucheté ; des iris. Au-dessus, j’avais vu des grandes gentianes jaunes (gentiana lutea). Voiture, 19h30. Une heure d’arrêt au Soucet. Fourbu et content.

399ème/. 24 septembre. Jean* a été séduit par la description d’un itinéraire en forêt dans les Baronnies décrit (?) dans Pyrénées Mag. Partons (avec Gilles*) de Couret d’Asque. Faux départ par le chemin qui prend au nouveau parking. Contournons le point 756 et descendons vers le Gourgue en « forêt vierge » jusqu’à une palombière. Au-delà, c’est trop raide et impénétrable. On remonte. Retour à la voiture. Le chemin du Gourgue prend sur la route de Bulan dans le premier virage. Continuons en voiture jusqu’à l’Arros. Il est midi. On mange au bord de l’eau. (Nous sommes à 450 mètres). Belle montée : gorge, forêt raide, bassin pastoral, cabane. Arrivons au Cot de la Huste (1436 mètres). Montée trop rapide. Il est 15 heures. Descente douloureuse : crampes, dos, etc. Arrivée voiture, 17 heures... en mauvais état. Mais ça pourrait être pire.

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Course 400. 24 octobre 1991. Après son solo du 14 août (voir plus haut), retour au pic d’Er, deux mois plus tard, pour Henri Ferbos, mais cette fois-ci en compagnie de son fils Jean, dit Janus, photographié par son père au sommet.
(Jean Ferbos est décédé à Pau en octobre 2009).

400ème/. 24 octobre. Retour au pic d’Er avec Jean*. Laissons la voiture au virage coté 954 mètres.
8h45. Prenons la route forestière verglacée qui monte en lacets sur la crête boisée d’Ayguebère. Elle a été élargie au bulldozer. Un vrai massacre. Rencontrons deux chasseurs, trois voitures... Quid de la protection de l’ours !! Au bout de la route, chemin en forêt qui monte puis oblique à l’horizontale et descend vers le nord-ouest ; il nous mène jusqu’au torrent de l’arrec d’Er. Nous tournons le dos à notre objectif. On continue en se posant la question... jusqu’à une clairière où un troisième chasseur nous confirme qu’il faut revenir sur nos pas. Passons au point 1357 et trouvons l’arrec d’Ayguebère. La « cabane » n’est qu’une ruine adossée à un bloc. Le sol, couvert de colchiques, est retourné sur de larges plaques, mais pas de traces vraiment lisibles. L’endroit, dominé par l’aiguille d’Ayguebère, est très beau. En remontant ouest-nord-ouest, trouvons un grand cairn et le chemin du lac d’Er. Le lac, au fond d’une grande cuvette, apparaît à nos pieds. Arrêt-buffet. Trois grands rapaces viennent nous observer. Dessous des ailes blanc, assez longue queue : il s’agit sans doute du milan royal. Restons au nord du lac et montons vers l’ouest, puis vers le sud jusqu’à un petit gourg gelé où nous laissons les sacs. Il y a juste ce qu’il faut de neige fraîche pour embellir sans gêner. Arrivée facile au col d’Er où nous prenons la crête vers le pic qui est au nord (2205 mètres). Il est 15 heures. Jean*, qui souffre des pieds, préfère ne pas se refroidir. On ne reste pas longtemps. Un regard particulier sur la cabane de Gazies, vue à vol d’oiseau (aussi sur le pic d’Aule fait le 16 février 1989 avec Jacques* et Monique* par bonne neige) et sur les pentes raides gravies le 14 août. Sensation agréable d’être « chez moi » et dans « mon territoire »... comme l’ours.
Descente sans histoire jusqu’à la cote 1357 où le chemin nous piège encore nous ramenant à l’arrec d’Er. Mais Jean* trouve la bonne jonction qui nous ramène à la route plus bas (dans le cinquième virage au point 1189). Sommes à la voiture vers 18 heures. Le sol n’a pas dégelé.

401ème/. 6 décembre. Cauterets. Pont d’Espagne (1490 mètres), 10h30. Grand beau temps froid. Chemin de Gaube avec verglas épais. Au lac, rejoignons deux groupes d’espagnols. Le lac qui commence juste à geler émet des bruits étranges. On pourrait penser à quelque âme prisonnière des eaux. (Sans doute les plaques gelées qui se frottent sous la bise de vallée ?) Souvenirs de Defos* en 1936, puis du séjour à la cabane de Pinet en 1939, etc.
Aux petites Oulettes, prenons sud-ouest puis ouest. Montée très raide et très belle. Je peine. À 14h45, je retrouve Jean* et Didier* qui se gèlent à m’attendre. Le lac du Chabarrou (2302 mètres) est tout en glace. Tout à l’ombre, assez sinistre. Au-dessus, sur l’autre rive, un grand isard solitaire à l’air fantomatique...
Il fait trop froid, on descend de suite. Fatigue. Arrêt au pont de Darré Splumouse, mais je ne récupère guère. Fin descente nuit tombée : deux chutes sur verglas... Dur !

1992

29 janvier. Avec Corinne*, montée en voiture au col du Soulor. Route dégagée au milieu de la neige superbe sous le soleil. Montons un peu au nord jusqu’à un petit sommet de bruyères vers 1540 mètres. Journée d’amitié. La beauté est en nous et hors de nous.

402ème/. 31 janvier. (Solo). Le très beau temps persiste. Il ne sera pas dit que janvier finira sans que je fisse une vraie course. (Décision difficile : « au fond », je n’en ai pas tellement envie. J’aurais plus « envie » de rester à ma table à mes « travaux » d’écriture. Le mot « connaissance » me tourmente... Pas satisfait... Vais-je fuir en montagne ? Que « l’envie » est chose confuse et mauvaise conseillère !)
Départ 9h30. À Gabas, je laisse la voiture au grand virage du refuge du CAF (1067 mètres). La route est dégagée, mais maintenant je suis impatient de marcher. Pas d’arrêt à Bious-Oumette. Montée excellente. Dans le défilé, après la sortie de la forêt, j’observe, en face, sur la rive droite, des traces qui vont du torrent à deux entrées ouvertes sous des couches de roche inclinées. Il y a devant de la terre et des branches manifestement fraîchement ramenées. Tanières ? Mais je ne peux pas descendre au torrent, ni le traverser (trop raide et trop fort) pour examiner les traces. Et puis, pourquoi déranger l’hôte, si hôte il y a. Mieux vaut en rêver.

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Course 402. 31 janvier 1992.
"Solitude parfaite" dans l’arrec d’Aule.
(Photo Henri Ferbos).

Après une petite descente dans la neige profonde, la cabane d’Aule (1711 mètres). Merveilleuse ; le site est prodigieux. L’Ossau semble tout proche. Il est 13h10. Le berger a laissé tout bien installé ; le râtelier pour les couverts ; c’est « habité » d’un état d’esprit. Je festoie au soleil. Je ne repars qu’à 14h30 ! Solitude parfaite. Il n’y a qu’une vieille trace de ski. Je redescends au torrent et remonte un éperon nord-nord-ouest. Surprise. J’aboutis au-dessus d’une faille profonde. C’est vertical. (Évidemment non. « Impression » trompeuse liée à la sévérité du moment hivernal). Un petit sommet domine qui, d’ici, a fière allure. J’y vais. Ça se redresse à 45-50 degrés mais c’est très praticable et pas bien long. Le « sommet » se révèle être une épaule sous la pointe 2064 de la carte. Je ne vois pas le lac d’Aule. Cet arrec est décidément bien compliqué ! Il faudra revenir. Bientôt 16 heures. Il faut redescendre. Je jouis de suivre ma belle trace de montée... et fais encore quelques haltes-photos-cigarettes. Quel vieux sauvage je suis ! Mon plaisir en retrouvant Bious-Oumette tient beaucoup à n’avoir rencontré ni aperçu personne depuis ce matin. Ne suis pas fâché d’avoir à faire à pied la route jusqu’à Gabas. Ça prolonge. Décidément, « la forme » est bonne.

403ème/. 2 mars. Familiale : Paul*, Rosane*, Louis*, Laure*, Françoise*, Philippe*, Baptiste*. Coucher au « refuge » de Gabas. Montons à Bious-Artigues en voiture ; de là à la cabane de Cap de Pount. Bonne neige mais temps couvert. Il faut porter Laure* (3 ans), mais Louis* et Baptiste* marchent comme des petits chefs. Dîner au refuge, puis retour à Pau.

24 avril. Hèches. Montée au Pourassa. À la descente, je surprends un jeune chevreuil qui bondit d’un fourré en lisière des premiers arbres, à six mètres. Superbe.

25 avril. J’y reviens dans l’espoir de le revoir. Je suis des traces dans le talweg de la source et assez haut sur les flancs boisés d’Arneille. Découvre un gîte. Nombreuses traces, mais ne vois rien.

404ème/. 14 mai. Pic du Midi de Bigorre (2872 mètres). Avec Jean*, montée à Barèges. Voiture laissée au virage 1944 mètres (9h45). Montons par la vallée d’Oncet. Neige vers 2100 mètres. Lac encore entièrement gelé. Mais il fait très chaud. Col de Sencours. Dernières pentes assez raides et pénibles. Sommet 13h30. D’en bas, l’observatoire ressemblait à un château de rêve... Les coupoles forment des dômes et la grande antenne le minaret... Ici, c’est plutôt une architecture futuriste. Vue admirable : du Montardo d’Aran à l’Anie.
Vers 16 heures, descente dans une neige très profonde et lourde, pénible. Crampes, mal au dos, mais pas de fatigue. Vers le bas, au-dessus de la cabane de Toue, marmottes.
PS : À l’observatoire, voyons quatre jeunes en stage. Nous sommes les premiers « touristes » (!) qu’ils voient montés à pieds. (Avons gravi 928 mètres).

405ème/. 17 mai. Patrice Chevalier* nous a « invités » à Accous. Montons au plateau de Lhers en Toyota et jusqu’à la cabane det Caillau. Il nous mène bon train jusqu’au col de Souperret et au pic de Labigouer (2175 mètres). Jean* descend en parapente avec lui. Je descends seul. On se retrouve à la cabane. Très beau, très amical.

11 juin. Retour d’une semaine chez Pierre*, à Paris. J’ai 39°8. Tourne autour de 40° pendant cinq jours. Congestion pulmonaire : tout le poumon gauche est pris. La fièvre tombe le 17, mais « le moral » reste difficile à défendre... (Anniversaires de deuils, Guérin*, le 25, Charlotte*, le 27). Scanner le 7 juillet, fibroscopie le 8. Le 22 juillet, la radio de contrôle est enfin assez bonne. Je retrouve mon souffle, mais on continue le traitement.

Le 25 juillet, avec Isabelle* et Didier*, montons à la Bouygue pour retrouver Paul*, Rosane*, Mme Merle*, Louis* et Laure* avec cousin et cousine. Vers 5 heures, malgré le temps brumeux, partons en promenade. Louis* insiste beaucoup pour que je vienne. (Suis tenté par la chaise longue !) Montons jusqu’au « caillau blanc » sous le col de Berbeillet (1600 mètres) qui est dans le brouillard. Je monte sans aucune peine, le souffle est bon. Après six semaines de maladie, c’est pas mal. Nous avons du gravir entre 450 et 500 mètres... Modeste !
Très heureux devant la vivacité et l’habileté de Louis*.
Soir, petit dîner sympa avec Isa* et Didier* sur la place d’Arrens, au frais. (Ce n’est pas Vielha, mais c’est bien).
Août, travail et mauvais temps.
Voyage à Corps. 10 septembre, avec Jacques*, Monette* et René*. Du col d’Esparcelet prenons un beau chemin jusqu’à la maison forestière des Vachers (1523 mètres). De là, je pars seul sur le « chemin de ronde » du Grun (2776 mètres). Très belle montée en sous-bois. Deux cents mètres (?) Il faut redescendre.

Le 14, après un bon déjeuner à Saint-Firmin (« Chez Gaston »), allons en Valgaudemar jusqu’à l’Hôtel de Gioberney. Je prends seul le chemin du refuge du Pigeonnier jusqu’au haut du premier ressaut où je vois deux chamois qui descendent vers moi un éperon derrière lequel ils disparaissent. Je quitte le chemin pour essayer de les revoir dans le ravin, derrière l’éperon. Petits passages « délicats » qui suffisent, avec les isards, à me faire une vraie journée de montagne.

406ème/. 19 octobre. Rocher d’Aran (1796 mètres). Pas de sommet depuis le 17 mai ! (Maladie, travail d’écriture, famille et mauvais temps). Le mauvais temps persiste, mais je dois conduire Jean* sur les coteaux de Jurançon où il fait les vendanges ; autant profiter du lever matin...
À 9h20, je laisse la voiture au virage de l’Artigasse. La pluie commence au bout de cinq minutes... La forêt de Bergoueits où l’on monte raide est superbe. La lumière ne vient pas du soleil absent, elle semble émaner des feuillages multicolores. Et même des bois morts. La pluie ajoute encore à la solitude.
Je reconnais bien les lieux de mon escapade du 4 avril 1991 (également mouillée).À la fontaine de Congles, je décide d’aller plein sud vers le Rocher d’Aran. Un sentier prend vers l’est et ramène en forêt. La pluie cesse un moment. Une montée raide. Arbres fléchés en rouge. Cairns. La piste mène au sud et l’on sort du bois au bas d’un grand glacis de bruyère sous la crête d’Aran. La neige se fait plus épaisse et plus glissante sur l’herbe mouillée. Hélas, il ne neige pas comme je l’espérais, c’est encore la pluie. Les colchiques se sont poussés du col pour percer la première neige ; ils ont de longues tiges mais renoncent à s’ouvrir tant le ciel est gris. Montée pénible sud puis sud-ouest. Un grand rapace traverse assez bas. Ce n’est pas un vautour (cou trop court, queue arrondie). Gypaète ?
Je monte sans trop de conviction. Suis-je un maniaque ? Je rumine ce problème : peut-on dire qu’une action est d’autant plus libre qu’elle est moins « séduisante » et plus rude ? Mais l’instinct de mort peut me manœuvrer, aussi bien que le plaisir... L’antithèse plaisir facile et plaisir rude comme lieu de la liberté ?

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Course 406. 19 octobre 1992. Le rocher d’Aran. "Ne pas aller au sommet serait plus une faute de goût qu’une faute morale".
(Photo Henri Ferbos).

La paroi du Rocher d’Aran plâtrée de neige sous le ciel noir a l’air terrible. Enfin, j’arrive à la crête... À quoi bon aller au sommet ? Je lui tourne le dos pour suivre la crête vers le col d’Aran (sud-est). Le Mailh Massibé est dans un beau nuage noir, mais les trouées de lumière sur Esturou n’en sont que plus belles. Il n’est que midi 20. Ne pas aller au sommet serait plus une faute de goût qu’une faute morale. Quelle inélégance ! Je retourne sur mes pas. Le brouillard arrive comme un complice pour ma paresse. Le vent est plus froid et gonfle mon poncho. La piste raide est facile et mène à une épaule sud-est. On finit par une crête étroite. Sommet, 1796 mètres, étroit et superbe. Jeux du brouillard. Faut tout de même pas s’attarder. Descente sans histoire. Je retrouve mes traces de montée. Casse-croûte heureux à la fontaine de Congles. Si quelques isards ou l’ours voulaient bien se montrer... Mais non, mon solo est bien du solo !
Retour à la voiture 15h30. En allant lentement, on va assez vite !

407ème/. 5 novembre. (Solo). Dans l’après-midi, le beau temps se confirme. Décision : je coucherai à la cabane d’Aule, dont j’ai un bon souvenir, pour faire demain le Gazies. Départ 15h30. Route encombrée. Bious-Oumette (1300 mètres), départ à 17 heures. Sac lourd, d’où la dernière partie de montée dans la bruyère paraît bien longue. La traversée du torrent au confluent où il faut redescendre pose problème : se mouiller ou pas... Je lance quelques grosses pierres mais le courant est si fort qu’elles sont emportées... La nuit vient, il faut oser. Deux bonds assez « périlleux » et je m’en tire sans casse. J’arrive à la cabane quand l’Ossau, qui a une belle carapace de glace, devient tout rose.

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Course 407. 5 novembre 1992. Le lac d’Aule. "Photographier devient un acte de gratitude, un hommage aux choses".
(Photo Henri Ferbos).

Cabane (1711 mètres) très humide et assez sale. Un rongeur a dévoré des journaux et en a mis partout. Coup de balai. Dîner très « pauvre ». 20 heures dans le duvet. Je dors bien malgré l’hôte papivore... Mais à 1 heure, il me réveille par un vacarme inquiétant. J’avais pourtant suspendu le sac de bouffe et le sac de déchets au plafond. Ils y sont toujours. Je me recouche. Nouveau réveil à 4 heures : cette fois, il est dans la « chambre » et attaque un carton où le berger a laissé ses oignons. J’allume ma lampe : c’est un adorable petit lérot aux grandes oreilles roses sur un tout petit museau pointu, avec des yeux en billes. La première fois, il avait fui à une vitesse incroyable, mais la seconde, il semble comme apprivoisé et très intéressé par le faisceau de lumière. Resommeil plutôt léger... Réveil 7 heures.

6 novembre. L’orient derrière le Lurien, lent spectacle parfait. Pas « spectacle » puisque ce qui se passe alors est vital. Départ 8h20. Très beau vallon et bon chemin. Je me retrouve à l’épaule que j’avais atteinte le 31 janvier. Avec moins de neige, la ravine est beaucoup moins impressionnante. Le chemin est visible ; c’est tout de même assez raide. Au-dessus, bonne neige bien gelée. L’arrivée au lac est superbe. J’y descends. Il est 9h30, lumière idéale. Photographier devient un acte de gratitude, un hommage aux choses.
Je monte nord-nord-ouest. J’enfonce à mi-cuisse dans un petit vallonnement en congère. Le Gazies me paraît bien loin et bien raide. Il n’aurait pas fallu passer au lac.
Par contre, gravir le Turon Garié (2381 mètres) serait tout « naturel » en partant d’ici. Je remonte facilement un grand éperon nord-est qui me mène à un premier sommet. J’y laisse le sac et suis la crête jusqu’au cairn. Surprise : une plaque de glace m’oblige à tailler des marches sur quatre à cinq mètres. C’est raide et « exposé »... Ça m’inquiète pour la descente... Beau cairn et vue prodigieuse. (11h20). Je descends de quelques mètres sur le versant nord pour éviter la plaque de glace. Traversée facile. Encore un peu de verglas, mais moins exposé. Retour au sac ; festin. Deux vols de petits passereaux franchissent le col en plongeant au ras. Un gypaète (?) -dessous clair, presque jaune, et queue longue- tourne autour du sommet. (Photo manquée : le mieux est l’ennemi du bien...)
Vers 12h30, j’entame la descente. Cabane 14 heures. Nettoyage. Départ 15 heures. Voiture 16h30. (Autant pour descendre que pour monter). Pas vu un seul isard !

1993

408ème/. 17 janvier. Jacques* et Monique* m’invitent à une « remise en jambes ». Choisissons Ansabère. (Je n’y suis jamais allé ce qui est une honte...!)
11 heures. Laissons la voiture dans le grand virage sous le pont Lamary, vers 1100 mètres. Temps idéal. La grande oulette du confluent entre le ruisseau de Pédain et le ruisseau d’Ansabère est couverte de glace. Je commence à regretter de n’avoir pas pris les crampons... Arrivée aux cabanes d’Ansabère superbe. Un groupe nous rejoint. Ne nous arrêtons pas. Les traversées vers le lac sont « délicates » sans crampons.
Lac à peine visible. Continuons sans sac par une croupe ouest-sud-ouest à moitié dégagée. Arrivons au cairn 2054 sur la crête de la Chourique. Vent froid et violent. Retour à la cabane. (On quitte le sommet à 15 heures). Une chute et une crampe. Repas chaud (soupe et lentilles !) à la cabane. Retrouvons la voiture vers 18 heures. Ciel couchant rose derrière les aiguilles.

409ème/. Dimanche 24 janvier. Pic d’Estibète (1851 mètres). Je prends Paula* devant chez elle ; nous montons au col de Spandelles. Laissons la voiture à l’avant-dernier virage où il y a de la neige. (Clot det Gahus, 1300 mètres). Montons directement au col d’Ansan. Paula*, boucles d’oreilles au vent, marche comme un charme... un peu trop vite. Prenons le beau chemin de corniche qui va nord-ouest vers le grand éperon ouest du Soum d’Arrouy. Étrange relief d’aiguillettes spectaculaires perçant la pente assez raide. Arrivés à la crête, il y a trop de monde au sommet. Restons sur l’antécime. Allons au cairn quand le sommet est à nous seuls. Luminosité superbe, vue immense et familière, musique des noms. Paula* heureuse.
Quittons le sommet à 15 heures. Je descends trop bas et manque l’amorce de la piste. (Trompé par la recherche d’un névé pris comme repère... L’erreur vient souvent de l’esprit de méthode !) Il faut remonter cent mètres. Test de bonne humeur. Paula parfaite. Voiture vers 17 heures.

410ème/. 3 février. « Fugit amor ». On doit guérir la solitude subie par une solitude active. L’action la plus simple est la marche. Je suis aujourd’hui incapable d’une autre action.
Retour à l’arrec de Sesques. Grand froid ; à partir du Cuyala, neige gelée. Je monte dans le cirque sous le col de Sesques. Cascades de glace ; le lieu est sévère et beau -beau parce que sévère. Solitude totale. Quelques traces de bêtes. Encore une fois, les crampons me manquent. Je dois m’arrêter vers 2000 mètres à 13h40. Retour au Cuyala où je saucissonne, puis à la cabane de l’Artigue où je fais du feu. Santé des gestes primitifs. J’y reste jusqu’à 16h30. Dans la descente, on peut perdre le chemin. Arrivé à la voiture un peu trop fatigué.

411ème/. 15 février. Je ne résiste pas à la tentation de repasser sur nos traces du 24 janvier. (Je ne veux pas oublier, au contraire fixer profond le souvenir).
Je suis au Clot det Gahus à 10h30. Montée rapide. Un hélicoptère de l’armée passe quatre ou cinq fois très bas au-dessus de ma tête ; quand j’arrive sur la crête, il se pose sur un piton. Solitude introuvable ! Les perturbateurs repartent sans être sortis de leur engin. Je prends sud-est la crête du Granquet. Avant le sommet, je croise un couple sympathique ; ils me prennent pour Robert Ollivier*... On bavarde. Je ne m’arrête pas au Granquet (1881 mètres), il y a des nuages assez menaçants, très mobiles, très beaux. Je continue la crête jusqu’au Soum de las Escures (1847 mètres). Cairn à midi 30. J’ai très faim, mais bientôt le froid me chasse. Onglée à la main qui tient le couteau. Descente mains dans les poches jusqu’au col. (Vol de petits oiseaux qui ont des allures de petits échassiers ; ils fuient en trottinant...) Je trouve un bon coin sous le col, à l’abri et au soleil. J’en profite à fond. Sur la chaîne, les rayons tombent obliques comme matérialisés en perçant les nuages. Permanence et impermanence, être et devenir mêlés, visibles. Je reprends la descente vers 14 heures. Très beau cheminement facile sur le versant sud vers le sud-ouest. On rejoint la piste de montée une cinquantaine de mètres au-dessus du col d’Ansan. Sur la route du retour, je fais un détour pour voir Corinne* à Cuyaubère.
Je vais mieux.

412ème/. 18 mars. Au Lauriolle. Avec Jean*, partis tard, montons en voiture jusqu’aux ruines de la mine... Entorse aux bons principes ! À la cabane d’Ibech, prenons tout de suite le long de la murette et remontons le ravin par une jolie piste sur sa rive gauche. Cherchons la cheminée sud-ouest mais appuyons trop à gauche. Au lieu d’atteindre une brèche étroite, trouvons un large col au pied de la première pointe. Tentative pour contourner par le versant nord, mais il est très enneigé et rien ne tient. Retraite. Revenus au col, nous nous encordons pour tenter un « à toute crête ». Faisons une longueur de vingt-cinq mètres qui nous mène au sommet de la première pointe. Brèche profonde. En face, mur vertical coupé d’une large fissure, pas engageant du tout. Nous renonçons. Le sommet est la troisième pointe. Restons au col, festoyons, mais Janus* n’est pas en forme... Allons tout de même vers le col d’Aspeigt et remontons sur la pointe cotée 1803, sur la crête du Pic de Larie. Vue sur Aspe, sur Sesques et sur Ossau, superbe malgré la fumée des écobuages délirants : ça brûle sur la crête même du pic de Bareilles et sous le sommet du Cinq-Monts ! Il n’est pas 14 heures. Je resterais bien là jusqu’au soir. (Ce que j’avais fait seul au Signal de Barca que l’on voit bien d’ici. Que j’aime retrouver mes traces ! Cet endroit en est plein). Mais Janus* s’impatiente. (Pourquoi ?) Nous serons de retour à la voiture à 15h40.

413ème/. 20 avril. Je prends Corinne* à Cuyaubère. Montée rapide au col de Spandelles, 1378 mètres. (Vu un adorable faon en lisière de la route ; il n’est pas effrayé et rentre dans le bois en se laissant voir). Voiture au col. Montons au Roc de Manoula où nous festoyons. L’endroit -rochers en sous-bois de hêtres- est superbe. Démarrons, un peu lourds, vers 14h30. Montée rapide vers la crête de Granquet. (Prenons le chemin du bas qui est beaucoup moins bon et direct que celui du haut). Le col du Las Escures a encore une jolie corniche de neige. Corinne* préfère aller vers le Granquet. Nous arrêtons au sommet (1874 mètres). Bon vent assez froid. Du Midi de Bigorre au Balaïtous, la terre étale sa splendeur. De quoi être assez heureux. Photo de Corinne* les cheveux au vent. Retour voiture 17h30.

414ème/. 13 juin. Soum de Las Escures (1847 mètres). Jacques* et Monique* m’ont invité à leur sortie dominicale. Retour aux Spandelles pour le Soum de Conque. Temps couvert ; on part tout de même. Départ 8 heures. Montons dans le brouillard. (Dans la montée, photo d’un pigeon voyageur, deux fois bagué, posé au repos, très « souverain » sur un bloc ; il daigne se laisser approcher). Nous retrouvons après quelques hésitations au sommet du Las Escures dans un brouillard épais malgré un vent violent et glacial. C’est bien plus inhospitalier que le 15 février... Descendons pour nous mettre à l’abri. Repas chaud selon la méthode Monique*.
Retour à la voiture (au Clot det Gahus) vers 14 heures. Je suis assez content du « test » de santé après les mauvaises semaines passées ces derniers temps. Quelle chose bizarre que ces hauts et ces bas dans la vieillesse. Pour compléter la journée, allons au gîte d’étape du Haugarou. Très sympa. Un endroit où venir à deux.

14 juillet. Pierre* et Henriette Fougère* arrivent pour déjeuner. (Ai réussi une ratatouille exceptionnelle). Partons pour Vielha dans la Citroën Xantia toute neuve et fort confortable. Nous y arrivons assez tôt pour nous baigner dans la piscine et prendre un peu le soleil. (Ce bain est pour moi un acte de courage décisif : je « surmonte » plus la peur d’exhiber mon corps marqué par la vieillesse que la peur de l’eau froide. Bain de jouvence ; j’en sors ravi. Certes, c’est mauvais goût que l’exhibition de la vieillesse devant la jeunesse -il y a deux jeunes filles dans l’eau- mais il vaut la peine d’assumer le mauvais goût -faute vénielle- pour assumer la vie -devoir majeur). Premier anis del Mono... Ce ne sera pas le dernier.

415ème/. 15 juillet. Passons le col de la Bonaigue (2070 mètres). Descente. Arrêt voiture après le pont qui ramène la route rive droite. Le chemin du barranco de Gerber prend là. Un groupe de jeunes Catalans prend le départ avec nous. (Henriette* doit redescendre réparer un oubli). 10h30, second départ. Excellent chemin. Passons près de deux petits lacs non signalés sur la carte espagnole (!) Lac Gerber à midi 20. Continuons au-dessus. Ressaut assez raide. Arrivons à deux lacs superbes. Arrêt sur un rognon. Nous sommes affamés, mais les mouches aussi qui attaquent en rangs serrés. Descente. Perdons le chemin dans un chaos à l’avant-dernier étage. (Un Allemand solitaire et deux jeunes Catalans ont fait de même). Chemin retrouvé. Voiture vers 16 heures. Cerveza à l’auberge du petit ermitage qui est en-dessous (1760 mètres). À Llavorsi, nous remontons jusqu’à Tavascan. On se contente de l’hôtel Marxan, bien modeste après le parador, mais l’accueil est sympathique. (En voyant ma carte d’identité, l’hôtelier s’émerveille d’avoir un an de plus que moi).

416ème/. 16 juillet. Certascan (2840 mètres). Quatorze kilomètres de piste abominable où la Xantia va vaillamment (et le chauffeur patiemment). Vallée impressionnante. On laisse la voiture vers 2000 mètres. Refuge de Certascan (2236 mètres) en quarante cinq minutes (temps Audoubert*). Là encore, une quarantaine de jeunes. (Étrange musique de voix fraîches et rugueuses qui gazouillent en catalan). La gardienne est minuscule mais fort aimable avec un short ajusté au plus court... De quoi contempler autant que du côté du lac … Lac tout à fait superbe. Bonne soirée. Mangeons avec des Français randonneurs, un homme et deux femmes + deux Catalanes. (Le gardien me parle de Pierre Minvielle*). Nuit mauvaise supportable, à côté de la blonde...

17 juillet. Réveil 6h30. Départ 7h10. Très beau cheminement facile. Petit couloir de neige étincelant. Sommet 10h40. Orgie photographique. Descente 11h40. Petites ramasses où je retrouve des impressions qui me rajeunissent de cinquante ans. Refuge 13h30. Cerveza.
(En descendant, montre perdue puis retrouvée... Suis-je suis con !)
Voiture 14 heures. La piste est pire à la descente qu’à la montée. À l’hôtel, mangeons des costillos de cordero vers 16 heures.
Descendons à Ribera de Cardos. Hôtel Cardos. Plus confortable. À l’accueil, une Maria qui parle français avec beaucoup de charme.

18 juillet. Repos. Piscine. Termine les « Mémoires » de Voltaire, commence Andrei Plesu, « Éthique de Robinson ». Deuxième nuit à l’hôtel Cardos. (J’y oublie mon porte-monnaie au propre et au figuré...)

19 juillet. Montons à Areu. Hostal vall Ferrera (T.B.) Discussion sympathique avec un vieux Franquiste qui a passé trois ans en France, à Dax, pour le commerce des mules. (Au dîner, un civet d’isard).

417ème/. 20 juillet. Pica d’Estats (3143 mètres). Pista longue et pénible. Départ voiture 7h10 (1880 mètres). Mauvais chemin dès le départ. Nous ne nous arrêtons pas au refuge. La descente dans le barranco de Sottlo fait perdre soixante dix mètres et est coupée de barres où il faut mettre les mains. Arrêt à la passerelle (2160 mètres). La suite est magnifique. Au plaa, nous dérangeons une harde de jeunes isards pas trop farouches avec père et mère. Photos. Estany de Sottlo (2370 mètres) superbe. C’est là qu’il aurait fallu camper. Henriette* nous quitte à l’estany d’Estats (2471 mètres). Montée au port de Sottlo (2894 mètres) longue mais pas trop pénible. Bonne piste. On se restaure avant de prendre l’arête. (Je laisse mon sac au col). Surprise : ce 2 est parfois du 3 (ça ne se descendrait pas face au vide). Petites cheminées qui rejoignent l’arête entre des vires faciles. Sommet du Verdaguer (3131 mètres) seuls. Rejoignons un couple catalan au sommet de la Pique (3143 mètres). Croix, drapeau et vierge catalans. C’est très beau avec le brouillard qui monte de France.

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Course 417. 20 juillet 1993. Avant la pica d’Estats, le Verdaguer (3131 mètres).
Henri Ferbos pose au sommet.
(Photo Pierre Fougère).
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Course 417. 20 juillet 1993. Pica d’Estats (3143 mètres). Henri Ferbos (à droite) et son ami Pierre Fougère se sont fait photographier par un randonneur catalan rencontré au sommet.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ça ne nous dit rien de descendre l’arête sans corde ; aussi, nous suivons les balises jaunes vers le nord. J’ai peur de descendre trop bas. Nous prenons vers l’ouest trop tôt, trop haut. Cela nous ramène à la crête par des roches raides et pourries. Pierre* ne veut pas continuer à ce niveau. Retour sur nos pas. Le brouillard rend tout disproportionné. Trouvons un passage pour rejoindre un névé. Ramasse. Je fais deux chutes enrayées au piolet. Trouvons de bonnes traces qui remontent à une brèche. Déception, ce n’est pas le col de Sottlo. Nous descendons un peu sur un versant qui est sud-ouest. Nous avons franchi un éperon nord du Sottlo, pas la crête ouest-est, et ne devons pas être très loin du sommet (3075 mètres). Nous avons fait une boucle complète sur le versant est du Sottlo, dans le brouillard. (C’est le cas de dire que nous avons perdu le nord !) Heureusement, nous retrouvons la trace qui nous fait remonter au port de Sottlo (par le sud) où je retrouve mon sac. Tout est bien qui finit bien, mais nous nous sommes sentis paumés… et un peu inquiets.
Suite de la descente interminable et douloureuse. Retrouvons Henriette* sur le chemin du barranco à l’endroit où il faut remonter avec les mains. Arrivons à la voiture nuit tombante, mais une cerveza au refuge nous a rendu des forces.
À l’hôtel, ils se sont inquiétés et ont averti les pompiers (!) On nous sert aimablement et royalement à minuit.

21 juillet. Repos. Photos à l’eglesia de San Feliu de la Forsa. Descendons la vallée jusqu’à Gerri de la Sal. Fonda et visite d’un monastère (fermé).
Remontons à Espot. Hôtel moderne très laid à Super-Espot. Nous trouvons mêlés à une colonie de vacances. (La jeunesse catalane nous aura partout poursuivis...) Lu « Lettre à l’absente », de P.P.D.A*. Étrange !!!

418ème/. 22 juillet. Nouvelle piste pour monter à l’Estanyet et à un col (2246 mètres). Un petit sommet est à portée de pieds. Nous y allons. Farniente dans un cadre superbe. C’est le Cap de la Socarrada (2265 mètres).

23 juillet. Montée à Saint Mauricio. Parking effrayant (plus de cent voitures). Faisons le tour complet du lac, émerveillés. Nous n’y rencontrons que dix à quinze personnes. On peut se croire seuls. Montée au refuge Ernest Mallafré (trouvons un ours !) et départ pour le lac de Subenuix, 2300 mètres. (Brulle* et le vieux Joanne* disent Subenulls). Brulle* a raison : « Qui ne connaît pas les Encantats ne connaît pas les Pyrénées ! »
Mais toute cette beauté ne peut nous retenir. On a un peu envie de retrouver son gîte. On décide de prendre le chemin du retour en allant coucher au parador d’Arties. On s’en trouve bien. Il est superbe et quelle table : une « truite à la pierre » mémorable !
À
24 juillet. Achats à Bossost. 13 heures, Pau. Déjeuner au Corona. Séparation « émue ». Ce sont dix jours qui comptent !

419ème/. Paul* et Louis* arrivent le lundi 26 juillet. Le 27, nous déjeunons à Sallent un peu tard. La vieille voiture de Paul* monte vaillamment jusqu’à l’Embalse de la Sarra. Parking au bout du lac. Pont. Le chemin part rive droite. Les sacs sont très lourds. La vallée superbe : gorges profondes, cascades, flore magnifique. Hélas, on finit dans le béton et les ruines d’un immense chantier.
Respumoso est au tiers vide. Nous passons au nouveau refuge (il sera détruit par une avalanche) qui est encore en chantier. Il faut continuer. Louis suit très bien. Nous plantons les tentes sur un replat tout près de l’ancien refuge. Il faut faire vite, la nuit tombe. On mange (plutôt mal) au clair de lune et à la frontale. J’inaugure ma nouvelle tente à un arceau. Bon sommeil malgré un sol plein de bosses.

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Course 419. 28 juillet 1993. Henri Ferbos et son petit-fils Louis (le fils de Paul, âgé de 5 ans) lors d’une randonnée familiale, entre le lac de Respumoso et l’ibon de Llena Cantal.
(Photo Paul Ferbos).

28 juillet. Réveil 7 heures. Lumière parfaite. Festival photos. Grand-père, 73 ans, père, 42 ans, et petit-fils, 5 ans, en route pour Campo Plano ! (Les blocs de béton du chantier abandonné du barrage de Campo Plano !) Ibon de las Ranas très beau. Comme trop de « touristes » vont vers le col de la Fache, nous décidons d’aller vers où personne ne va, vers l’Ibon de Llena Cantal. Vallée orientée plein sud.

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Course 419. 28 juillet 1993. L’ibon de Llena Cantal. À l’arrière-plan, les Frondellas, la brèche Latour et le Gavizo-Cristal.
(Photo Henri Ferbos).

Du bout du lac, nous remontons vers le sud-ouest. Une marmotte énorme détale sans siffler à sept ou huit mètres. Surprise : un très beau petit lac coté 2223 sur la carte. Arrêt. Louis* entreprend une pêche aux têtards qui l’intéressent manifestement plus que les sommets... Montée agréable jusqu’à l’ibon (2440 mètres) dans le cirque de Llena Cantal. Nous contournons la rive gauche jusqu’à la belle cuvette de neige où Louis* s’en donne à cœur joie. Le pic de Tebarray est trop haut, le col de Piedrafita aussi d’où j’espérais revoir de près l’Enfer... Passé 14 heures, il est plus sage de descendre. (Il y a plus de mille mètres à descendre avec des remontées pénibles). Retour à la tente plaisant, mais la suite pénible. Soleil aussi « écrasant » que les sacs.
Louis* aussi est fatigué, mais vers la fin il invente un jeu avec lequel il surmonte sa fatigue : il imite le bruit d’un moteur avec accélérations et changements de vitesse dans les remontées ; avec ça, il « avale » le chemin. (De toute la journée, il n’a pas émis une plainte !)
À Sallent, nous dînons fort bien, après la cerveza et les aceitunas sur la terrasse. (Bar-restau sur la dernière place en contrebas du village). Joli cadre : nous voyons griller nos costillas à la cheminée. (Nous voyons aussi quelques très jolies femmes). Pas de frontière au Pourtalet, ni police, ni douane. Arrivons à Pau ; Louis* dort déjà depuis longtemps.

420ème/. Besiberri sud (3030 mètres ; 120ème)
10 août. Jacques*, Monique* et Claude Roger* me prennent à domicile. Départ pour Caldes de Boi. Cherchons en vain le sentier du lac de la Llosa indiqué sur la carte Alpina. Redescendons pour prendre celui du Pla de la Cabana. Belle montée jusqu’au lac de Gémena de Baix où nous plantons les tentes. Soirée magnifique.

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Course 420. 11 août 1993. Le lac de Gemena de Baix, sur le chemin du Besiberri sud.
(Photo Henri Ferbos).

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11 août. Départ vers 7h30. Montons sans doute trop haut pour contourner les barres sous les estanys Gelats. La piste traverse des coulées de pierrailles instables. Un bloc assez gros part sous mon pied ; je tombe et roule sur le côté gauche. Ma tête cogne sur un bloc plat. Choc à la tempe et oreille un peu égratignée. Rien de grave, je ne suis pas « sonné ». Un peu de sang juste pour le pittoresque. (Je ne m’apercevrai qu’à la descente du coup pris sur la cuisse qui a aussi un peu saigné. Aucune raison d’attribuer cet incident à la vieillesse).
Petite descente vers un grand couloir enneigé qui monte vers le col d’Avellaner. Neige encore très gelée. Il faudrait les crampons. Jacques* et moi rejoignons un éperon herbu rive droite, mais Claude* et Monique* continuent rive gauche. Plus haut, il faudra sortir les cordes pour les aider à traverser. Vers la fin, beau petit passage dans la rimaye. (Excité, je ne sens plus ma fatigue...) Col superbe. Un pierrier pentu mais facile mène au sommet 3030.

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Course 420. 11 août 1993. De gauche à droite, Henri Ferbos, Monique Harang et Jacques Harang au sommet du Besiberri sud.
(Photo Claude Roger).

Très beau sommet sud. Nous y sommes accueillis par un petit oiseau familier (ce n’est pas un « accenteur alpin », il a une toute petite tête au crâne aplati avec des yeux proéminents...) Il nous suivra à la descente jusqu’au col où on le nourrira.
Mais les crêtes vers les Mig et vers le Coma lo Forno sont longues et manifestement moins faciles qu’on ne dit. Jacques* serait tenté, mais je pense à la longueur de la descente. On se contentera de monter au Pic d’Abellers (2990 mètres). Beau bloc terminal.
Sous le col, hésitation : faut-il remonter pour suivre la piste de ce matin ou peut-on continuer dans le vallon ? La majorité décide d’en courir le risque. Trouvons des cairns (chaos). En appuyant sur la gauche ça passe très bien. Mais il y a une seconde barre à passer encore par la gauche. Enfin le cinquième lac et les tentes. Dos douloureux. Bonne halte à la source de Pla Cabana. Dernière étape interminable, chaleur écrasante. Enfin la voiture. Nous aurons deux chambres à la Fonda Pascual. Bonne douche et bon dîner. Le supplice est oublié.

421ème/. (Solo)
2 septembre. En route pour Corps. Arrêt à Thuir. (Avec Arlette*, journée à Santa Margarita). Arrêt à Agde. Coucher à Veynes.

7 septembre. Voiture au col du Festre (1442 mètres). 9h15. Prends le GR94 vers l’ouest sous un ciel d’encre. Colchiques énormes... Le quitte vers 1700 mètres. Montée facile ouest. La cabane 1781 mètres est un affreux cube de métal en ruine. J’aperçois le berger qui est plus bas. Les « fontaines froides » sont une série d’abreuvoirs. Au-dessus, on suit un bon talweg vers le collet (1942 mètres). Je monte à gauche vers la Tête de Merlant (2001 mètres). Sommet 11 heures. Belle vue aérienne sur le vallon des Aiguilles. Le plafond laisse juste voir le Pas de la Cavale (col de la Tête de Vachères). À l’aval d’une vaste oulette, on voit une jolie cabane en bois. Mastication tranquille sous les nuages de plus en plus menaçants. Cède à l’envie d’aller voir la cabane. Au collet, je prends plein ouest une pente raide mais sûre qui m’amène jusqu’à la oulette dite « Pré du col ». La cabane a été occupée par des spéléos qui ont laissé du matériel. Il commence à pleuvoir. Je retrouve le GR94 bien balisé. On remonte pour prendre des corniches qui dominent des à-pic impressionnants. Prudence redoublée sur le rocher mouillé. Voiture vers 13h30. À Corps, personne, mais René* m’a laissé un mot : « Regarde quelle est la température et tu trouveras le sésame ». La clé est en effet cachée au pied du grand thermomètre du jardin. (Instrument antique qui vient de Cérons !) Temps détestable ; je ne ferai pas la Tête des Fétoules.

422ème/. (Solo). 17 novembre. Lac de Lhurs. Plus de deux mois d’inaction. Ne suis pas « en forme », avec des séquelles d’une mauvaise bronchite. J’ai bizarrement un peu peur de partir seul et, en même temps, beaucoup d’impatience. Décision.
Départ Pau 9h20. Arrêt voiture au carrefour du Borde d’Anapia 10h50. (1000 mètres ? Il y a un grand parking au-dessus et la piste permettrait de monter en voiture beaucoup plus loin et plus haut). Très beau chemin en forêt. Arrivée en face des falaises, hautes dalles linéaires « pures ». Le chemin monte à droite des dalles. On pense à la hardiesse des communautés pastorales qui l’ont tracé pour atteindre la « richesse » du bassin de Lhurs. Génie de la pauvreté pour laquelle quelques hectares d’herbe étaient une promesse de fortune ! Traversée sur des pentes de gravier gris jusqu’à la gorge. Le chemin part complètement à gauche pour surmonter le dernier ressaut par la rive droite. Grands lacets. Lapiaz. Enfin le lac. (13h50, j’ai « fait » le temps correct...)

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Course 422. 17 novembre 1993.
Le lac de Lhurs.
(Photo Henri Ferbos).

Le lac n’a pas de déversoir ; il s’est gelé, et comme il se vide par le fond la plaque de glace se brise avec des bruits impressionnants. Le temps est splendide, la solitude parfaite. En mangeant près d’un ruisselet qui chante gai, je pense à la mort, chose si simple, si visible dans un tel cadre. (Idée d’un texte sur le suicide, qui s’écrit tout seul dans ma tête pendant que je monte vers la cabane de Lhurs... sans le savoir car elle n’est pas mentionnée sur la carte).

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Course 422. 17 novembre 1993. La cabane du lac de Lhurs. "Elle est à l’abri d’un énorme bloc. C’est une cabane vivante. J’en jouis un bon moment".
(Photo Henri Ferbos).

Merveilleuse surprise. Comme celle d’Ansabère, elle est à l’abri d’un énorme bloc. Mais elle est restée plus archaïque ; plutôt plus « antique » : sa porte de bois étroite, son sol de dalles, les ustensiles. C’est une cabane vivante. J’en jouis un bon moment.
Il n’est que 14h45. J’aimerais monter à la crête du Dec de Lhurs. (Le sac avec les deux appareils photo et le 210 m/m, et les jumelles, est de plus en plus lourd). Je monte vers le cirque sous la Table des trois rois, puis je traverse vers la gauche (sud-est) vers des blocs détachés (point 1875), continue en traversée le tour du bassin. (Monter à la crête serait de l’excès, car la descente va être longue. Je l’amorce quand l’ombre des crêtes dévore la cabane et aborde le lac. Ici, ombre et lumière valent une montre !) En traversant le lapiaz sous le lac, vu à gauche du sentier une dalle gravée : « Garissère Jean*, Dus août 1915 »
(Dernière photo sur l’Ossau à 18 heures).
Suite douloureuse : dos et sternum. Retour Pau 20 heures.

1994

423ème/. 29 janvier. (Solo). Ce matin, grand beau temps. Décision impromptue et tardive. Départ 11h30. Le plus proche, c’est Bielle. Voiture à la cabane du Bourdiou (842 mètres) à 12h20. Au premier virage où la route forestière part vers l’est, je continue vers l’ouest. Il fait assez froid : verglas. Lacets, sous-bois ; je coupe ; la neige est gelée et tient bien. Au-dessus, je suis une trace de raquettes. Pentes raides. Je regrette de n’avoir pris ni piolet, ni crampons. Je prends quelques risques. Une pensée pour Jacques* qui ne serait pas d’accord. Le Lauriolle est superbe. Apparaît (16h30 ?) la cabane de Lauda. Bonne cabane au bord d’un beau balcon. Il est 15h10. Je mange avec appétit. Euphorie. 15h40, descente à grands coups de talons. Photos. (Un arbre mort énorme, couché et vert de mousse, d’où sort vertical un arbre adulte superbe : la continuité de la vie rendue visible). Cabane Bourdiou 17h10.

424ème/. 10 mars. (Solo). Parti tôt pour le lac d’Isabe malgré un temps gris. Trop de neige et trop chaud. Je perds le chemin et m’enfonce jusqu’aux genoux. Sous-bois magnifique. Sévérité du silence. Je redescends et traverse pour rejoindre la cabane de Cujalate (1350 mètres). Une heure au soleil en festoyant. Les nuages montent de la vallée et reculent juste à l’entrée du replat. Bruit énorme. Je crois un instant que c’est un avion. C’est une avalanche qui tombe du bien nommé Pic de la Ténèbre. (Il y en aura deux autres). Les pentes sous le lac d’Isabe sont elles aussi balayées de traînées. J’ai bien fait de renoncer. Il n’est que 13 heures. Je décide de tenter de monter au Pène Hourque par les pentes sud qui sont déneigées. Je vais est-nord-est ! Puis est. Traversée d’un petit bois. Passage près d’une source. Grande pente bruyère. Encore quelques arbres. (J’espère toujours que quelque grande bête va surgir. Le Bouerzy n’est pas loin et le récit du Comte de Bouillé*...) Des plaques de neige à éviter. Au-dessus, à nouveau la bruyère très raide jusqu’à une barre rocheuse. Sous la barre, c’est + de 50 degrés... Il serait peut-être temps d’avoir peur. L’altimètre : un peu plus de 1500 mètres. Je suis encore loin de la crête qui est à 1700. (Un couple de rapaces m’observe). Deuxième renoncement de la journée. Retour prudent à la cabane. Je ramène du bois. Il n’est pas 15 heures. Je resterai autant que le soleil. Balayage. Je redescends une poche d’ordures. Chemin glissant. Quand ce n’est pas de la neige, c’est de la boue.
Forme A.B., mais je n’ai fait que 600 mètres de dénivelé.

[Ai pensé au Chaos. Avons-nous le pouvoir de le laisser tomber au néant par notre indifférence, ou de l’élever au sacré en y voyant le sublime ? Jusqu’où va notre pouvoir de « consacrer » : de dire sur la neige et la roche, sur l’herbe et l’arbre, « ceci est mon corps, ceci est mon sang » ? La communion panthéiste, seule communion qui vaille ?]

425ème/. 25 mars. (Solo). Mardas. Je reviens au Bitet. Je veux observer le changement de la montagne en quinze jours. La neige a un peu reculé, mais moins que je n’aurais cru. Première surprise sur la route forestière : au même endroit, le même couple de petits passereaux (geais des chênes ?) Le 10, je les y avais vus et ils m’avaient suivi, plutôt précédé, à la montée et à la descente. Les pentes du Pène Hourque où j’étais monté ont été brûlées -écobuage sauvage manifestement nuisible sur des pentes si raides où le sol sera ruiné.
Je voudrais gravir le pic Montaut (2016 mètres). Je traverse sans peine les deux ravines profondes et prends des croupes déneigées qui me conduisent trop au nord. En chemin, j’admire la poussée végétale. En bas, ça sort à peine de terre, la floraison ne se déclare que plus haut. Là un parterre, parfois serré, où se mélangent le jaune des jonquilles et le violet des érythrones, délicates sur leurs deux feuilles longues marbrées de noir. C’est superbe et juste au-dessus la neige reprend ses droits. Je remonte une assez grande pente qui se relève sérieusement. Quand, sous la neige instable, le pied trouve la neige dure, ça va, mais quand il ne trouve que l’herbe, ça devient inquiétant. J’enfonce le piolet au maximum. J’aboutis à une petite épaule où le rocher perce. L’altimètre indique 2140. Le Montaut est derrière moi, nettement plus bas. Le sommet est proche mais défendu par un petit mur. Il faut faire une traversée délicate vers l’arête ouest. En montant dans la pente, j’ai eu des petits avertissements de crampe (aux « adducteurs », dans la face interne de la cuisse droite). Si ça se déclenchait tout à fait en pleine pente, ce serait gênant. Bref, j’estime en avoir assez fait et décide la descente. Est-ce sûr instinct du danger ou couardise ? Je ne jurerais pas (j’ai pensé « il », comme un tiers indiscret et abusif, puisque c’est « je » seulement qui doit et peut décider) que la douleur annonciatrice de la crampe n’ait pas été une somatisation de la peur.
Mon principe « marche ou crève » n’implique nullement qu’il soit temps de crever, et ne veut pas pousser à l’étourderie ou à l’imprudence... Quelle belle et bonne chose qu’il soit aussi impossible et vain de se juger après coup que de juger autrui !
En faisant bien confiance aux talons, je peux descendre la pente raide face au vide. Plus bas, je mets les raquettes et je suis les creux que j’avais évités à la montée. Je les garde jusqu’au petit plateau où l’on retrouve le chemin.
Après comparaison des photos de février 1976 (Gina*) et de février 1982 (Isabelle*) et de février 1989 (Jacques et Monique*), je peux conclure que l’enneigement de cette année est exceptionnel.
Sur la neige du plateau (1500 mètres), une trace d’oiseau étonnante. Plus bas, quand le chemin passe rive gauche, problème : le tronc glissant qui était à fleur d’eau en montant est maintenant sous 20-25 centimètres. Le bain est inévitable. Autant y aller carrément. Glissade attendue impeccable. J’en ai jusqu’aux genoux. Il faut vider les souliers. Arrêt à la cabane de Cujalate. (Mon bois a été brûlé, mais c’est aussi propre). Je mange. Le soleil s’est caché derrière les crêtes. J’espère l’animal qui sortirait de sa cachette. En vain, seuls les oiseaux éveillent l’espace par des chants subtils. Plus bas, en plein chemin, dans la boue, je verrai une trace longue et nette. Le lynx ? (À en croire le dessin paru dans « Pyrénées mag », n° 29, page 75, ce serait bien ça. Sauf que là, la « pelote plantaire » était plus longue que large).

426ème/. 6 mai. Journée superbe, il faut en profiter. Improvisation rapide ; départ 9h30. Il faut aller au plus près : donc Bielle. Cabane du Bourdiou. Voiture au premier virage, 10h25 (à l’altitude 920 mètres). Je quitte le chemin pour monter directement en forêt. Très raide. Détour le long des rochers qui offrent des tas de trous à bêtes. Je n’en vois pas. Sortie de la forêt 12h30 sur un bel éperon herbu qui ferme le bassin Lauriolle-Larie. Je dérange deux marmottes. Arrêt casse-croûte. Pas question d’aller au pic de Larie, la neige est lourde et c’est très avalancheux. Je suis à la hauteur de la cabane de Lauda. Pour traverser, il faudra perdre de la hauteur et remonter. À la cabane, je vois arriver un autre solitaire à cheveux blancs. Nous bavardons une bonne heure. Il est d’Arudy, il a 65 ans. Un jeune !... Il descend. Il n’est que 15 heures, je décide de monter vers le Montagnon. Source magnifique. Herbes couchées par les coulées de neige. C’est raide et très glissant. Au-dessus, bonne traversée plein ouest. La neige semble tenir puis cède brusquement...
J’atteins un éperon d’où l’on voit tout le bassin sous le Massibé. Un bon rocher pour la halte. (À l’altimètre, 1760, mais je pense que ce doit être plus). Il est 16 heures. Descente en douceur. Bon arrêt à la source et nombreux arrêts contemplatifs. Vers 18h30, la voiture. À Pau, une bonne lettre de Del*.
[J’ai bien marché. (900 mètres). Les abominables varices qui insultent mes jambes n’ont pas des conséquences fonctionnelles sensibles. C’est étrange. Est-ce le moral qui fait marcher ?]
Dans la lumière du soir, toute la gamme des verts : des verts-pomme des hêtres aux verts-bleu des sapins. Pareille la gamme des émotions.

427ème/. Pic de Larie.
10 juin. Encore un départ improvisé. Je n’ai plus à taper pour les « Mots ouverts »* que le mot zigzag. Un « écrivain » préfèrerait terminer son écrit qu’aller faire la chose sur le terrain. Je préfère n’être pas un écrivain et y aller. En apparence, c’est mal -je me laisse distraire- mais pour moi c’est bien : j’authentifie mon amour du réel et la primauté de l’action humaine.
Plaisir de replacer mes pas dans mes pas. Le bois d’Aspeigt est mon jardin. J’y reconnais les grands hêtres. Au-dessus, le jardin a changé de couleur : le bleu des ancolies en pleine floraison domine. Il y a un mois, c’était le jaune qui dominait avec les renoncules. Rencontre d’un berger avec deux vaches qu’il ramène ; le gros du troupeau est là-haut. On échange quatre mots, mais cela suffit à la « cordialité ».
Cabane de Lauda à midi 20. J’ai mis deux heures sans la moindre fatigue.
L’ombre d’un rapace me passe dessus, très bas. J’ai à peine le temps de le voir. Arrêt gastronomique d’une heure. Horreur ! J’ai oublié mon couteau... Impardonnable ! Il y a 400 mètres d’ici au Larie. Montée plaisante. Il y a encore quelques plaques de neige et une belle corniche au col de Lariou. Je rejoins la crête à l’est du pic. Petit bout de crête où je dois mettre un peu les mains. Sommet (1903 mètres) à 14h15. Vue aérienne sur Aydius et toute la vallée en enfilade. Le Sesques domine, toujours royal. Le ciel est balayé de gros cumulus superbes : crêtes blanches éclatantes et vautours noirs sévères. Hélas, l’ours ne paraît pas dans le haut-bassin d’Aydius. Pas le moindre isard, mais un gypaète barbu vient m’observer. Moi, j’observe un couple de papillons. Un regard aussi sur le plateau du Castet où une autre bête mystérieuse (et pour moi la plus adorable) a une tanière. Descente à 16h30. (Plus de deux heures au sommet). Trois petites ramasses bien plaisantes. La permanence de certains gestes et savoir-faire de la jeunesse dans un vieux corps, c’est encore la jeunesse ; non par illusion, mais par action réelle.
Je traverse et remonte un peu pour aller voir de près un superbe abri sous roche sur la rive gauche du vallon. Pas la moindre trace d’herbes sèches ou de crottes. Manifestement, cela n’a pas été occupé depuis longtemps. Ce serait pourtant une parfaite tanière à ours. Retour à la cabane. Dans le bois d’Aspeigt, je mesure, grâce à un lacet, le plus gros hêtre : il fait 6,50 m de tour à un mètre du sol. Sûrement, il était déjà grand quand le comte Russell passait par là...
Je ramène un superbe bouquet d’ancolies... Pour personne.

Jeudi 7 juillet. Grand départ avec Pierre Fougère* et Henriette*. Arrivée Vielha vers 18 heures. Chambre 227. (J’ai pour compagnon un petit carnet et fais quelques lettres). Termine le « Sur la philosophie », d’Althusser. (Justement, il ne faudrait pas écrire « sur » la philosophie, il faudrait écrire « pour ») [NDLR : Cette phrase entre parenthèses a été rajoutée dans la marge par Henri Ferbos qui, après avoir, dans un premier temps, écrit le titre de l’œuvre de manière erronée, « Pour la philosophie », a corrigé sa faute par une surcharge.]

428ème/. 8 juillet. Pic du Portarro d’Espot (2733 mètres). Erill-la-Vall. Riu de Sant Nicolau. Parking vers 1800 mètres, 9h30. Vallée granitique boisée. Sous-bois humide très vert. Refuge d’Estany Llong où nous ne nous arrêtons pas. On longe le lac. (Beau et frais comme une femme couchée). Chemin excellent jusqu’au Portarro d’Espot (2423 mètres). Avec Henriette*, descendons un peu vers l’est pour avoir une vue plus dégagée vers Saint Maurici, mais celui-ci n’est plus visible. Après casse-croûte, je monte seul au Pic de Portarro (2733 mètres). Vue plongeante sur Amitges. Au premier plan à l’ouest, le Gran Tuc de Colomers, à l’est les Encantats. Descente rapide, amusante vu la raideur. Pierre* et Henriette* ne m’ont pas attendu. Je les rejoins au refuge où la cerveza fait merveille.
Des geais traversent le sentier et la route, agitant d’autres couleurs.

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Course 429. 11 juilllet 1994. Les cascades dans la montée vers le refuge de Ventosa.
(Photo Henri Ferbos).

429ème/. Dimanche 10 juillet. Punta Alta (3014 mètres). Montée à Ventosa, 2220 mètres. (Souvenirs de septembre 1988 et du 8-9 août 1991 : nuit de tempête sous la tente à la Pleta del riu Malo). Un peu trop de monde, mais les autres (qui deviennent « les gens ») sont aussi supportables que nous. Arrivés vers 16 heures. Nous avons fait un bon arrêt sous les cascades ; nous avons le temps de musarder. Vais voir vers l’est le départ du chemin pour demain.
Repérons trois Françaises ; nous saurons demain qu’elles sont Tarbaises.

Lundi 11. Lever 6h15, mais les gardiens ne se lèvent pas et il faut attendre l’eau chaude qui servira de déjeuner... Ici, le self-service triomphe... (Hier soir, les gardiens jouaient aux cartes pendant que les « clients » lavaient les tables ! Ai-je tellement tort d’avoir le sentiment du manque universel de « considération » : ce n’est pas la guerre de tous contre tous, mais c’est le mépris de tous pour tous).
(NDLR : Note en marge : Voir Jean Ritter, « Pyrénées », n° 167, 1991).
Descente sur Font Bassa -2148 mètres. Le chemin est vite inexistant. Piste difficile à travers de gros blocs, pas ou mal cairnés. Mais l’enchantement d’une végétation superbe ; l’eau est partout...
L’estany de Culieto contourné par le nord et l’est, on trouve une piste très bien tracée jusqu’à l’estany de la Roca (2395 mètres). Mais Henriette* nous quitte et redescend au refuge.

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Course 429. 11 juillet 1994. Henri Ferbos au-dessus de l’estany de la Roca, entre le refuge de Ventosa et la Punta Alta.
(Photo Pierre Fougère).
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Course 429. 11 juillet 1994. La Punta Alta.
(Photo Henri Ferbos).

Le petit lac avec son gros caillou est superbe entre roche et névés. Montons sud-ouest dans un grand couloir raide et facile. En haut du vallon pierreux qui fait suite, vers 2500 mètres, Pierre* préfère en rester là. Il n’est que 11h30. Un couple jeune qui nous a dépassés fait une belle trace. Je continue seul. Après la neige, un grand couloir pourri avant de beaux blocs amusants. Je suis au sommet (3014 mètres) à midi 10. J’ai bien marché. (Rien ne m’avertit de ce que c’est mon dernier 3000 pyrénéen, le 121ème ou 123ème). Je retrouve avec joie les deux jeunes (ils sont beaux).
(Je crois que je n’aimerais pas tant les rencontres si je n’aimais pas tant la solitude et que, de même, je n’aimerais pas tant la jeunesse si je n’aimais pas ma vieillesse).
Vue formidable : les lacs glacés de Coma les Bienes, le Montardo, Besiberri, Aneto... Chaque fois des actions et des amis. Reste vingt minutes au sommet. À la descente, dans le couloir, je croise les trois Tarbaises. (Elles ont manqué la voie). Deux petites ramasses avec une chute vite arrêtée... mais le piolet n’était pas de trop. Je retrouve Pierre* avant 14 heures. (À 13h30, selon lui). Faim et soif. Nous descendons jusqu’à la première eau. À l’estany de la Roca, l’orage commence à gronder. Orage sec. Les premières gouttes nous toucheront au Culieto. Nous passons à travers, mais c’est très noir sur la Punta Alta et je m’offre le luxe de m’inquiéter pour les Tarbaises qui étaient « fort déshabillées ». Refuge à 16 heures. Il faudra sortir les ponchos dans la descente au-dessus de la Pleta del riu Malo. Voiture vers 18 heures. Hôtel Pascual au Pont de Boi. Anis et paëlla monstre.

12 juillet. Tourisme : Taüll, col de Perbes (1325 mètres), déjeuner excellent à Santerada. Le besoin de piscine nous ramène à Ribera de Cardos. À l’hôtel, la belle Maria nous reconnaît. Piscine tout de suite. Nous nageons sous la pluie. Impressions subtiles délicieuses après une journée de lourde chaleur.
L’hôtel de Cardos est un musée de peintures et d’objets ; beaucoup mieux qu’un parador.

Mercredi 13. Kundera me fait découvrir la « litost ». (Je découvre en même temps que je suis exempt de ce mal). Ce texte de Kundera est un vrai chef-d’œuvre « fin », « orgueilleux » et « honnête ». Soir : promenade à Surri et Bonestarre.

Jeudi 14 juillet. Portons notre petite république à Espot. Hôtel Saurat (j’ai une chambre 203 comme à l’hôtel Cardos...) C’est une toute petite chambre où le plancher grince. Peut-être a-t-il grincé sous les pas de Brulle* ?
Avant le dîner, allons visiter « Jou » i « Son ». (Sic). Retour par Esterri d’Aneu.
Toute honte bue, un 4X4 nous portera demain au refuge d’Amitges.

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Henri Ferbos "hédoniste", savourant le parfum de fleurs de montagne au-dessus d’un village des Pyrénées catalanes, en juillet 1994.
(Photo Pierre Fougère).

430ème/. Vendredi 15 juillet. Pic d’Amitges (2840 mètres). En 4X4, on est tellement secoué que cela devient un jeu, une sorte d’attraction de foire genre toboggan, et que l’on ne voit rien. Heureusement, nous ferons la descente à pied.
Refuge d’Amitges (2380 mètres), 8 heures. Les cartes Alpina et Randonnées Couserans ne sont pas du tout d’accord. Toponymie douteuse.
On descend pour passer entre l’estany Gran et l’estany dels Barbs. Cheminement au nord du lac vers le nord-est. On monte assez haut –source- avant de rejoindre, sous les aiguilles d’Amitges, le fond du vallon. Au nord, deux belles aiguilles que je prends par erreur pour la Punta Brulle et la Punta Gourdon. En fait, ce ne sont que des éperons du Tuc de Saboredo. Nous allons droit vers leur base, puis nous traversons plein est vers une brèche très marquée. (Voyons quatre chevreaux d’isards). La brèche est dominée au nord par un grand cairn. Vue impressionnante sur la face nord des pics de Bassiéro. Pierre* et Henriette* s’arrêtent. Je pars encore seul pour le Pic d’Amitges. Début facile sur le flanc est de l’arête. Ça se redresse sérieusement. Petite escalade. J’essaie sur la droite, ça ne tient pas. Je redescends quelques mètres : sur la gauche c’est plus raide, mais c’est du beau rocher. Sur une plaque, je laisse mon piolet qui me gêne. Dix mètres d’escalade facile. Sommet superbe. Cairn sur la pointe qui domine le bassin du Gerber. Le refuge Mataro est bien visible. Je suis à 2805 mètres selon Alpina et 2840 selon Georges Véron*. (Mon altimètre donne 2850. Comparé au Bassiero, je ne suis pas 100 mètres en dessous).
Un cairn indique une descente plus à droite (ouest), plus facile, mais je dois remonter pour récupérer mon piolet. (Un moment, j’ai peur de l’avoir perdu...)
Retour à la brèche. Au pied du Bassiero, il y a deux grands névés avec une belle arête de neige : six isards les traversent. L’un d’eux joue en faisant des bonds sur place. Sur une aiguille de Bassiero, nous croyons voir un grimpeur debout. Il s’envole... C’était un grand vautour. Il y en a quatre ou cinq qui tournent, se posent et repartent. Nous aussi nous repartons. En descendant nous entendons des voix... Il y a une cordée en haut de la face sud-est de l’aiguille d’Amitges. Belle verticale. Arrêt au refuge. Plus bas, nous aurons le temps d’apprécier l’estany de la Cabana et l’estany de Ratera. Fin de descente toujours douloureuse.
Demain, nous repassons la Bonaigua, déjeunons à Vielha (fort bien, chez Chapeau) et rentrons à Pau.
Content, mais non sans regret de n’avoir pas été aux sommets avec Pierre*. Cela aurait été tellement mieux.

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Perte du beau Laguiole offert par Isabelle*.

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(Voir « La Montagne », n° 148, février 1987).

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[Près du Marcadau, chute de Monique* en allant à la Fache ; double fracture..!]

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431ème/. 27 juillet. Lac d’Arou (1786 mètres). Avec Jean* et Baptiste*, départ pour la cabane de Lourtiga. Orage. Trombe d’eau sur le Louron. Nous revenons à Arreau où l’orage est sec. Montée à la hourquette d’Ancizan pour les cabanes de Hosse. Découvrons la vieille cabane. Feu dehors, mais la pluie nous chasse. Rentrons : la cheminée tire bien. Bonne soirée, assez bonne nuit. 7 heures : nous sommes au-dessus d’une mer de nuages. Départ pour le lac d’Arou. Montée rapide. Le petit lac à la limite de la brume est magnifique. (Apercevons un petit quadrupède : blaireau ?) Jean* souffre du genou, nous n’irons pas plus loin. Retour à la voiture avant midi. L’appétit est bon.

432ème/. Dévoluy. 1er septembre. (Solo). En partant du centre équestre de Super-Dévoluy, le Bonnet rouge (1987 mètres). Pluie. Je remonte une longue échine orientée sud-ouest. Éclaircie au sommet. Je peux faire sécher mon poncho sur la croix de bois plantée sur le cairn. Les nuages voilent et dévoilent le pic de Bure. Les combes au pied des parois sont des cratères fumants. Mobilité admirable sur l’immobile.
Je descends à un petit col où aboutit un téléski, pour remonter le Pied gros de Saint-Étienne (2448 mètres). C’est beaucoup plus raide et l’orage commence à gronder, mais que c’est beau ! Et puis il y a un plaisir de l’imprudence dans l’extrême vigilance (il faut les deux). Ça tonne sec quand j’arrive au cairn du premier sommet. Je m’en contenterai. Descente plus facile que je ne craignais. Au col, je ne remonte pas au Bonnet rouge. Je descends nord-ouest en suivant les pistes sous les téléskis. Ça tourne bientôt nord-nord-est. Je marche vers un arc-en ciel aux couleurs très intenses, sublime à faire naître des légendes et des superstitions. Je rumine cette idée : il suffit d’aller dans la nature sauvage sous la tempête et l’orage pour comprendre comment les cœurs simples inventent les dieux. (Étrange comme la ferraille des téléskis n’enlève rien à la sauvagerie et à la solitude du désert, ici !)
Je pense aussi : celui qui n’aime pas le mauvais temps en montagne n’aime pas la montagne ; tout comme celui qui n’aime pas les colères et les injustices des femmes n’aime pas les femmes.
Retour à la voiture, toujours seule et unique, sur le grand parking. Trempé, je me change et en route pour Corps.

3 septembre. Montée avec Jacques* et Monette* (78 et 79 ans) au Valgaudemar. De l’hôtel du Gioberney, marchons sur le chemin du Vaccivier jusqu’à la cabane de Gioberney. Je continue seul pour mieux voir les Bans et le glacier de la Condamine. Le Sirac au soleil couchant.

433ème/. 6 septembre. Vers 14 heures, pour voir l’Obiou de plus près, je pars seul pour le col de la Samblue (1474 mètres). Monte au pic de Jénabran (1597 mètres). Un essaim d’hyménoptères bizarres (ce ne sont pas des abeilles, peut-être des frelons, mais le corps est très noir) occupe la table d’orientation et bourdonne tout autour. Je dois m’installer en contrebas. Un superbe planeur blanc vient me rendre visite. L’Obiou à demi voilé. Descente au col et remontée -forêt très belle- vers le col des Faines. Vue prodigieuse de la Tête de la garde (1769 mètres). B.A. : je répare la porte du petit refuge de l’Obiou et consolide une tôle. Bon retour en forêt à l’heure où les oiseaux commencent à chanter.

434ème/. 14 octobre. Avec Janus* et Didier* en Aspe. Trouvons la piste du pont Lamary complètement dévastée par les engins monstrueux de l’exploitation forestière. En coupant des lacets, ils font ébouler la terre grasse sur la piste. Herbes et taillis sont ravagés. On voit la brutalité cynique de « l’exploitation ».
Prenons la vallée de Lazerque. Didier* mène bon train. Plus nous montons, plus c’est beau et plus c’est sévère. Ici aussi c’est la brutalité, la cruauté des pierres. Toute la différence est que la brutalité du réel s’accompagne d’un sentiment de nécessité qui en fait la grandeur. C’est « noble » alors que la brutalité des engins à chenilles est mercantile, incurablement « vulgaire ». Le désert des sommets est à la taille de la mort, celui des chantiers à la dimension des profits.
Arrivons au col de Laraille vers midi. J’y arrive avec un bon quart d’heure de retard, mais trop mal en point. Grand vent. Allons manger à l’abri dans la belle cuvette de lapiaz sous la crête qui va à la pointe 2132. On franchit cette crête. Jolie brèche. Descente raide sur l’ibon de Acherito. Les « jeunes » disparaissent, mais j’aime le solo. Lac superbe. Photos. Au début de la remontée, crampes très douloureuses des « adducteurs ». Je tape très fort dessus, je masse et ça passe. Curieux sentiment de bien-être qui fait que je monte mieux après. Je retrouve Didier* sur la crête de la Chourique. Passons au cairn 2054 où j’étais avec Monique* et Jacques* le 17 janvier 1993. Arrêt-photo au lac d’Ansabère, cette fois-ci bien « visible ». Jean* ne s’est pas arrêté à la cabane (!) C’est qu’il souffre d’un genou qui a enflé et craint de ne pouvoir repartir s’il s’arrête. (Il est juste 16 heures. Seul, je serais bien resté une heure à la cabane). Soif. À Bedous nous nous arrêtons pour une bière et tombons sur Patrice Chevalier*. Retrouvailles bien cordiales.

[En descendant, réflexions sur la nécessaire « symétrie » entre mon amour des femmes, amour de la vie, et mon amour des montagnes, amour de la mort. Ils ne sont « justes » que l’un par l’autre. Mais s’interdire le romantisme qui les confondrait...]

435ème/. 30 octobre. Migouélou. Avec Louis* et Paul*. A-t-on jamais compté le nombre de lacets du chemin de Migouélou ? Louis me talonne et passe bientôt en tête. 6 ans, merveilleusement « garçon », une énergie et une résistance peu commune coexistant avec un enthousiasme juvénile. Il s’exclame à chaque découverte de neige qui borde le chemin. De 1400 à 2100 -9h30- ça monte régulier sur un magnifique éperon, puis on oblique à gauche sud-ouest pour remonter un vallon où il y a des laquets gelés. (Louis* y court...) On franchit un seuil où l’on voit le barrage (2278 mètres, 12h30). Le refuge est à gauche sur la rive droite. Y retrouvons deux ou trois équipes qui nous ont dépassés. On se restaure et l’on prend le chemin du col d’Artouste.
Neige plus abondante. Site admirable, lumière parfaite. Chemin en montagnes russes, style Cap de Long. Au pied des pentes (2350 mètres ?) qui montent au col, j’en ai assez. Envie de jouir inactif et seul dans ce paysage. Je les laisse aller dans la pente à l’ombre, en les suivant des yeux au soleil ! Sûrement ma cote va baisser dans l’esprit de Louis* ! Quand l’ombre me rejoint, je rentre tranquillement au refuge où je les attendrai. Ils arrivent vers 16 heures. On entame la descente à 16h30. Pénible comme toujours. Louis* se plaint d’une jambe mais tient toujours bon.
Retour à la Bouygue. Une belle flambée en buvant la bière. Je dîne avec eux... mais rentre à Pau pour le confort.

20 novembre. Avec Jean* et Baptiste*, promenade dominicale. Issor, Lourdios, col d’Ichère, Bedous, Osse-en-Aspe. Pique-nique au-dessus de Osse. Retour table d’orientation au-dessus de Bedous (rive droite). Temps superbe.

25 et 26 décembre. À Hèches, sous la neige, deux bonnes promenades en suivant des traces de chevreuils. Il ne sera pas dit que je n’ai rien fait en décembre.

1995

436ème/. 27 janvier. (Solo). Cabane de l’Artigue (quatrième fois). Une journée de beau temps. Départ Pau 9h30. Voiture au pont du Bitet 10h50. La neige, très gelée, commence dès la petite clairière montante, après la conduite forcée. Difficultés dans la partie raide où le chemin se perd tout à fait. Au-dessus, marche féerique vers l’Artigue de Sesques. Une énorme avalanche envahit la moitié de l’Artigue. Arrêtée à une cinquantaine de mètres de la cabane. Après des détours pour suivre des traces d’isards -sans jamais les voir !- suis à la cabane à 13h20. Mange au soleil sur le banc de pierre. Observe et contemple. Vers 15 heures, descente. Je mets les raquettes. Neige un peu dégelée. Quelques hésitations et mauvais pas.

437ème/. 20 février. Départ voiture. Barrière du Bitet 11h35. (Grand beau, décision impromptue). Seul vers l’arrec de Gazies. Montée rapide stoppée au moment de passer rive droite. Le torrent gonflé par la fonte des neiges est infranchissable. Je fais un essai, mais c’est trop dangereux. Je reste donc rive gauche. Montée très raide en pleine forêt. Je suis, autant que possible, un éperon qui longe un grand « vallon », plutôt « couloir ». Arbres magnifiques dressés sur des enchevêtrements d’arbres morts. La mousse verdit toute la lumière. Impression de gravir dans un aquarium. Oscille entre jubilation et peur dans une solitude si certaine. Qui viendrait me chercher ici ! Je suis revenu à l’arrec de Gazies dans l’espoir de revoir un ours (1er mai 1975). Le sac est lourd avec deux appareils photos (j’en ai un dans une banane sur le ventre), téléobjectif et jumelles. Pourtant, je ne sais trop si je souhaite encore la rencontre sur un tel terrain où il serait sûrement plus à l’aise que moi. Assez haut, je trouve un tronc mort mais debout, riche en trous de vers énormes ; il est tout lacéré de griffes et on y voit des traces de dents. Au sol, les débris de bois recrachés, mais dans le sol et l’humus, une seule trace de pied visible. Émotion. Après cela, je vais avoir quelques illusions de « préperceptions » assez amusantes. Un peu plus de neige. J’arrive au rocher. (Point coté 1860 sur la carte). J’appuie vers la gauche (sud) mais j’ai pris assez de risques comme ça. Pas question de traverser. La couche de neige n’est pas assez épaisse et ne tient pas sur les longues herbes couchées. Il est 15h20. J’ai du gravir 700 mètres depuis le torrent. Je me perche sur une branche pour pouvoir manger assis. J’accroche le sac tant la pente est raide. Le pic d’Er et le Cézy sont superbes, mais pas une bête ne m’honore de sa présence. Je commence la descente vers 16 heures. Ce sera plus facile que je ne craignais. (Deux chutes seulement ; piolet bien utile). Je prends tout mon temps. Revenu au chemin, je fais un grand arrêt à la source et m’offre le luxe de faire une petite digue pour détourner l’eau du chemin. Retour à la voiture (750 mètres) à 18h20. Content, mais peut-être un peu plus fatigué qu’il serait normal...

438ème/. 22 mars. Goust (835 mètres) vers 9 heures. Après la maison (921 mètres), chemin détestable d’abord ouvert au bulldozer, puis cessant brusquement pour une piste qui se perd sur des pentes assez dangereuses. Je ne reconnais pas la forêt superbe de 1988 (avec Isabelle* et Didier*) ; elle a été ravagée par des avalanches. On enjambe constamment du bois mort. La piste s’améliore en partant nord-est vers le relais de télé et le beau plateau de Lusque. Au nord, les falaises du pic de la Gentiane avec leurs trous à ours. Je me laisse tenter et continue vers le nord. La neige porte encore assez bien. Je prends vers l’ouest dans la forêt qui n’est pas trop dense. Traces qui évoquent des pattes de chat ? Puis traces d’isards, mais je ne les vois pas. La piste se redresse et me mène vers la pointe 1536. En suivant vers le sud la trace d’isards j’arrive à une épaule au pied d’un mur où s’ouvre une belle entrée de tanière. Traversée risquée pour l’atteindre, mais je n’ose pas y risquer le nez... des fois que le Seigneur Ours y serait ?! Sur la droite un couloir semble pouvoir mener au sommet. Je m’y risque. (Cela fait beaucoup de « risque » !) La pente est à 50 degrés mais le rocher affleure et donne quelques prises. La neige ne tient pas. À six ou sept mètres sous le bloc sommital que je vois bien, ça devient trop dangereux et je renonce. (L’altimètre donne 1520...) Le couloir fait dans les quarante mètres. (En montant je ne me suis pas rendu compte qu’il était si long.) Je suis encore dans le premier tiers de la descente quand je « pars » sur deux ou trois mètres, le temps de me retourner pour enfoncer la pique du piolet. Ma main gauche est un peu égratignée. Je pense « premier sang » comme dans un duel... Dieu sait pourtant que je n’ai aucune querelle d’honneur avec la montagne ! Pas la moindre peur. (Suis-je un animal froid ?) Suite sans histoire. Je remonte à la cabane de Lusque qui est ancienne et superbement située. J’y resterai trois heures. Je vais tirer des photos depuis la cote 1267.

439ème/. Pic de la Gentiane. 12 avril. (Solo). Retour à Goust (9h30). Trouve le bon chemin : il prend à droite quelques mètres après le grand virage en épingle du chemin bulldozer. Il est excellent grimpant sur des pentes si raides que la canaille touristique ne peut le détruire par des raccourcis. On débouche à l’est du piton 1240 (relais télé) que l’on contourne par le nord. Légère descente pour prendre le chemin du col de Lusque (ouest). La neige commence par plaques au col. Traversée vers l’ouest, légèrement descendante dans la forêt superbe. Il y a une trace humaine unique qui m’aide bien à ne pas perdre le chemin. (Pas question aujourd’hui de fantaisies hors sentier !) Pourtant les pistes s’embrouillent avant la cabane de Besse. Posée sur le versant sud, elle est déneigée. J’y arrive à midi 30. Horaire correct. Pas question d’aller vers le lac du Montagnon ; neige trop abondante et manifestement avalancheuse ; aspect sinistre. Je repars donc vers le pic de la Gentiane. Très beau sous-bois où je guette les bêtes. Hélas, pas la moindre trace. J’arrive à la crête à l’ouest du col. Je vais à la pointe 1717 -pic du Montagnon de Besse. Crête enneigée. Une belle trace de marmotte, mais pas une trace d’isard. Je domine les deux bassins de Lasnères et de Besse en prenant tout mon temps pour scruter à la jumelle : rien. Par contre les postes de chasse et les déchets de cartouches ne manquent pas. Bientôt, comme animaux sauvages à voir en Ossau, il n’y aura plus que les chasseurs !
Belle promenade de crête pour rejoindre le col et le sommet 1752. Retour à la cabane sans histoire. Ai retrouvé la trace du compagnon solitaire... mais il reste invisible. La trace est pourtant fraîche. Suis un peu déçu de ne pas le trouver à la cabane. On a beau aimer le solo, on reste sociable !
Il est presque 17 heures et j’ai mangé de bon appétit, mais le dos est douloureux et j’arrive vers 19 heures à la voiture, plus fatigué que de raison.

440ème/. 18 juin. Rendez-vous manqué avec Bernard* aux granges de Lurgues. Sa voiture est là, mais il est déjà parti. Je démarre seul à 9h15. Cabane d’Auloueilh (1853 mètres) en une heure. Ça ne va pas si mal... Je passe rive droite. Erreur... Laisse à gauche le chemin du col de Bastan et monte au Cularas. Toute la vallée est une belle succession de cuvettes pastorales étagées. Je continue nord-ouest dans le vallon qui va vers le Pic Prada entre Portarras et Cettiou. Bonne neige. Une superbe marmotte traverse le névé au-dessus de moi.
Le Cettiou, c’était en 1936... Et l’Arbizon en 1935... Soixante ans exactement. Souvenirs à foison.
Sous le Prada j’arrive à un grand bassin de neige et pierraille. Je m’arrête sous la crête à 2500 à l’altimètre. Aucune envie d’aller plus loin. (Baisse du désir ? Ce serait plus grave que la fatigue !..)
Au retour -à la descente, une vipère- je retrouve à Hèches Bernard* (il a fait l’Arbizon), Nicole*, Louise* et ses amies. Délicieux dîner d’été dehors sous le sapin et près des roses. (Et en plus c’est la fête des pères...)

4 juillet. Pierre* et Henriette* arrivent pour le déjeuner. Route sous la pluie jusqu’au parador de Vielha. Il y a de la neige fraîche sur les crêtes. Plaisir des retrouvailles !

441ème/. 5 juillet. Temps très couvert. On part tout de même vers 9h30. Objectif, le modeste Montcorbison (2167 mètres). Voiture jusqu’au refuge et au petit lac artificiel de la Bassa d’Ules. À travers une forêt superbe. Pins séculaires, flore exubérante. La cabane à l’abreuvoir signalée par Audoubert* est doublée d’une cabane moderne. Montée sud-sud-est sans histoire mais non sans émotions : un premier isard part en dessous de moi traversant à une vingtaine de mètres. Peu après, un deuxième isard bondit à trois ou quatre mètres au-dessus de moi. (En descendant du Turon du Néouvielle, en 1937, au retour de « notre arête » est des « Trois conseillers », nous en avions surpris deux d’aussi près, mais jamais plus depuis...)
Sommet 13 heures. Froid. Le relais de télévision n’est pas trop abominable. Dans un coin de rocher on découvre une « crèche » : personnages en métal noir filiformes, ça vaut bien du Giacometti... (Qui n’est pas « génial » aujourd’hui ?) Bel exemple d’art gratuit !
Bien couverts, on attend dans le froid que l’Aneto se découvre. On reconnaît l’Entecada, un moment le pic d’Albe, puis le Malibierne ; entre les deux la base des glaciers, mais les crêtes restent couvertes. Restons une heure et demie à scruter un paysage mobile. On voit le parador comme d’avion. Descente vers les deux cabanes pour boire. Je fais un détour par le petit lac « naturel ». (La carte est tout à fait fausse).
Au retour, l’église de Gausac vaut une visite. Bain chaud. Apéritif au bord de la piscine. Jadis nous n’aurions eu que mépris pour ce confort « bourgeois »...

442ème/. 6 juillet. Du village de Bagergue, après quelques hésitations malgré un superbe panneau « Estany de Liat » qui est sans suite aucune, nous trouvons la piste de l’immense vallée du Riu Unyola. Après le pont qui fait traverser rive droite, la Xantia doit jouer les 4X4 dans des lacets très mauvais. Enfin la Collada de Varrados (2040 mètres). Chemin facile jusqu’à la cascade d’Eth Tur. Il fait très beau, la flore est superbe, le jaune des ajoncs domine autant que la cime du Maubermé. Superbe ! Après la cascade, prenons trop tôt à gauche après la traversée d’un petit torrent (schiste et boue) quand le chemin continue en virant à droite. Le terrain semble bien correspondre à la description d’Audoubert* : « goulet », « petite gorge ». Cela nous mènera à l’Ansa dera Caudera, belle oulette vers 2300 mètres, mais fort loin de l’estany de Liat. Pendant que Pierre* et Henriette* se reposent, je monte raide à la crête du Coma d’Arros (2400 mètres). Pas d’estany de Liat en vue... Descente plaisante en appuyant à droite vers un petit estany. Journée magnifique. Église de Bagergue.

7 juillet. Repos. « De la liberté », de Stuart Mill.

443ème/. 8 juillet. Tunnel de Vielha. Hospice, comme toujours fermé. Trouvons facilement le GR11. « Escaleta » assez rude. Pas de problème jusqu’au col de Rius (2315 mètres), mais le lac est tellement vidé qu’il est coupé en deux... et je prends bêtement le second morceau du défunt lac de Rius pour l’estany Tort de Rius. Discussion : rien ne colle, ni avec la carte, ni avec Audoubert*. Nous mangeons sur un beau promontoire (d’où la grande brèche visible depuis le parador est bien reconnaissable) et je repars seul vers une croupe (non signalée sur l’Alpina) qui me mène de faux sommet en faux sommet jusqu’au Tuca de l’estany Redo, vers 2500 mètres. Je vois de là le vrai estany Tort de Rius que dominent le Besiberri nord et sa brèche. (Rien à voir avec le dessin d’Audoubert*). Les amis retrouvés, contournons le deuxième lac mythique et trouvons le grand cairn qui marque le départ de la piste vers le Tort (qui se sépare et laisse à gauche le chemin de la Restanca). Mais il est trop tard et la fatigue est là.

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Course 443. 8 juillet 1995. Henri Ferbos à la recherche de l’estany Tort de Rius, de faux sommet en faux sommet.
(Photo Pierre Fougère).

9 juillet. Repos... gastronomique : « Magret à la langoustine »...

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Course 444. 10 juillet 1995. Séance de toponymie pour Henriette Fougère et Henri Ferbos au sommet de l’Escornocabres.
(Photo Pierre Fougère).

444ème/. 10 juillet. Partons pour Espot. Au col de la Bonaigua (2072 mètres) on se laisse tenter par un télésiège tout neuf. Il tourne à vide. Y monter seuls fait un peu honte. Il nous porte nord-nord-est vers 2360 mètres. De là, bonne petite promenade pour gravir l’Escornocabres, 2600 mètres, (appelé Tuc dels Erculls sur la carte Couserans, Randonnées, n°6), séparé du Tuc de la Llança (2656 mètres) par une brèche où nous passons au retour.
Ce modeste sommet est honoré de la présence de plusieurs vautours. Ils devaient y séjourner depuis assez longtemps puisque le rocher est couvert de duvets, de fientes et de plumes. Nous découvrons l’immense bassin désertique de Bassiver et les estanys de Rosari.
À Espot retrouvons l’hôtel Saurat et les Carteaud*. Soirée bavarde et gaie.

445ème/. 11 juillet. Rare recul du « tout auto » : le parking de San Maurici ramené de quatre kilomètres en aval. Nous y gagnons quatre kilomètres de montée tranquille et agréable pour aller au lac de Monestero. Passons au refuge Mallafré sans nous y arrêter. Montagne en pleine floraison. Les Carteaud*, fort savants en botanique, donnent des noms. (Nommer augmente la possession et le plaisir). Au lac... La Fontaine me dit : « C’est assez, jouissons »...
Aucune envie d’aller au deuxième lac. Je monte un peu pour bien voir le premier. (« Voir », j’y mets autant d’appétit qu’à la nourriture...) Je trouve un magnifique abri sous roche (à droite en amont du lac).
Retour à Mallafré. Petit festin bien arrosé. L’hôtesse est belle et bonne hôtesse. Pierre* et Henriette* descendent tout de suite. J’accompagne Michel* et Michèle* pour le tour du lac San Maurici. Le prenons dans le sens inverse de l’an passé. C’est évidemment bien plus beau que le souvenir que j’en avais.

446ème/. 12 juillet. Réveil 6h30. C’est le grand jour du Peguera (2982 mètres). Un 4X4 nous attend pour nous monter au refuge Joseph-Maria Blanc, 2320 mètres. (Nos 75 ans sont une excuse suffisante). Piste impressionnante. Chauffeur aussi virtuose que sympathique. Le 4X4 est un sport en soi.
L’estany Tort de Peguera est au quart vide. Déception. (On ne devrait voir que les lacs non captés...) Prenons au bout du barrage une sente bien cairnée vers le nord-ouest. Elle nous mène à l’estany de la Cabana. Merveilleux. Nous le contournons par la rive droite. Au-dessus, quelques hésitations... Mais on s’y retrouve. Passons à l’estany 2500 (sans nom sur la carte).

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Course 446. 12 juillet 1995. Michelle Carteaud à gauche, Henri Ferbos et Henriette Fougère font une pause dans l’ascension du Peguera.
(Photo Pierre Fougère).

Prenons trop bas et nous trouvons piégés par un chaos de gros blocs. Un peu de gymnastique pour en sortir par le haut et retrouver le sentier qui va jusqu’au col de Monestero (2700 mètres ?) Henriette* reste au col. Partons tout de suite vers le Peguera. (Michel* nous quitte et redescend au col ; ce n’est pas fatigue mais impatience). Bonne sente sud-sud-ouest. Un couple qui descend manifeste la voie : le couloir large qui part de droite à gauche du névé principal. Une traversée horizontale cairnée mène au pied de la fissure au bloc coincé.

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Course 446. 12 juillet 1995. Henriette Fougère et Henri Ferbos à l’assaut du Peguera.
(Photo Pierre Fougère).

Il y a deux blocs coincés et non un. La fissure est large mais déversée vers la gauche, ce qui ne facilite pas l’opposition. Ce n’est pas difficile mais c’est « délicat » (au sens où l’entendait le vieux Ledormeur*). Sommes un peu inquiets : pour la descente, la corde serait utile... Nous ne l’avons pas. Sommet fait de gros blocs aériens (genre Quaïrat ou Pic du Portillon).
Ironie : mon altimètre indique 3000 ! La vue est immense mais nuageuse et nous sommes impatients de la descente. J’ai une sangle et un mousqueton qui aident Pierre* qui descend en premier. Michèle* se débrouille avec élégance et bonne humeur. Je descends, comme toujours, en dernier. C’est plus facile que je ne craignais.
Revenons à la sente. Croisons une jeune fille style Destivelle* qui monte seule. Jambes de nymphe et légèreté d’oiseau... On n’est pas jaloux, mais...
Au col, retrouvons Henriette* : Michel*, décidément impatient, a commencé la descente seul. Prolongeons tout de même le plaisir. Autour de nous, des jeunes Français beaux et belles. Ça aussi il faut savoir le voir.
À la fin de la descente vers l’estany de la Coveta, nous suivons des cairns qui descendent droit sur l’estany Tort. Erreur. Il faudra contourner le lac par le nord dans du très mauvais terrain -montées et descentes- mais on découvrira un petit champ de lis blancs et un lis Martagon.
Le 4X4 nous attend aux lacs de Trescuro (2050 mètres) depuis 17 heures. Nous y sommes à 18h30.

13 juillet. Repos final. Lecture au fumoir. La porte des cuisines est restée ouverte et l’on entend rires et chansons catalanes des jeunes filles de service, sur fond de bruits de vaisselle. Timbres chauds parfois durs, accents moqueurs. Pas besoin de connaître la langue pour comprendre que la jeunesse ne se dit qu’elle-même en disant l’amour. Cela va assez bien avec les idées de Stuart Mill, mais trouble assez l’attention du lecteur.
Allons revoir l’église de Son del Pi. Déjeunons à la Casa Masover. Gaité du moscatel et du repos partagé. Finissons avec du sport nautique sur le lac de la Torrassa. Nous ramons (mal) sous une grosse pluie d’orage.
Ce soir champagne (« cava ») pour l’adieu à Espot.

447ème/. 28 juillet. Aguillous (2976 mètres). Quatrième fois (1934, 1949, 1978) avec la quatrième génération : Baptiste* et Louise*. Soixante et un ans après. C’est autre chose ! (Ces jambes à l’état neuf sont pour un quart de mes chromosomes. Vérité bête mais bien forte !) Il y a aussi Jean* et Pierre*, la sœur de Fanfan* et ses deux enfants. Baptiste*, après un petit moment de doute, prend sur lui et finit la montée comme un chef. Louise* parfaite. Sommes au sommet avec deux autres groupes, pas plus encombrants que nous-mêmes. Deux vautours fauves planent assez près. (Au début de la montée, avions vu deux isards et une belle marmotte). Il fait très chaud, on a très soif. Arrêt à Fabian. (La sacoche oubliée !!!) Avec Jean*, ramenons Baptiste* à Orthez où nous dînons au frais.

448ème/. 5 août. Peña de Las Arrolletas ou Vertice de Anayet. (2551 mètres). Samedi, Louis* et Paul* sont là. Hésitations sur le but. Nous décidons pour le plus proche. Partons avec Jean*, lourdement chargés, pour planter les tentes aux Ibones d’Anayet. Le ciel est « variable ». La piste est interdite aux voitures au Corral de las Mulas (1600 mètres). Cela fera une heure de plus avec arrêt casse-croûte. Le sentier est bon, la vallée de Culivillas très belle. Les touristes pressés y prospèrent plus que les isards. Faut s’y faire ! C’est toujours de la faune.
L’arrivée au lac : on culmine dans la beauté. Ça n’est pas, c’est un moment. Ossau grandiose. Nous trouvons le bon endroit un peu au-dessus du lac, au nord-est, d’où nous voyons le second ibon, plus bas, dans une cuvette rocheuse sauvage qui contraste avec le caractère pastoral et herbu du grand lac. (Comment Audoubert* dit-il qu’il ne reste qu’un seul lac ? N’aurait-il pas vu celui-ci qui domine el Salto del Agua ?) Vers 17 heures, les tentes sont plantées. (Déconvenue : Jean* n’aura qu’un double toit...)
Paul* et Louis* repartent gravir la pointe 2397. Fatigue ou paresse, nous préférons les suivre des yeux. Sur la crête, ils rencontreront deux isards et les vautours tournent au-dessus d’eux. (Autour du lac, il n’y a que sept tentes...) Nuit bonne. Quelques gouttes de pluie. (Je me souviens de la nuit à Gregona et de la tempête au pleta del riu Malo).

6 août. Réveil sous un ciel couvert. Lumière grise. Jean* ne va pas bien, il est fiévreux. Nous partirons à trois. La montée vers le col de l’Anayet est facile. Excellent sentier. On marche sur un sable rose, on passe entre des blocs de conglomérats multicolores, vert du cuivre, rouge de la latérite, noir et filons cristallins blancs. Une prodigieuse diversité. Passant au pied de la paroi sud-est de l’Anayet, une chute de pierre éveille notre attention : trois isards sont sur une corniche d’herbe suspendue. Plus haut, il y en a cinq autres au pied de la base surplombante d’une grande fissure. Ils sont manifestement en difficulté. Ils descendent peu et se lancent dans une cheminée qui nous paraît verticale. On verra le « leader » se détacher sur le ciel au-dessus d’une brèche. (Émotion : ces muscles, ces sens si semblables aux nôtres et capables de tels risques, de tant d’habileté dans le courage, tout cela dans la beauté. Mais d’où vient une si puissante anthropophobie qui les pousse à fuir jusqu’aux limites du possible ?)

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Course 448. 6 août 1995. Chèvre et son chevreau contemplant le panorama depuis le Vertice d’Anayet.
(Photo Paul Ferbos).

La flore aussi est de plus en plus riche. Dans la partie raide, sous le col d’Anayet, un petit carré d’iris doubles + un papillon superbe. Le Pico est bien rébarbatif sous ce ciel noir et mobile. Le Vertice est manifestement plus débonnaire. Nous y allons. Bon sentier toujours dans le rouge et le vert. (Un vert émeraude dont même les androsaces se colorent). 2559 mètres (2551 d’après Ollivier* qui le nomme Peña de las Arrollatas). Il est 11 heures. Louis*, 7 ans et demi, est passé en tête à la fin. Il ne sent pas sa fatigue et rayonne, fragile et vigoureux, heureux. Le vent froid joue avec le soleil intermittent sur la peau. Le paysage aux grands plis colorés montre des bouleversements par millions d’années accordés à nos sensations qui changent à la seconde. Il est facile de penser ici que tout est devenir et que rien n’est Être. Nous sommes trois petites étincelles sensibles, bientôt éteintes, face à la grosse étincelle solaire qui s’éteindra aussi. Toutes ces roches convulsées parlent des catastrophes qui les firent et de la destruction qui les transforme. La beauté d’une joubarbe, vivante calme, répond de la fécondité de ce devenir de mort. Le devenir n’est vrai que par son étrange aptitude à faire, pour notre désir et pour nos sens, de la beauté. C’est parce qu’il y a avec nous, pour nous, de la beauté, qu’il y a quelque « vérité » du chaos et de l’absurde. Vérité tout à fait indéterminable qui n’est pas celle des sciences, qui n’est pas celle des religions, qui est seulement celle de la sensibilité humaine. C’est la plus fragile et la plus brève étincelle qui « suivit » le feu sidéral et le travail tellurique, dont le paysage, animé de nuages, naît et meurt. Ainsi, s’il faut à tout prix parler de « croyance », je dirai que je ne peux croire qu’à la beauté. (Méditation remâchée en mâchant mon saucisson...)

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Course 448. 6 août 1995. Henri Ferbos et son petit-fils, Louis, 7 ans et demi, au sommet du Vertice d’Anayet.
(Photo Paul Ferbos).
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Course 448. 6 août 1995. Paul Ferbos et son fils Louis au Vertice d’Anayet.
(Photo Henri Ferbos).

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Un groupe espagnol rejoint le sommet. Il y a un homme âgé, mais je reste le doyen. Descente sans histoire. Retrouvons les fleurs, mais pas les isards. Vus quelques « géraniums cendrés », beaucoup d’arnicas et de campanules.
Arrêt à la foire du Pourtalet.

449ème/. 23 août. Avec Jean* et Baptiste*, malgré le temps incertain, partons pour le lac d’Ourdisseto. Passons le tunnel. Il fait beau. Avant Parzan et après une petite centrale d’électricité, prenons la piste qui remonte à l’est. C’est assez rude, mais la vielle R9 est vaillante (malgré ses deux cent mille kilomètres). On la laissera à 1900 mètres sous la centrale supérieure. Très belle vallée et bon sentier pour le Paso de los Caballos. Le grand lac est un peu trop vide. Trouvons le bon endroit, entre des roches rouges, au nord-ouest du lac (à 2400 mètres). Plantons vite les deux tentes, le ciel est menaçant. On fait un bon feu. La cuisine du dîner est perturbée par une brusque averse. Bon repas tout de même. La nuit sera froide. La pluie crépite sur la toile de mon petit bivouac et la condensation est telle que, quand le vent secoue la toile, je reçois des paquets d’eau...

24 août. À l’aube, le brouillard qui vient du nord-ouest se déchire au-dessus du lac et laisse voir Posets et Eristé. Très beau. Les nuages sont très mobiles. Un peu de soleil pour plier le camp. Nous pourrions peut-être tenter la Punta Fulsa, mais le cœur n’y est pas et on risque encore la douche. Descente plaisante. Le temps va au contraire s’améliorer. Allons déjeuner à Bielsa sur la Plaza Major au « Pineta ». Fort bon avec un Vinas del Vero estimable. Allons en « touristes » jusqu’à la capella de Pineta.

450ème/. Le Canigou (2784 mètres). De Thuir, remonté à Vernet-les-Bains le 2 septembre au soir. (Content de vingt-quatre heures passées près d’Arlette*). Un peu de luxe à l’Hôtel du Comte Guifred (ma chambre s’appelait « Resplandine »). Dîner délicieux, bien « servi ». J’ai le sentiment que cela m’est dû, j’y suis à l’aise... Est-ce horrible fatuité ? Peut-être, mais je la crois pardonnable, essentielle à un monde où un art de vivre soit possible, où l’on puisse rompre avec la monotonie, la laideur, la tristesse du monde besogneux. Demain, ce sera une autre façon de rompre avec ce monde morne, par la beauté rude de la forêt et des crêtes.

3 septembre. Je laisse ma voiture dans le village de Fillols sur un parking où sont déjà trois autres voitures. Un bon chemin monte le long du torrent. Il cessera bientôt pour devenir sentier douteux. Il finit dans une sorte de vieux chantier forestier où les débris de bois sont envahis de ronces. C’est une cuvette après un goulet de hautes parois. Je progresse péniblement montant rive gauche. Je suis des sentes de chevreuils, très bien marquées au sol mais couvertes par les branches basses. Que ne suis-je quadrupède !! J’entends le bruit sourd des sabots d’un gros animal qui fuit : chevreuil ou sanglier ? Je ne réussis pas à le voir. Les traces montent plein sud dans le sous-bois très raide. Je coupe enfin un superbe sentier qui traverse presque horizontal vers l’est. Bientôt il descend dans une petite gorge fort belle et traverse rive droite près d’une aimable cascade qui invite à l’arrêt. Je me félicite de ma ténacité ou de mon entêtement. (Que les qualités sont proches des défauts !)
Je couperai bientôt la « route » des Cortalets mais n’y ferai que quelques mètres pour reprendre à droite un chemin plus montagnard (près d’un affreux cube de béton). Cela me mènera, à travers une végétation luxuriante, jusqu’à une montée en forêt de toute beauté. J’aboutis au col des Voltes (1838 mètres) où je retrouve la route. J’ai gravi déjà 1000 mètres. Il faut maintenant la suivre jusqu’au Ras des Cortalets en croisant les voitures et les 4X4 qui descendent. De là, un sentier plus direct mène au chalet. En sirotant un anis bien mérité, je remarque un couple sympathique très jeune et donnant l’évidence de l’état amoureux. Que c’est chose bonne à voir ! Le soir, je les retrouve près du feu devant la grande cheminée. Ils sont trois avec le frère de la jeune fille. Au moment de passer à table, mon assiette solitaire fait triste. La jeune fille vient vers moi et m’invite à leur table. J’accepte d’enthousiasme. C’est une sorte de miracle : des jeunes qui n’ont pas peur d’un vieux et un vieux qui n’a pas peur des jeunes. Un dîner gai paraît toujours excellent. Olivia est étudiante en droit, Christophe en médecine et Frédéric en chirurgie dentaire. On parle de tout et de rien, de la montagne et des montagnards, bien sûr, mais aussi des professions qu’ils ont choisies. Sûr : des moments d’amitié avec des inconnus peuvent avoir une fraîcheur, une gratuité, une légèreté que n’ont pas les grandes vraies amitiés.

4 septembre. Réveil, c’est le brouillard. Je pars avant eux vers 8h30. Chemin évident et facile. Après la fontaine de la Perdrix, en arrivant au petit col sous le pic Joffre, le brouillard se déchire et le Canigou paraît royal, le flanc est de la crête contenant la brume à ras. Le vent souffle d’ouest-nord-ouest, très froid. Je regrette de n’avoir pas de gants.
Vu deux isards.
Bientôt, dans la grande traversée sous la crête, mes jeunes amis me rattrapent. Je préfère qu’ils me dépassent. Je les retrouve au soleil à la dernière brèche. On est au sommet vers 11 heures. Crêtes et nuées en mouvement. Sommes vivants sur un astre incertain.
Échangeons nos cartes de visite pour échanger les photos. Christophe habite rue docteur J. Arlaud*, à Toulouse, et ils ne savaient pas qui était J.A.!!! Je le leur raconte un peu.
Le froid nous chasse. Je les laisse filer devant. J’ai 2000 mètres à descendre, ce sera sans histoire. Je prends une soupe chaude au chalet. Au col des Voltes, je fuis les 4X4 dans la forêt où la solitude est parfaite. Ce sommet unique est porté par des vallées immenses. Voiture vers 17 heures. Je trouve à Vernet un hôtel plus modeste. (Hôtel Les deux lions).

Le 5, de Vernet-les-Bains à « la Halte des deux vallées », au Pont de Curnier.

Le 6, Corps par le col du Festre. Le Dévoluy tout autre.

451ème/. Le 10 septembre. Le « Bénitier » de l’Obiou (2036 mètres). Départ de Corps, 14 heures passées. La voiture me monte jusqu’au col des Faïsses (1699 mètres). Beau sentier du Pas du Vallon. Il a neigé sur les grands sommets de l’Oisans qui restent accrochés de nuages. L’Obiou est dégagé. Mon petit sommet offre une vue superbe. Je vais au sommet ouest. Les parois de l’Obiou éclairées par le soleil bas du soir. Je me résigne à descendre quand l’ombre couvre tout le vallon et le col des Faïsses.
Je n’ai gravi que 400 mètres, mais cela vaut une grande course.
L’an prochain, l’Obiou ???

452ème/. 6 octobre. Beau temps. Départ impulsif vite décidé. Attiré encore par le Sesques, je vais au lac d’Isabe comme on tourne autour d’une tentation.
Laisse la voiture au pont (10h45) et prends la route à pied pour un plus long prélude. Solitude parfaite. Sentier toujours raide mais si beau dans son tracé qu’il donne des jambes. Ai dans la tête des idées sur l’athéisme. (Hier, une étrange lettre de Voltaire du « 26 auguste 1768 » m’a fait forte impression. Merveille de l’écrit que je peux « recevoir » après plus de deux siècles !) Idées à faire peur... Ai-je peur ? Juste assez pour être en éveil, mais point du tout pour en être gêné.
Le « désert » rend la mort familière. La forêt vit et meurt sur le monde mort. J’y enfonce comme dans une sorte de ventre vert et roux, chaud aux bêtes tremblantes. Mourir seul ici n’aurait rien de terrible. Être ce moment actif du corps qui cueille et brosse tant de sensations, cela suffit.
Les parois du bien nommé Pic de la Ténèbre sont nobles et sévères à souhait, avec des cascades sans rien d’idyllique. Ici, la beauté est une force froide... Des entrées de grottes font penser tanières et ours. Est-ce que les ours percevaient la beauté ?
13h45. Le lac tient ses promesses. Une justesse plane de géomètre qui frémit dans le désordre du chaos sous le ciel ennuagé. Pour mieux le voir, je monte au-dessus vers un beau mamelon qui me sera comme un petit sommet. À 16 heures, j’entame la descente. À la sortie de la forêt, avant la route, un écureuil passera... comme pour me saluer !
PS. Toute la beauté est dans le jeu des contraires. Ici, cela se voit et se touche : souplesse végétale et dureté des pierres, lumière et ombre, verticale des parois et des chutes sur l’horizontale des lacs. L’absurde du chaos encore là comme dominé par la logique du paysage. Je ne saurais rien voir si je ne savais voir tous ces contraires ensemble. Sottise des optimismes, sottise pire des pessimismes, les uns et les autres incapables d’embrasser les contraires et d’y consentir.

453ème/. L’Escarpu (2606 mètres). 12 octobre. Avec Jean*, coucher à la cabane de l’Artigue de Sesques. Bon feu, coucher confortable. On retrouve avec joie un chemin et des lieux familiers.

13 octobre. Lever 7 heures. Au fond de l’arrec de Sesques, nous laissons conduire par une bonne sente qui monte trop tôt vers l’ouest en restant rive gauche. Cela va nous mener à des pentes très raides, mélange d’herbe et de gravillon fort dangereux, jusqu’à un couloir pour le moins « délicat » qui nous fait regretter de n’avoir pas porté la corde. Pas question de redescendre par là. Enfin, en appuyant sur la gauche, trouvons un bassin plus facile qui nous mène au col (2396 mètres). On voit le sommet signalé par un relais de télé... qui nous poursuit jusqu’ici ! Arrivons au sommet à midi 30. J’ai beaucoup peiné, mais le lac d’Isabe vu d’ici fait oublier la fatigue. Le ciel est couvert et donne une belle gravité à tout ce qu’on voit. (Il y a quatre jeunes Espagnols robustes, mais si discrets qu’on les oublie). L’inquiétude du chemin de descente gâche un peu le plaisir de Jean*. Repérons à la jumelle le passage probable, contournant tout à fait les ressauts par le sud, jusqu’à la rive droite sous le Capéran. Mais tout cela reste d’une raideur impressionnante. Le vrai nom du pic de Sesques est évidemment « Escarpu ».
Au bout de vingt minutes, l’impatience nous arrache du sommet. Nous entamons une descente de 1700 mètres. Je traîne un peu, mais Jean* n’aime pas les arrêts. Quelques cairns aidant, trouvons facilement le sentier... Car il y a un sentier, d’abord intermittent et peu marqué, orienté sud-est, puis tout à fait confortable au-dessus des ressauts, jusqu’à l’aplomb du Capéran. Suit une assez horrible caillasse orientée nord. Arrêt forcé à la cabane de l’Artigue pour reprendre le matériel.
Sommes à la voiture à 17 heures.
Je ramène dans ma poche un petit cristal de roche assez beau.

1996

454ème/. 13 janvier. Un peu de soleil ce matin. Toutes lectures et écritures cessantes, je pars - décision tardive- à midi 30. 13h30, pont du Bitet. 15 heures, cabane de l’Artigue de Sesques. La neige ne commence vraiment qu’au premier replat après le grand mélèze (marqué 20 en rouge). Neige très gelée qui tient bien. Pas une trace de bêtes, même pas un oiseau. Paysage mort. Dans la cabane, retrouve un gilet oublié il y a juste trois mois. Je fais du feu. Au retour, je monte sur le petit piton belvédère. Dans la partie raide au chemin taillé, fais une chute dont mon poignet gauche se souviendra...

455ème/. 17 mars. Laruns, à midi 20. Je laisse la voiture au pont d’Arrioutort (542 mètres). C’est bien bas, mais la neige commence vers 700 mètres et je dois bientôt mettre les raquettes. Il fait froid. Suis sans gants. Poudreuse profonde dans le sous-bois exposé au nord. La forêt s’anime des paquets de neige qui tombent et du balancement de la branche qui se redresse. Cela fait imaginer des présences animales. Pas la moindre trace humaine, mais j’arrive à ne pas trop perdre du sentier invisible. Sous deux grands arbres déracinés, une congère où j’enfonce à mi-cuisse me donne quelque mal. Au-dessus, parties moins raides et belles clairières. Je retrouve un peu de soleil sous le pic de la Gentiane : suis-je trop au sud ? Non, le cheminement repart vers l’ouest, mais, pénible surprise, je parviens à une large route ! Je suis entre 1300 et 1400 mètres ; la cabane ne doit pas être loin mais il est 17 heures et je sens la fatigue. Ma jambe droite me donne quelques avertissements. Je décide d’arrêter là ma « robinsonade ». Neige et forêt donnent une intensité sévère à la solitude. La certitude qu’une défaillance physique serait sans recours nourrit la volonté. Il y a de la sauvagerie dans la vigilance et l’effort nécessaires. J’aime ici mon existence simplifiée à l’extrême, mais l’envie que j’ai d’apercevoir la moindre bête doit cacher le besoin du moindre regard comme illusion d’un recours.
Je descends lentement, mains dans les poches et piolet sous le bras -il est absolument inutile dans une neige si profonde et il fait toujours froid- suivant mes traces de montée qui me paraissent plus raides et très belles. Le coucher du soleil sur la crête et la face sud du Cinq-Monts est féérique. J’arrive à la voiture avec la nuit. À la fin, les lumières de Laruns étaient de bel effet.

456ème/. 24 mars. Soum de Granquet (1881 mètres). Avec Baptiste*, Jean* et Véronique*. Voiture arrêtée à 1100 mètres. Casse-croûte au col d’Ansan. Le temps se couvre. Je peine. Quelques grosses gouttes de pluie nous arrêtent à la crête d’Arouy. Pause à la source du Clot det Gahus.

457ème/. 16 mai. Pène Hourque (1793 mètres).

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Course 457. 16 mai 1996.
Didier Léveillé sur le Fond de Besse.
(Photo Henri Ferbos).
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Course 457. 16 mai 1996.
Henri Ferbos sur le plateau de Lusque.
(Photo Didier Léveillé).

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Course 457. 16 mai 1996.
La cabane de Besse.
(Photo Henri Ferbos).

Avec Didier*. Le grand beau temps d’hier ne tient pas sa promesse. Ciel couvert. On part tout de même. On se contentera de Besse. Goust (835 mètres) à 10 heures. Une tornade a encore fait des ravages dans la forêt du col de Lusque. Le beau chemin après le col est barré par des troncs couchés énormes. Arrêt à midi aux lacs du Fond de Besse. Nous renonçons aux lacs d’Iseye. Montons sud-sud-ouest vers Pène Hourque. La neige s’impose vers 1600 mètres. Terminons par une belle trace en traversée qui nous mène à la crête au col que dominent les premiers rochers du Montaut. Sommes vite au sommet : 1793 mètres. Il est juste 14 heures. Sous les nuages sombres, vue « sublime ». Une planète effrayante où le vautour qui passe au-dessus de nous est bien mieux adapté que nous. Vent fort et froid. (Didier* est jambes nues). Les premières gouttes de pluie nous chassent. Descendons direct en mauvaise ramasse, puis vers l’ouest pour suivre le vallon qui longe les parois du Montaut. (Trace d’un isard, sûrement vieux solitaire...) Passons sous la grande entrée de grotte. (Correspond-elle à celle qui est visible du côté Bitet ?) La pluie redouble. Décidons de fuir en vitesse, mais une marmotte nous appelle... Elle est dressée et ne fuit pas. Je l’observe à la jumelle. Elle est magnifique et donne vie à ce désert. Plus bas, la pluie cesse. Même un peu de bon soleil. Dans la forêt, nous verrons un superbe renard.
Aux Eaux-Chaudes, arrêt Pelforth. Conversation avec le patron et un client : champignons, isards, renards et ours. Le patron dit : « Ici, ils sont tous fous, ils tueront autant d’ours qu’on en mettra... » Au moment de repartir : « Vous êtes pas philosophe ? » Il m’a connu prof en 1968 ! (Sûrement, j’éprouve trop de plaisir à être ainsi « reconnu » : mélange suspect du besoin d’amitié et de la fatuité. Mais que c’est bon ! Sorte de bandaison de la conscience de soi. Pourquoi en avoir honte ?)

4 juillet. Pierre* et Henriette*. Ces deux-là sont d’amitié exemplaire. On se « reçoit » bien, pas seulement pour la table que je leur fis assez bonne. La Xantia nous monte au Pourtalet. Arrêt bière en face de l’Ossau où la lumière bouge soulignant tel ou tel relief. On y accroche des souvenirs.
Huesca. Souvenir encore (de 1971) en retrouvant l’Hôtel Monte Aragon. L’hôtel est assez laid, mais la piscine est toujours là et l’eau porte la vivante image...

458ème/. 5 juillet. Val de Onsera. Par Barluenga et San Julian de Banzo. Après une marche sur le plateau à travers champs, descendons vers le canyon. On le remonte facilement. Par endroits, il y a des accumulations de grêlons dus à un précédent orage. Bientôt nous aurons droit à une rude averse, dans la montée vers l’Ermita de San Martin. L’eau monte vite. Éclaircie sous l’Ermita, à l’endroit où il y a un garde-fou scellé dans le rocher. Arrêt pour un casse-croûte au nid d’aigle. Nous décidons de redescendre. Renoncement assez honteux si près du but. Sans doute l’inquiétude pour les passages les plus encaissés si la pluie reprenait et une sorte de superstition : ne pas tenter le sort, « mériter » de bien s’en tirer. On s’en tirera fort bien avec de l’eau au-dessus des chevilles : on lave à la fois les chaussures, les chaussettes et les pieds.
Retour à l’hôtel vers 19 heures. Le ciel bleu est tout à fait revenu. Allons visiter le Castillo de Monte Aragon (Sancho Ramirez, XIème siècle. Très beau. Imaginer les paysans et les soldats, les cavaliers et les nobles au temps de Sancho Ramirez...)

459ème/. 6 juillet. Lac de Vadiello. Déjà la route est magnifique. Arrivés au barrage, l’aiguille El Poro donne le ton. Toute la nuit sera aussi grandiose. Le sentier qui longe le lac est loin d’être simple. Montées et descentes. On franchit trois éperons principaux, le troisième par une brèche bien marquée au pied d’une petite aiguille grise très belle en face du barranco del Huevo. (Est-ce l’Aguya de Nummerez ou la Reina ?) Après cette brèche, nous descendons trop en suivant le sentier principal qui va à l’eau et se perd. Il aurait fallu prendre à gauche une sente moins marquée qui continue plus haut. Revenons à la brèche pour un repos confortable. Farniente. Enthousiasme photographique.
Quand nous revenons à la voiture, des aigles et des vautours se posent sur El Poro. Une fille assez nue, très belle, prend le soleil. Ça mérite aussi l’admiration. (Comme hier, tout le matin nous avons été seuls ; un seul groupe de « touristes » l’après-midi à la descente). Sur la route du retour, arrêt à l’Ermita de la Virgen del Vinedo, restauré au milieu des oliviers multi centenaires.

460ème/. 7 juillet. Mascun inferior. Arrivons à Rodellar sous la pluie. Montons à l’église. Retour sur nos pas. Hésitations. Il n’y a heureusement pas de panneaux indicateurs. Malgré le canyoning le coin reste sauvage ; on peut s’y paumer. Le sentier prend au nord-est du village et monte d’abord en passant devant des maisons isolées. Dans la descente vers le Mascun, la pluie devient averse d’orage. Nous nous mettons à l’abri sous de grands surplombs très efficaces. Éclaircie. On repart. Hésitation entre, à droite, le canyon de la Virgen et, à gauche, le Mascun. La grande fenêtre de la Ventanas que l’on voyait tout à l’heure au nord-nord-ouest est maintenant vue au sud. Nous avançons vers le nord, vers la cuca de Bellosta. Aiguille superbe. Par vingtaines les rapaces l’animent. L’orage semble les tourmenter. À nouveau la pluie ; on sort les ponchos. Nouvelle éclaircie. On croise deux gars en combi qui viennent du Mascun supérieur. On s’avance encore jusqu’au barranco d’Otin. Troisième orage. On rentre. Un aigle se pose assez près. Après ces émotions, allons dîner à Alquezar. T.B.

Lundi 8. Église d’Abiego. Retour à Alquezar. Visitons toute la matinée. La forteresse arabe et la collégiale, XIème et XVIème siècles, quel métissage réussi ! Le pouvoir (encore Sancho Ramirez) et le temps ajoutent un art à l’art. La vie que donne la patine aux fresques du cloître ! (Le maître d’œuvre Juan de Segura).
Après un déjeuner rendu meilleur par la gaité de la serveuse, prenons la route de Bielsa. Passons au Puente de las Gargantas et à Arcusa. (Apparition du massif calcaire las tres Sorores et la tres Marias). Hôtel de Bielsa.

9 juillet. El plan de Gistain. Piste de Biados. Arrêtons la voiture à la Virgen Blanca et prenons le sentier qui prend, avant le pont, sur la rive droite du torrent de la Paz. Très beau sentier forestier. Il rejoint la route avant le pont qui fait passer rive gauche pour atteindre le refuge Tabernès. Continuons rive gauche jusqu’à un confluent où le sentier se perd. (Pour aller au Vado del Bachimala on devait rester rive droite au pont où prenait un autre sentier). Long farniente au bord de l’eau. Bonne soirée au refuge de Biados... mais nuit pénible.

461ème/. 10 juillet. Lacs de Millares. Du petit pont de béton, sous le refuge, on part est-nord-est vers les granges. Petite montée, puis à niveau pour descendre ensuite, après la dernière grange, vers la passerelle qui permet de traverser le torrent de Gistain. (Là aussi, pas la moindre indication). Le chemin se perd dans la prairie. On va sud-est. On retrouve une sente. Plat, puis montée raide. Lacets dans pierraille. Grande traversée. Nouveaux lacets. Au pied de la face ouest du Las Espadas, énorme avalanche. On la traverse. Nouveaux lacets en forêt. (Arbres arrachés par le souffle). On arrive à une épaule herbeuse après laquelle on quitte le chemin du col d’Eristé pour prendre à droite un chemin bien visible qui conduit au lac -il est encore à demi gelé. Suivons les cairns pour le lac de Lenés qui est complètement gelé (2516 mètres). Les pics d’Eristé sont superbes. Nous n’avons fait que 800 mètres mais n’avons pas envie d’aller plus loin. Pierre* et Michel* souffrent d’un genou. Voitures 17h15. Bière au petit bar avant Virgen Blanca. (Des jeunes manifestement étonnés de nos âges... et bêtement moqueurs). Soir, Vénasque. San Anton avec champagne pour fêter la victoire du cheval de Michel*.

Jeudi 11. Repos à Vénasque. On mange et on boit trop. Dîner à Cerler à la borda del Mastin. (Village mort, sans poules et sans enfants, tellement « restauré » que ce n’est plus qu’un décor. Parlons pourtant avec deux vieux très sympathiques. Le plus bavard connaît bien Tarbes où il achetait des mulets qu’il passait par le port de Vénasque. « Pour apprendre le français, il a couché avec une Française pendant deux mois »...)

462ème/. 12 juillet. Turonet de Barrancs. Réveil à 6h30. Départ parking du Plan d’Estan 8h20. Froid. Très belle montée, seuls. Il faut deviner le départ du chemin en amont du Plan d’Aiguallat, à droite. Tout le vallon sous Colladeta de Barrancs est en neige assez gelée. Montons vers la crête à gauche, d’où l’on voit enfin le lac de Barrancs. Il est tout en glace. Voyons deux marmottes et deux isards. La traversée vers le col de Barrancs nous paraît énorme. La fatigue est là, mais pas l’enthousiasme. Pourtant, nous pourrions ; il n’est que 12h15. Le Turonet avec son « sommet » en grande dalle de granite et son beau cairn joue comme une tentation. « C’est assez, jouissons ». On y reste jusqu’à 14h30. Descente plaisante. Deux petites ramasses, une chute, mais Pierre* et Michel* souffrent.

13 juillet. Les Carteaud* partent les premiers. Ils rentrent directement. Nous nous donnons encore une journée de tourisme. Après le col de la Foradada et Campo, prenons vers le sud une route qui devrait nous mener à un Ermita à Bruis. On ne le trouvera pas. Route nouvelle. On sera à Aïnsa pour déjeuner dans le beau cadre de la Bodega del Sobrarbe. À Escalona, nous prenons la route du rio Vellos pour revoir la Garganta de Niscle et découvrir sous un ciel gris Nérin et Fanlo. Dernière nuit à Bielsa. (En cadeau, une image féminine très savoureuse, inoubliable...)

463ème/. 22 août. (Sortant d’une mauvaise période « pulmonaire »). Avec Pierre*, Fanfan*, Anouk*, Jean* et Baptiste*, par Aulon, la cabane d’Espigous. Montons au-dessus pour « observer » les marmottes. Excellent ! Après en avoir vu une bonne douzaine d’assez loin, nous nous sommes approchés lentement d’un bloc sous lequel se trouvait manifestement une « entrée » principale de leur réseau, logis-forteresse imprenable. Au bout d’un temps suffisant d’attente en silence immobile, une petite tête est apparue (à sept ou huit mètres), curieuse, joueuse et inquiète (toute la jeunesse !) Nous nous sommes regardés pendant de longues minutes avec quelque sympathie, je crois. Les chasseurs se trompent : l’important n’est pas la chasse, c’est le guet. (Dans les amours aussi : donner plus à se guetter qu’à se prendre...)
Retour contents avec en prime une bonne poche de cèpes trouvés sous les noisetiers. Cette demi-journée de montagne en vaut une entière ! Les sommets autour d’Auloueil, sous la lumière basse du contre-jour du soir, étaient « sublimes » (mais sans aucun rapport avec l’esthétique kantienne... Je lis « Homo estheticus », de Luc Ferry).

464ème/. 28 août. En route pour Corps. Arrêt à Narbonne-plage. (Hôtel Caravelle). Faute d’avoir pu revoir Arlette* « indisponible », ai admiré une petite serveuse aussi brune mais plus bavarde, cela en dégustant un considérable plateau de fruits de mer.
Au matin du jeudi 29, vais tremper mes mains dans la mer mais n’ose pas me baigner. Prudence ou couardise ? Je mets un respect religieux à toucher la grande bête liquide et dorée. À ne point douter que la beauté existe malgré les cuistres de « l’esthétique contemporaine ».
Route sans histoire jusqu’à la rencontre de trois belles stoppeuses dont une, bien dorée elle aussi, et gentiment bavarde. Quand la beauté parle, c’est double plaisir. Arrêt à Serres vers 19 heures. Village superbe. J’ai le temps de visiter sous une belle lumière de crépuscule. Gamines rieuses et gamins aux yeux vifs disant « bonsoir ». On en est tout surpris. Manifestement, ici, on sait encore vivre. Achats pour la course, demain. Hôtel « Fifi Moulin », très bien. Cartes à Paula* et à Jackie*. La parenthèse est longue, et pourtant je n’ai pas tout dit...)
Vendredi 30. Départ avant 9 heures. Ici, il fait encore beau mais l’on voit au nord la barrière de nuages qui tentent de franchir le Dévoluy. Je quitte Superdévoluy à 10h20. Montée facile. On suit un remonte-pente en appuyant parfois à droite pour chercher l’herbe. Montagne ravagée par le suréquipement, mais cela n’enlève rien à la solitude. C’est un désert où il y a des pylônes et des câbles, mais c’est toujours un désert. Arrêt à midi 30 sur un petit piton à 1950 mètres. De là, je vois bien le grand cairn du Bonnet Rouge et le Pied gros de Saint-Étienne. (C’était en 1994 ; il faisait encore plus mauvais qu’aujourd’hui). Le vent est froid et la brume arrive. Je repars à 13h30, bien restauré. Le haut du « Vallon Pierra de Saint-Étienne » est très beau, très sévère pour le solitaire. On passe au col du Sommarel (2375 mètres). Bonne montée jusqu’à une crête où une étrange fenêtre est ouverte dans la paroi. Les nuages sont d’un beau noir de plus en plus inquiétant. J’arrive au pied d’un câble fixe qui doit aider à remonter une sorte de large couloir croulant, assez peu engageant. Je suis à plus de 2500 mètres. Tout bien pesé, le pic de Bure peut se passer de ma visite. Il est 15 heures. J’ai gravi 1000 mètres. Il est raisonnable d’en rester là. Le plafond baisse et je commence la descente dans le brouillard. Un petit névé à traverser. C’est ma première course en tant que montagnard cardiaque. Pas le moindre symptôme. Une marmotte me siffle de très près comme une amicale ironie. Je fais durer la descente. Voiture et bière à 17 heures. Corps familial.

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(Rencontre de Antoine Franceschini*, corse, forestier, sculpteur sur bois et guérisseur. Le personnage, naïf et roublard, mériterait tout un portrait. Jacques* nous projette des films anciens pris à Chamonix. Présence de Denise*. La vie prolongée par l’image où notre existence s’avoue bien comme « apparence ».
Venue des jeunes : Agnès* et Laurent*. Ils sont beaux. Elle est enceinte avec grâce. Ils sont ouverts, intelligents et courageux, jeunes. J’admire. Thomas* et Séverine*, autres mais pourquoi « moins bien », plus fragiles, moins de « santé ». Il faut estimer aussi. Films du soixantième anniversaire du mariage de Monette* et René*. 1936. Banquet dans les salons du Parc bordelais ; j’y ai donné la dernière caisse de château Pavie 1905 provenant de la cave de notre père. Je m’en souviens comme si c’était hier. Que tout cela est étrange vu depuis ma propre vie aujourd’hui !)

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5 septembre. Route du retour. Nuit à Carcassonne.

Le 6, Vicdessos. (Souvenir de Nancy Benson*, « mon anniversaire », en 1978 au pic de Périsses et aux lacs de Gardelle). Montée au col de Lers. Tente sous le col au départ du chemin du lac d’Arbu. Bel endroit pastoral. Je lis Luc Ferry sous la tente. Vent froid, ciel nuageux.

465ème/. Le 7, je pars du col par la crête. Les Trois Seigneurs sont dans les nuages noirs. Au premier sommet, la brume monte de l’ouest. Je continue, le chemin est bon. Le pic de Fontanette (2002 mètres) se découvre. Il prend belle allure sous les écharpes mouvantes de la brume. J’y monte. Dans le brouillard plus épais un grand vautour passe à ma hauteur à moins de dix mètres. Moment magnifique. J’attends au sommet, en mangeant, que le pic des Trois Seigneurs se montre. En vain. Il fait si froid que je mets les gants. Ça ne s’arrange pas. Je décide de me contenter du modeste pic de Fontanette. Je serai à Pau ce soir.
Bonne halte au lac de Lers. Le col d’Agnès est magnifique. (Chevaux noirs). Le temps s’est levé. La route qui descend sur Aulus est superbe. La vallée qui monte au Garbet et au Pic rouge de Bassiès, impressionnante.
Jean* et Véronique* sont chez moi pour m’accueillir, mais le courrier est décevant...

466ème/. 23 octobre. Lac d’Anglas. La médecine « préventive » est une sottise. Un « thallium à l’effort » m’a rudement perturbé. Quarante-huit heures pour éliminer le poison isotopique. Je n’en ai toujours pas les « résultats » mais le temps est idéal. Grande envie d’un solo.
Gourette. Voiture au petit parking de la maison de la Jeunesse et des sports. 10h20. Après la passerelle sur le beau torrent du Valentin, sous-bois. Cabanes de Coste de Goua, bifurcation pour le lac d’Uzious. Là où Audoubert* indique : « chemin balisé GR », le chemin indique : « difficile, non balisé ». Visiblement, le GR va à Anglas. La grande cascade, en contre-jour, est sublime. Je pose le sac et descends un peu pour une photo. Revenu au sac, croise un couple qui descend. (Écart d’âge de père à fille ; je pense au « nous » du temps d’Isabelle*). Ce seront les deux seuls bipèdes de la journée. Le lac est à moi seul. Les ruines des mines de fer sont tout à fait intégrées au paysage et ne font plus injure. Il est 13h15 ; j’ai très faim. Sieste...
Je monte le long d’une échine rocheuse qui finit en petit piton au-dessus d’une épaule (2150-2200 mètres ?) Le temps lent de la progression des ombres. Vers 16 heures, descente en musardant. Sur la plate-forme intermédiaire de la mine, des chaînes aux maillons énormes forment une belle « sculpture contemporaine » sans sculpteur. En arrivant en vue de la voiture, un coq bien élevé me salue d’un chant chaleureux, enroué juste à point. Que le hasard est bon ! (Bien sûr, pas le moindre symptôme cardiaque de tout le jour. Simplement assez fatigué).

1997

467ème/. 14 janvier. Grand beau. Laruns. Envie de voir enfin le refuge d’Arrioutort (manqué le 17 mars 1996). Cette fois, je prends la route qui monte vers la « maison familiale ». Arrêté par la neige deux ou trois lacets au-dessus. Laisse la voiture dans un virage en fer à cheval très marqué et large. L’altimètre donne 700 mètres. Il est 11h50. Il fait un bon froid avec grand soleil. Quelques coulées d’avalanche à traverser. La route passe à la grange de Lars puis à celle d’Espouey où je fais un petit arrêt gastronomique. La route continue jusqu’à une bifurcation dont la branche de gauche descend. Je prends celle qui monte à droite bien quelle ne porte plus de traces. Il n’y a plus bientôt qu’un chemin qui se perd dans les congères. Je reconnais le même genre de terrain « héroïque » que dans la forêt du 17 mars. Traverse deux petits rius. Je suis probablement trop au nord et je longe la vallée d’Arrioutort vers le col. L’altimètre-baromètre donne 1320. Il est bientôt 16 heures. J’en ai assez. Descente. Quelle chance, le refuge d’Arrioutort reste encore comme projet !

468ème/. 27 février. Crête de la Sagette (2090 mètres). Grand bleu. Décision rapide. Départ 10h15. Intention : voir l’approche du grand couloir nord de la Dent de Soques. (Vieux rêve !) Vu le temps chaud et le recul de la neige, n’ai pas pris les raquettes. Surprise ! Le massif de Soques est très enneigé. (Superbe !) Sans raquettes, mieux vaut être plus modeste. Arrêt à Fabrèges (11h30) pour le lac de Lurien. Cherche en vain le départ du sentier. Il ne me reste plus qu’à suivre la route forestière sous la ronde des télécabines. (Déchéance !) Je la quitte assez haut pour une jolie piste qui s’engage en sous-bois. Assez raide. Vers 1652 mètres, elle oblique vers l’ouest. Une plaque de neige à traverser ne m’inspire pas confiance. Et puis ça me ramènerait vers les télécabines humiliantes... Je préfère continuer hors sentier sur la croupe boisée raide. Sorti de la forêt, je peux appuyer vers le nord-est en diagonale dans des herbes couchées fraîchement déneigées. Raide et assez traître. Bientôt une belle source tout entourée d’une sorte de cresson au vert cru qui rafraîchit rien qu’à le voir. Un vallon enneigé entre de beaux rochers mène vers un col (2058 mètres). Je fais une belle trace. Au col, corniches vers le nord manifestement dangereuses. Il faudrait un compagnon et une corde pour aller vers le Petit Lurien. Sagement, je vais au nord-ouest, par un bout de crête facile, jusqu’au premier piton bien individualisé. L’altimètre dit 2100 ; d’après la carte, c’est 2090. Il est 14 heures. La vue est prodigieuse. Je n’en repartirai qu’à 16 heures. Étrange ! À 100 mètres sous moi (le col de l’Ours), les skieurs défilent et je suis pourtant absolument seul ! Descente même voie sans problème. Voiture à 18 heures. Bonne fatigue... Une « fatigue contente »...

469ème/. 28 mars. Lac de Lurien. Fabrèges (1250 mètres). 9h20. Au petit parking, à gauche de la route, avant le premier pare-avalanches, une voiture espagnole m’a devancé. Le chemin prend juste en face, bien visible. Les fougères ont été fauchées. Beau sous-bois. Le Lurien est dans les nuages. En haut du deuxième ressaut, le sentier tourne en épingle au nord. Le brouillard descend. Une piste pastorale me trompe et je suis trop au nord. Arrêt à 11h50. L’altimètre indique 2000. Casse-croûte sous un bloc avec deux belles entrées de terrier. (Marmotte ou renard ?) À 12h15, superbe lever de rideau sur le Chérue et le Lurien. Le baraquement-refuge est visible en haut d’un grand vallon enneigé. Traversée sur des pentes raides pour ne pas perdre de hauteur. La neige tient bien, mais je n’ai pas de piolet. J’ai pris des bâtons de ski qui ne me serviraient à rien si je partais.
Le brouillard est retombé. Arrivée dans le vallon : je retrouve les traces des Espagnols. La baraque (2115 mètres) est bien enfoncée dans la neige qui va jusqu’au toit. Deuxième arrêt-buffet en attendant que ça se lève. Il est 13h30. À 14 heures je repars, bien que le brouillard soit encore plus épais. Visibilité quatre à cinq mètres. Arrivé à un replat, les traces disparaissent sous la neige poudreuse que le vent a balayée. Je vais à la boussole vers le sud-sud-est. Hésitation. La solitude se fait un peu écrasante. Il est bien tôt pour redescendre. Pourtant ? Mais j’entends des voix qui parlent espagnol. Apparition de trois ombres géantes. (Effet ordinaire du brouillard qui agrandit tout). Ils ne me voient pas. Je vais vers eux en éprouvant une joie énorme : aurais-je eu peur ? Je n’ai pas du tout senti la peur, à aucun moment, pourtant l’intensité anormale de cette joie montre qu’elle était un peu là. Ce sont trois garçons très équipés -crampons, doubles piolets. On sympathise tout de suite. Alfredo, qui est de Burgos, 26 ans, parle un peu de français. Mes 77 ans les épatent un peu et les font rire... Nous descendons ensemble. Fernando et Iago nous trouvent bavards « mujer ». On les retarde un peu pour nommer des fleurs ou identifier des crottes (Alfredo est biologiste). Revenus à la forêt, on accélère. (Un peu trop à mon goût, mais je les suis sans trop de peine). À la voiture, vers 16 heures, ils sortent une excellente bouteille de Ribera del Duero, tinto de 94 (« Tierra Aranda ») qui me semble une merveille. Ça a le goût de notre rencontre ! Celui de la joie très spéciale de trois obstacles surmontés : la solitude du brouillard, la langue et l’âge.
À 18 heures je suis à Pau (l’aventure a duré juste dix heures), presque sans fatigue et de cœur content. Après un bain, j’ai le temps de travailler à « La politique », d’Aristote.

470ème/. Pic d’Estremère. 7 avril. (Premier jour de ma 77ème année). Avec Jean* et Baptiste*, je repends le chemin du Port vieux de Sallent (en égrenant des souvenirs de Nancy Benson* -juin 1978- de Gina* au Peyrelue -juin 1976- d’Isabelle* en août 1982, de mon frère Jacques en mai 1986 ; tous les chemins deviennent des chemins de mémoire).
Le temps est beau et la montée facile. Petit arrêt à la première cabane. Hélas, un groupe de six ou sept est passé avant nous et a chassé les isards loin du col. On en aperçoit, mais très loin. Sommes sans peine au sommet (2965 mètres) vers 13 heures. Arrive avec Baptiste* sur la pointe sud et traversons un joli petit col à corniche de neige pour rejoindre Jean* qui est monté plus direct. Le groupe ayant pris possession du cairn nord, nous restons discrètement au sud. Plafond nuageux très haut, très belle lumière sur la Peña Collarada et l’Anayet. Restons une heure au sommet. Descente tranquille. Nous rejoignons sur une petite épaule le groupe. J’entends dans mon dos : « Vous n’êtes pas Mr. F. ? » C’est un ancien élève de philo en 1979. Petit plaisir de vanité sûrement, mais aussi vraie joie plus profonde. Ça me donne des ailes pour quelques ramasses en bonne neige. Au col, remontons vers le petit lac au bord du balcon espagnol. Pas d’isards, mais les grenouilles en pleine ardeur d’amour. Par dizaines elles copulent même sur la neige.
Arrêt bière à Gabas. C’est l’ancienne maison Laborde-Berges* où nous avons été si bien accueillis (François et Xavier Defos* et moi) en août 1939. (Table surabondante et coucher dans leur foin, avant le retour en vélos).

471ème/. Col de Suzon. 10 avril. Baptiste* est encore là et le beau temps aussi. Partons avec Jean*. Voiture au Caillou de Soques, 1350 mètres. (Au moment de boucler les sacs, Baptiste* abandonne dans le coffre ses affreux petits personnages en plastique qui sont ses gris-gris enfantins. C’est une victoire !) Montée pour la cabane de la Glère. Les sacs sont lourds et Jean* souffre d’un genou mal opéré. Suis en bonne forme. Après la passerelle, j’accélère pour aller poser mon sac et redescendre prendre celui de Jean*. La cabane de la Glère est fermée. Nous coucherons à celle de Puchéous (1750 mètres). Les isards sont au rendez-vous et les parterres de jonquilles. (19h15). Belle et bonne soirée. L’Ossau a la tête dans les nuages. (Un peu de conversation sérieuse à propos des filles et des garçons...) Bonne nuit.

11 avril. Temps superbe. Premier soleil sur la pointe d’Aragon et la Jean-Santé. Montons en flânant entre fleurs, isards et marmottes. (Ce coin tient du paradis !) Les isards fuient sans panique. Ce n’est pas la terreur devant l’ennemi chasseur, c’est seulement maintenir la distance du respect (40 à 50 mètres). Il y a beaucoup de jeunes, des « suitards » d’un an ; ça suit la mère par hardes de huit à dix. (En tout, nous avons bien du en voir une centaine). Sommes au col de Suzon à 11h30. Il fait froid. Le petit couloir du Saoubiste est en glace. Nous nous contenterons du petit piton qui est à l’ouest du col (2150 mètres ?) Belles marmottes sur la neige à la descente. Une petite ramasse pour compléter le plaisir. Retour aux jonquilles et au ruisseau de Pombie. Cabane 13h45. (Baptiste* se couche et dort tout de suite).

26-27 mai. Avec Janus* et Véronique*, Ayerbe par le Somport. Sarsa Marcuello chez Patrice Chevalier*, Château de Loarré, Boléa, Ermita de la Virgen de la Peña. Retour, 437 kilomètres.

1er juin à Saint-Sauveur Lalande ; « communion » de Louis*.

472ème/. 20 juin. Avec Janus*, Baptiste* et Charly*, coucher à la cabane de Dous Boues de Peyrelue. Cabane fermée, entrée par la fenêtre. Très beau coucher de soleil sur l’Anayet, mais très mauvais coucher dans la cabane. Vent de tempête.

Le 21, temps noir. Nuages courant trop vite sur les crêtes. Nous renonçons au pic d’Ouradé. Descente en promenade.

473ème/. Bénasque.

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Course 473. 7 juillet 1997.
Henri Ferbos au pic Cerler.
(Photo Pierre Fougère).

7 juillet. Avec Pierre* et Henriette* et Michel Carteaud* (Michèle*, malade, ne vient pas).
De Cerler, voiture jusqu’à El Ampriu (1912 mètres). Route magnifique, temps idéal, neige fraîche sur tous les sommets. Gravissons le pic Cerler (2407 mètres). Midi au sommet. Vue immense.
(Ampriu est ravagé par le ski-business. Torrent bétonné ! Pourtant, nous montons dans un vrai jardin où dominent trolles et lis. Iris et grandes gentianes sont au bord de la floraison. Cette flore fraîche et généreuse résiste au ravage. Je pense à nos forces qui résistent encore à la sénilité...)
Retour au San Anton vers 16 heures.

474ème/. 8 juillet. Montons tous à l’Hôpital de Bénasque (1800 mètres). Beau chemin rive droite du torrent de Gorgutes. (Cascades). Certains lacets s’allongent vers l’ouest avant de revenir vers le torrent. Les iris ont explosé cette nuit. Plus haut, les digitales.
Petit arrêt à la traversée du torrent. Le sentier part assez loin vers l’est pour franchir à une épaule une belle croupe qui monte jusqu’au lac (2230 mètres). Premier arrêt pour admirer. On repart vers le col de la Glère (2367 mètres). Côté français impressionnant. Les « échelles » de la Glère méritent leur nom. Le Sacroux serait faisable alors que le pic de la Glère est défendu par des aiguillettes impressionnantes où il faudrait la corde.
« C’est assez, jouissons ». Grand soleil et bon appétit. Identification laborieuse des sommets. Avec carte et boussole, on y arrive. Pic d’Albe, Dents d’Albe, Mir, Sayo et Cordier ont grande allure vus d’ici.
Descente vers 14 heures. Michèle* et moi allons aux lacs de la Montaneta. (Plus sauvages et plus beaux que le Gorgutes). Les autres suivent servilement le sentier. Euphorie. J’active le pas pour les rattraper : chute sévère sur le genou gauche. Je roule un peu sur la pente... (Ce « mal », c’est « le cœur » ou les côtes ? Prends une giclée de trinitrine dont le tube s’est écrasé dans la chute !) Un peu plus loin, c’est Michèle* qui tombe et se fait mal à une main. Il y a un sort dans ce parage. Suite pénible mais en bonne humeur. Mon genou n’enfle pas. Ça a saigné, mais les fleurs sont là. Retrouvons les autres au torrent.

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Course 474. 8 juillet 1997.
Le lac de Gorgutes.
(Photo Henri Ferbos).

Pierre* et moi restons en arrière pour régal photo. Un champ de grandes gentianes de Montserrat nous tire trop à l’ouest. Nous nous retrouvons sur la piste d’Audoubert* qui mène au terminus de la route et non à l’hospital. On prolonge le plaisir (?) Bières et chorizo frit.

9 juillet. Orage. Tourisme à Roda de Isabena. (Troisième ou quatrième fois, mais ça étonne toujours autant). Visite de la cathédrale ; les « ornements sacerdotaux ». Comment négliger la culture qui a fait ces choses ? Pourtant, l’instinct de mort obsessionnel dans tout cela.
Un tableau dans le réfectoire (aménagé en restau de luxe), « Le supplice de Saint-Laurent ».
Le corps humain ne peut être exhibé nu que pour la torture. Au fond, en haut à gauche, dans l’ombre, une vague silhouette de statue païenne. Apollon ? En avant, en bas à droite, les bourreaux qui attisent le feu. Sur la diagonale, le corps blanc lumineux du supplicié exhibe la douleur. La facture du tableau est assez médiocre, mais il trahit bien ce qu’il ne veut pas dire tout en le disant clairement : le culte de la douleur, le sadomasochisme du « dolorisme » comme « spiritualité ». Insupportable !

10 juillet. Encore mauvais temps. Mon genou en avait besoin. Lectures, courrier (une lettre à Paula* et huit cartes). Louise* au téléphone, reçue au bac avec mention A.B. (« L’année du bac »... « Passage » sans rite mais énorme...)

11 juillet. Départ de Michel* et Michèle*.

12 juillet. Fuyons plus au sud. Vers le Cotiella.
À Seira, prenons la route de Barbaruens. Village encore pauvre, étonnant. Le Cotiella est dans les nuages. Retour à Campo où nous déjeunons : petit bar-restau sur la place de l’église. Dédaignons Aïnsa pour Escalona et Laspuna. « Découverte » de l’Hostal Sidora.

475ème/. 13-14 juillet. Peña Solana. Ceresa et la Collada (1552 mètres), 10h30. Très beau sentier qui prend vers le nord derrière une grange. Il traverse des dalles grises raides toutes piquées de grosses touffes en boule à fleurs jaunes. Genêts (« Genista honida » ?) après un pierrier et une montée plus raide, on entre dans la forêt. Bientôt une bifurcation. Prenons à gauche vers l’amont. La piste se perd sous les feuilles. Montons dans un talweg commode puis par une croupe plus raide et plus encombrée. Elle s’arrête à un replat de blocs au pied de plaques redressées. Nous sommes à l’aplomb du sommet. Rien ne correspond à la carte Alpina. Suivant sagement le terrain plutôt que la carte, nous montons en traversée vers l’ouest jusqu’à un couloir raide, encombré de petits cailloux gris croulants. Grimpons par la rive gauche jusqu’à la crête. Nous débouchons à la brèche 1833. Très beau. La crête est boisée d’arbres très vivaces ou tout à fait morts et torturés. Le sommet nous domine au sud-est. Il surplombe de 100 mètres. Promenade sur l’arête jusqu’au bloc terminal. C’est le rocher compact des Eaux-Claires*. Longeons la paroi par le nord, à l’étonnement de quelques chèvres...Trouvons une cheminée praticable. Je m’y engage en opposition facile sur cinq ou six mètres jusqu’à un bloc coincé où je fais partir une fausse prise. Le caillou tombe sur le dos de Pierre*. Sans mal, mais l’avertissement suffit : sans corde, nous faisons une sottise. Nous sommes à moins de dix mètres du sommet. Vexant ! La promenade se révèle bien plus sérieuse que prévu... Las ! La descente le confirmera.
Prenons le couloir plus à gauche et ça passe facilement. (Traversons une zone de Ramondia Pyrenaea). Retrouvons à peu près le parcours de montée jusqu’au talweg sous les hêtres. Sommes-nous descendus trop bas ? Coupons un bon chemin qui nous entraîne au nord. On suit en espérant toujours qu’il va rebrousser vers le sud. Les buis ont été coupés, mais bientôt ils ne le sont plus. Et bientôt ledit chemin se perd et nous sommes piégés dans une souricière de buis à la limite du « pénétrable ». Autant essayer d’en sortir vers le nord...
Coupons des champs abandonnés avec granges en ruine jusqu’à un riu, « Barranco del Agua, qui nous mène enfin à la « pista » carrossable... à quinze ou vingt kilomètres du Collada ! Vers 21 heures, la pista nous entraîne toujours vers le sud-est en tournant le dos au Collada. Le « Refugio pastoral » n’apparaît pas... Erreur fatale : nous revenons sur nos pas jusqu’au « Barranco del Foricon » où la pista cesse pour céder la place à une « saignée » de débardage où nous montons raide, droit sous la Collada. Nous espérons encore « en sortir », mais le terrain ravagé est de plus en plus mauvais et la nuit va le rendre impraticable. À 1 heure du matin, on décide le bivouac... Pas de chandail et pas de doudoune. Très froid. Heureusement, beau ciel étoilé et l’aube ne tarde pas. Montons encore. La piste de débardage cesse brusquement. Montons vers des dalles grises dangereuses. C’est la souricière une deuxième fois. Cirque de parois sous le col. (Évidemment, rien de tout cela n’est lisible sur la carte Alpina !)
Il faut redescendre et suivre docilement la piste carrossable d’hier soir. Troisième parcours. Le temps reste beau et on s’étonne de marcher encore si bien. Mais le ciel nous envoie un Espagnol dans une petite Renault « cahotante ». Il rebrousse chemin pour nous porter jusqu’au Refugio forestal Ostacho. Ça nous épargne trois ou quatre kilomètres.
Arrivés au Collada, l’eau fraîche de la fontaine !
En descendant vers Ceresa, croisons la Guardia Civil alertée par l’hôtel...
Accueil chaleureux de toute la famille de l’Hostal Sidora. Belle soirée !
(La « course » a duré vingt-cinq heures...)

15 juillet. Retour en France par Bielsa, Orédon et Cap de Long. Mais bientôt : nouvelle souricière. C’est le passage du Tour de France : files de voitures bloquées... Heureusement, il y a la musique à bord. Dînerons à Pau aux Acacias.

476ème/. 31 juillet. Avec Paul*, Baptiste* et Louis*, montons planter la tente au lac d’Aule (2042 mètres). Sac trop lourd. Crampe très douloureuse à l’arrivée. Soirée superbe. Il n’y a qu’une seule autre tente sur la rive nord. Nous nous sommes installés sur le promontoire qui ferme le déversoir entre le grand et le petit lac. Paul et les enfants se baignent.
Nuit pénible. À 1h30 du matin, un ciel étoilé prodigieux. Départ vers 9h40. Itinéraire facile. Vers la fin, belle traversée versant sud sous des dalles de schiste marquées par de beaux impacts de la foudre. Crête. Sommet 2457. Seuls. (Quatre garçons sont sur le sommet 2326). Y restons sans compter. Descente vers 14h30. Arrivons au lac. C’est Aule-plage. Une dizaine de groupes, beaucoup d’enfants. Paul* et les deux cousins se rebaignent. Je me contente de m’asperger. Restons les derniers. Le sac pèse moins mais pèse encore. Arrêt à la cabane d’Aule. La bergère est très jeune et belle fille. Ça sent le lait et les herbes. Fin de la descente très pénible. Bière à Gabas. Les 77 ans pourraient se porter plus mal.

477ème/. « Les Trois Seigneurs ». Jeudi 21 août. Départ de Hèches pour Aulus-les-Bains. (Retour à Seix pour chercher de l’essence ; il n’y a pas de distributeur à Aulus !) Belle montée par le col des Agnès au col de Lers. Soleil bas.
Déception : les bergers n’ont plus de chiens, mais ils ont des barrières électriques plastifiées en couleur fade. Une fois de plus, nouvelle technique, nouvelle laideur ! Je ne peux accéder au bel endroit où j’étais le 6 septembre, l’an passé. Je plante ma tente au bord de la route. Pitié !

Vendredi 22 août. Beau temps. Plie la tente toute trempée. Laisse la voiture au col à 8h50. Il y a du « touriste ».
Montée calme par la crête déjà connue. Les bergers n’ont plus de chiens... mais les touristes en ont !
Le pic de Fontanette sans les nuages. Entre le pic de Banès et la cote 2029 quelques beaux blocs et des passages étroits ; on passe au nord. Sous la pointe 2106, on passe au sud jusqu’à un petit replat d’où l’on rejoint la crête par un large couloir où l’on zigzague en « échelle ». Belle brèche. De là au sommet (2199 mètres) le chemin passe versant sud.
Beau sommet avec croix en fer forgé.
Il n’est pas tout à fait midi. Trois Allemands avec une Hollandaise qui parle bien français. Pour le fichu sauvage que je suis en montagne, le touriste n’est supportable qu’à condition de lui parler : moi, sorti de ma sauvagerie, je le découvre sympathique le plus souvent. On discute Montcalm et Piqua d’Estats qui sont bien visibles. (Le Sullo à côté me fait les yeux doux. À juger de l’effort pour ces petits 2199 mètres, il n’est pas vraisemblable que je puisse ses 3075... J’en rêve un peu).
Arrive un beau jeune homme avec deux jolies filles de 20 ans. De quoi « rêver » encore. Elles n’ont pas encore de prénom. La blonde va avoir la faveur d’une guêpe qui va la piquer à la fesse droite. Bien sûr, un des Allemands a dans le sac une pharmacie et le produit ad hoc. Cette petite misère a son charme sous le soleil. La brune est passionnée de photo. On discute des inconvénients de l’autofocus. Les Allemands descendent vers le lac d’Arbu. Les jeunes suivent bientôt. Je reste seul cinq minutes. Las ! Arrive une bande très « touristiens vulgaires ». Là, il n’y a remède. D’ailleurs, le temps tourne à l’orage. Une gorgée de bordeaux, et je démarre à mon tour vers 14 heures.
Hésitation : reprendre la crête pour rejoindre le col et la voiture ? Mais comment négliger le lac ? Le lac l’emporte évidemment. Descente facile. On perd un peu les balises jaunes, mais on les retrouve vite « au flair » en appuyant assez à droite.
Arrêt-contemplation en haut du grand ressaut qui domine le lac. Je vois mes jeunes qui sont déjà au bord de l’eau. Le sentier contourne à l’horizontale sur la droite. Les jeunes rejoints m’invitent à me baigner avec eux. S’il y a à cela un peu d’ironie, elle n’est en rien méchante. Mais je me garde de pousser l’audace jusque là. (D’où vient que nos envies mêmes -car j’en ai envie- nous avertissent avec justesse du « trop » ?) Ils nagent tous les trois comme des champions ; ils vont au-delà de l’île jusqu’au milieu du lac. Je ne perds pas un atome de tant de beauté. Le lac est sévère dans son cirque de dalles glaciaires ; il ferait un beau tombeau... La chaude vitalité des jeunes corps y explose. Ils ne sont pas vivants joyeux, ils sont la joie vivante, la joie même de l’énergie sensible qui nie la mort dans la brièveté de leur présent.
La blonde est une Sandrine, la brune, bien sûr, une Sophie. Ces prénoms leur vont exactement. (On échange les adresses pour s’envoyer les photos. - Je pense à Christophe* et Olivier* au sommet du Canigou). Les nuages sont de plus en plus noirs et j’ai trois kilomètres à faire sur la route pour remonter au col. Je pars, quelques gouttes de pluie en avertissement sans frais. Au col, nous nous retrouvons tous avec les Allemands qui apprécient mon bordeaux. (Ils ont eu des difficultés dans les dalles, ayant pris la descente trop à gauche). La remontée au col, en coupant les lacets, en passant sous les barrières électriques, m’a « achevé ». J’ai mon compte. Mais quel singulier bonheur !
Il y a une grâce de la montagne pour rapprocher jeunes et vieux. On est ici ni père, ni grand-père, on retrouve la liberté. On est sans « fonction ».
Vers 17 heures, une grosse averse d’orage nous sépare. Un bref déluge qui cesse avant Vicdessos.
Trop fatigué pour prendre la route, je m’offre l’Auberge d’Auzat.
Chambre assez minable, mais bonne table. Pourtant, sans vis-à-vis à qui parler, on se lasse à mastiquer les meilleures choses. Rien n’est tout à fait bon.
Demain, Corps, en famille.

Mardi 26 août. Avec Jacques*, 82 ans, Monette*, 84 ans, et René*, 85 ans, La Chapelle en Valgaudemar, Portes, le pont de « l’Oule du diable ». Avec Jacques*, continuons jusqu’à Fouronnière.

Jeudi 28. Corps, Narbonne-plage. (Parti par Gap sous un déluge ; soleil retrouvé vers Bollène ; achat de vin à « Chante-bise ». Retrouve le défilé qui conduit à Narbonne-plage et l’hôtel La Caravelle. Bain mémorable sous grand vent dans l’eau presque tiède, en nageant vers le soleil bas).

478ème/. Vendredi 29 août. Pic de Sailfort (981 mètres). L’altitude paraît ridicule, mais c’est vraiment « au-dessus de la mer ».
Route du col de Banyuls étroite et sinueuse à souhait. Figues de Barbarie sur les rochers et bosquets de chênes verts. Col (357 mètres) à midi 50. Le chemin vers l’ouest prend côté espagnol, à gauche du col. Montée raide sous un soleil chaud. Vue superbe : il y a une mer française à l’est-nord-est et une mer espagnole à l’est-sud-est... À mesure que l’on s’élève les deux mers se rapprochent et la crête frontière s’écrase. Sous le pic d’Estelle, les épineux deviennent de plus en plus agressifs. Ils atteignent à hauteur d’épaule et se ferment sur le sentier. Après le col de las Eres, montée en sous-bois le long de barbelés-frontière. Traces de positions de tir creusées dans le rocher. Quel décor pour la guerre !! (La garde, la nuit, en hiver... Je me souviens des Vosges...)
Le sommet rocheux a fière allure. Cheminement facile mais très raide. De l’autre côté, un plat herbeux. Traces de festins des sangliers. Il y a une autre pointe rocheuse au nord ; j’y vais. Vue sur Collioure et Port-Vendres. L’est est éclatant, l’ouest tout couvert. Inutile d’y aller. « C’est assez, jouissons ». Solitude parfaite. Mais un couple arrive. Ils ne savent pas où ils sont ; ils n’ont pas de carte.
Descente vers 16 heures. Au col à 18 heures. Banyuls, « Chez Paul », très sympa. Je me baignerai demain matin. Premier dans l’eau. Une jeune fille se baigne, toute habillée, en jean et tee-shirt vert.
Serai à Pau vers 18 heures. Échappé à un accrochage entre quatre ou cinq voitures sur l’autoroute. J’avais fait réviser mes freins...

479ème/. Jeudi 18 septembre. Avec Jean* et Véronique*, sommes à Goust vers 15h30. Nous portons deux tentes et trop de ravito ; les sacs sont très lourds. Mais dès le plateau de Lusque l’enchantement forestier vient à l’aide. Le chemin après le col de Lusque a été dégagé des arbres arrachés par l’ouragan en mai 1996 (le 16, avec Didier*). La cabane de Besse est encore occupée par le berger. Allons planter nos tentes à l’ouest dans le Fond de Besse. Il y a du bois ; Jean* fait un bon feu. L’humeur est bonne. Véronique* a mal supporté le soleil. Trop blonde... Nuit pénible. (Nous avons attendu que la pleine lune apparaisse à l’est ; féérie pour rentrer dans les duvets. Il serait malhonnête de passer sous silence l’incident ridicule de mon appareil dentaire brisé...)
Partons vers 9 heures. Où est la piste ? Pas le moindre cairn ni la moindre balise. Montons nord vers la lisière de la forêt, sans rien trouver. Redescendons pour aller vers l’ouest vers la base des falaises. Il y a bien un grand cône de déjection, au-delà d’une corne boisée. On pourrait le remonter, mais c’est peu attrayant. On décide de renoncer aux lacs et au Mardas et d’aller au pic de la Gentiane. Laissons les tentes et mon sac à la cabane de Besse. Montée légère. Le grand sous-bois au nord-est vers le col est superbe. Finissons dans des parterres de colchiques.

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Course 479. 18 septembre 1997. Vu depuis le pic de la Gentiane, le Montagnon d’Iseye derrière les deux "colonnes" et le "défilé des Thermopyles" qui semblent le protéger.
(Photo Henri Ferbos).

Sous le sommet, sur le versant nord boisé, Véronique* trouve des cèpes que nous mangerons ce soir. Descente sans histoire, trop rapide à mon goût. (J’aurais voulu retrouver la cabane de Lusque, mais Jean* s’impatiente). Sommes à la voiture à 15h30. Vingt-quatre heures en montagne exactement. Janus* prend le volant ; après l’arrêt coutumier à Laruns, Véronique le prendra.
(Il ressort du « débat » que la piste indiquée sur la carte IGN n’existe pas, que Audoubert* qui indique « vers l’ouest » dit n’importe quoi, et que c’est le topo d’Ollivier*, page 134, qui est exact. Bon à savoir pour la prochaine fois. Mais je ne pense pas que je remonterai à Besse une cinquième fois).
PS : Fond de Besse, la nuit du 18 septembre 1997, à 1500 mètres. Près du feu entre quatre pierres, allongé sur le dos, la tête appuyée sur mon sac, je contemple un merveilleux ciel étoilé. Je m’exerce à « pascaliser » : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». Rien à faire ! La frayeur ne vient pas... Ce vivier d’étoiles est d’un silence bien douteux ; beau désordre, il laisse deviner des rumeurs de chaos. Je ne le sens ni « éternel », ni « infini » ; il est aussi réel, temporel et fini que, près de moi, le petit feu et les pierres chaudes, et l’herbe sous ma main. « Éternel », « infini », ces abstraits ne lui vont pas. Donc, faute de frayeur, je dis : Le presque silence naïf de cette immense apparence m’enchante, les étoiles y vont viagères à leur excès et à leur perte, sous mon regard qui les vêt de beauté.
PS 2 : Un pascalien pascalisant serait bien scandalisé par ce qui précède. J’y fais de « contempler », « sentir », alors que pour lui ce serait « penser » et cela exigerait d’exclure le « sentir »... Mais je crois cela tout à fait impossible.
« Contempler » c’est voir de vision active où le vu et le voyant se changent, non pour se confondre mystiquement, mais pour, modestement, donner d’une part la beauté aux choses et, d’autre part, une paix à peine exaltée à l’homme sensible qui pense.

1998

480ème/. Cabane d’Arrioutort. 7 janvier. Des crêtes de la Gentiane, on la voyait. Je l’avais essayée le 17 mars 1996 et le 14 janvier 1997 (455ème et 467ème) par gros enneigements de poudreuse à congères. Aujourd’hui, pas de neige avant 1200-1300 mètres. Il fait très froid, ça ne dégèlera pas de la journée. Je laisse la voiture à Laruns et monte avec gros plaisir -plaisir de jambes et de bras parce que j’ai pris les deux bâtons de ski. Cela fait une sorte de rythme à quatre temps très efficace. Petit arrêt au pont (860 mètres) sous les grandes cascades. Elles sont superbes et tombent sur les dalles en plusieurs niveaux avec des drapés aériens à chaque fois, sur au moins 80 mètres. (Elles ne sont signalées et nommées nulle part). Il est midi ; j’ai fait 320 mètres en moins d’une heure. Le chemin reste superbe mais raide une fois rejoint la « route ». Ça semble long. Enfin, le haut d’un toit paraît au-dessus d’une croupe encore ensoleillée. Saut délicat pour franchir le torrent (plutôt un « riu »). Dernier raidillon et l’on est devant une bonne bâtisse bien disposée. Surprise : elle est manifestement occupée. La porte est ouverte. Tout bien rangé, des cendres chaudes, un blouson sur une chaise. Du linge sèche dehors sous l’appentis, un sac de couchage s’aère. Au milieu de la neige, au soleil, une chaise... Où est l’homme ? Je monte au-dessus à la petite pointe 1564 où il y a une belle pierre plate. Il est 15h15 et j’ai très faim. L’Escala et le Montagnon d’Iseye sont superbes en contre-jour ; lumières rasantes à longues ombres. (La mienne fait au moins quatre à cinq mètres). Vers 16 heures, il faut penser à la descente. Je referme la porte trouvée ouverte mais je ne rentre pas le sac de couchage. J’aurais dû. Impression bizarre que l’homme invisible n’est pas loin et m’observe. La grande solitude rend imaginatif et un peu parano...
La nuit me prendra vers 18h30 après les cascades. Ma lampe frontale « foire », mais la lune est belle et les appels des chouettes me font un accompagnement musical. Je descends très lentement, bâtons en avant ; les schistes moussus sont aussi dangereux que du verglas. Le clocher de l’église de Laruns sonne 7 heures. Suis maintenant très fatigué...

481ème/. 22 janvier. Avec Jean* et Véronique*. 11h10, cabane du Caillau (1450 mètres). Grand froid. Air lumineux. Neige fraîche poudreuse. Chemin sans traces qui se perd bientôt. Atteignons un collet coté 1834. Descendons trop en allant trop vers l’ouest. Il y a des plaques de glace, heureusement un peu granuleuses. Nous n’avons qu’un seul piolet que Véronique* manie fort bien. Jean* aussi taille souvent. Aboutissons sur la crête à l’ouest du Pic Rouge, cote 2084. (À 14 heures). Vent, froid polaire pas tenable. Suivons la crête vers l’ouest jusqu’à la cote 2031 où nous descendons nord. Jean* fait une chute et se blesse le dessus d’une main. Un peu plus tard, c’est à mon tour de glisser sur le dos sept ou huit mètres. Arrêt sans dommage dans la poudreuse. La cabane de la Cuarde nous attire. Bon casse-croûte au soleil. 15 heures. Il faut repartir plein est pour retrouver le collet (1834 mètres). Traces de fouines, de lièvres et d’hermines. Pour finir, en descendant vers le Caillau, apparition de vingt isards qui traversent un couloir encore ensoleillé, en haut d’un grand cône de déjection sous le pic de la Table de Souperet. Superbe.
(Quelle sottise d’imaginer les herbivores sans énergie et comme ayant moins de courage que les carnivores ! Préjugé raciste fascinant, ici bien démenti).
Ce 22 janvier clôt magnifiquement ce carnet.

INDEX DU TROISIÈME CARNET

*Arlette. (1991, suite ; 22 et 25 juillet). Collègue et amie d’Henri Ferbos au lycée Louis-Barthou, à Pau, installée ensuite dans les Pyrénées-Orientales.
*Jacques Harang, *Monique, *Claude et *Pierrette. (Course 397). Jacques et Monique Harang. Claude et Pierrette Roger, amis palois d’Henri.
*Fourcade. (Course 398). André Fourcade, berger de Gère-Bélesten (64).
*Ollivier. (Courses 398, 448 et 479). Robert Ollivier, le guide.
*Jean. (Courses 399, 400, 404, 405, 406, 412, 434). Jean Ferbos, deuxième fils d’Henri.
*Gilles. (Course 399). Gilles Forrest, ami de la famille Ferbos/Girard.
*Jacques et Monique. (Courses 400, 408, 414, 434). Jacques et Monique Harang, amis palois d’Henri.
*Defos. (Course 401). Xavier Defos du Rau, proche ami d’Henri (voir carnet n°1).
*Jean et *Didier. (Course 401). Jean Ferbos et Didier Léveillé.
*Corinne. (1992 ; 29 janvier). Corinne Barrère, amie d’Henri Ferbos et de ses fils Jean et Paul (voir carnets n°1 et n°2).
*Paul, *Rosane, *Louis, *Laure, *Françoise, *Philippe, *Baptiste. (Course 403). Paul Ferbos, premier fils d’Henri, son épouse Rosane, et leurs deux enfants, Louis et Laure ; Françoise Claverie et son ami Philippe ; Baptiste, fils de Françoise Claverie et de Jean Ferbos.
*Patrice Chevalier. (Courses 405, 434, 471). Ami de Paul et de Jean Ferbos, domicilié à l’époque en vallée d’Aspe.
*Pierre, *Charlotte,*Guérin. (11 juin 1992). Pierre Ferbos, troisième fils d’Henri, et Charlotte, sa mère. Le docteur André Guérin, ami charentais d’Henri Ferbos (voir carnet n°1).
*Isabelle et *Didier ; *Paul, *Rosane, *Louis, *Laure, *Mme Merle. (25 juin 1992). Isabelle et Didier Léveillé ; Paul Ferbos, son épouse Rosane, leurs deux enfants et la belle-mère de Paul.
*Jacques, *Monette et *René. (10 septembre 1992). Jacques Ferbos, frère d’Henri, leur sœur Monette (Raymonde) et le mari de cette dernière.
*Paula. (Courses 409, 464, 474). Paula Caldera-Rufin, amie d’Henri qu’elle accompagna souvent en montagne dans la dernière partie de sa vie.
*Robert Ollivier. (Courses 411 et 448). Guide et auteur de guides portant son nom.
*Corinne. (Courses 411 et 413). Corinne Barrère. (Voir plus haut).
*Janus. (Courses 412 et 479). Surnom de Jean Ferbos.
*Pierre et *Henriette. (14 juillet 1992). Le couple Fougère, les amis charentais d’Henri Ferbos.
*Henriette. (Courses 415 et 417). Henriette Fougère. (Voir ci-dessus).
*Audoubert. (Courses 416, 441, 442, 443, 448, 466, 474 et 479). Pyrénéiste et alpiniste né en 1935 à Cazères-sur-Garonne (31). Ce grimpeur considéré comme l’un des plus doués de sa génération est aussi photographe, cinéaste, conférencier et auteur de guides.
*Pierre Minvielle. (Course 416). Ecrivain palois spécialisé dans les Pyrénées, la montagne et la spéléologie. Il est considéré en France comme le “découvreur” des canyons de la Sierra de Guara et est à l’origine de leur exploration.
*Pierre et Henriette. (Course 417). Le couple Fougère. (Voir plus haut).
*PPDA. (Course 417). Le journaliste et écrivain Patrick Poivre d’Arvor.
*Brulle. (Courses 418 et 429). Né à Libourne (Gironde), en 1854, mort à Chamonix (Haute-Savoie), en 1936, Henri Brulle est considéré comme le “père” du pyrénéisme de difficulté.
*Joanne. (Course 418). Adolphe Joanne, directeur d’une collection de guides touristiques qui prit son nom vers 1860.
*Paul et *Louis. (Course 419). Paul Ferbos (fils d’Henri) et son fils.
*Jacques, Monique et Claude Roger. (Course 420). Jacques et Monique Harang et leur compagnon de montagne.
*Arlette. (2 septembre 1993). Collègue et amie d’Henri. (Voir plus haut).
*René. (Course 421). René Berge, beau-frère d’Henri Ferbos. (Le mari de sa sœur Monette).
*Garissère Jean. (Course 422). Jean Garissère était un berger de Lescun, en vallée d’Aspe. Plus tard, sa famille s’est installée à Lées-Athas. Dans le secteur du lac de Lhurs, plusieurs inscriptions semblables à celle relevée par Henri Ferbos sont lisibles sur des rochers et des dalles. Elles sont le fait de bergers qui ont gravé dans la pierre leur nom et la date de leur passage.
*Jacques. (Course 423). Jacques Harang, qui taquinait Henri Ferbos sur son goût du risque, le jugeant souvent inconsidéré.
*Comte de Bouillé. (Course 424). Le comte Roger de Bouillé (1819-1906), dessinateur, illustrateur, aquarelliste, auteur (sous le pseudonyme de Jam) d’ouvrages relatant ses ascensions. Passionné par la découverte des Pyrénées occidentales dans tous les domaines, il s’installa à Pau en 1865 et explora systématiquement toute la zone entre le pic du midi d’Ossau et le pic de Ger, souvent accompagné de ses trois filles mises en scène dans ses croquis. En 1884-1885, il fut à l’origine de la construction du refuge d’Arrémoulit non loin duquel il s’était aménagé un abri sous roche au-dessus du lac du même nom, au pied du Palas.
*Gina, *Isabelle, *Jacques et *Monique. (Course 425). Gina X, Isabelle Gallais, Jacques et Monique Harang, amis d’Henri.
*Del. (Course 426). Delphine, une amie d’Henri.
*Les “Mots ouverts”. (Course 427). Essai (non publié) d’Henri Ferbos.
*Pierre Fougère et *Henriette. (Jeudi 7 juillet 1994). Le couple d’amis charentais.
*Henriette, *Pierre. (Courses 428, 429 et 430). Voir ci-dessus.
*Georges Véron. (Course 430). Né en 1933 dans la Sarthe où il fut professeur de biologie, Georges Véron tomba un beau jour amoureux des Pyrénées et en fit sa passion. Il termina sa carrière d’enseignant à Tarbes et décéda en 2005 à Bernac-Debat (Hautes-Pyrénées). En 1968, ce grand sportif (il pratiqua le football, l’athlétisme puis le VTT) traversa à pied toute la chaîne de la Méditerranée à l’Atlantique, en 41 étapes, par la haute montagne. Membre du Club alpin français, collaborateur de la Fédération française de randonnée pédestre, conseiller technique de l’association Randonnées pyrénéennes, il participa à la création du GR 10 et publia une trentaine de guides de randonnées.
*Isabelle. (Courses 430, 466, 470). Isabelle Léveillé/Gallais.
*Monique. (Course 430). Monique Harang.
*Jean et *Baptiste. (Courses 431 et 435). Jean Ferbos et son fils.
*Jacques et *Monette. (Course 432 ; 3 septembre 1994). Le frère et la sœur d’Henri Ferbos.
*Janus et *Didier. (Course 434). Jean Ferbos et Didier Léveillé.
*Louis et *Paul. (Course 435). Louis Ferbos et son père.
*Isabelle et Didier. (Course 438). Isabelle et Didier Léveillé.
*Bernard, Nicole*, Louise*. (Course 440). Bernard Girard (gendre d’Henri), Nicole, son épouse (la fille d’Henri) et leur fille Louise.
*Pierre et *Henriette. (4 juillet 1995, puis courses 442, 445, 446, 457, 473). Les Fougère. (Voir plus haut).
*Les Carteaud. (Courses 444, 445, 462, 473). Un autre couple d’amis charentais, comme les Fougère.
*Michel et Michèle. (Courses 445, 473, 474). Le couple Carteaud. (Voir ci-dessus).
*Henriette. *Michel. *Ledormeur. (Course 446). Henriette Fougère. Michel Carteaud. Georges Ledormeur, l’auteur du guide des Pyrénées centrales publié en 1928.
*Michèle. (Courses 446, 473, 474). L’épouse de Michel Carteaud.
*Destivelle. (Course 446). Catherine Destivelle, célèbre alpiniste française considérée comme l’une des meilleures grimpeuses mondiales dans les années 80.
*Baptiste et *Louise. (Course 447). Petit-fils et petite-fille d’Henri Ferbos : le fils de Jean Ferbos et la fille de Nicole Girard.
*Jean et *Pierre. *La sœur de Fanfan. (Course 447). Jean et Pierre, deuxième et troisième fils d’Henri Ferbos. La sœur de Fanfan : la sœur de la compagne de Pierre Ferbos.
*Louis et Paul. (Course 448). Paul Ferbos et son fils.
*Jean. (Course 448). Jean Ferbos, frère de Paul.
*Jean et *Baptiste. (Courses 449, 470, 471). Jean Ferbos et son fils.
*Arlette. (Courses 450 et 464). Collègue et amie d’Henri Ferbos. (Voir plus haut).
*Arlaud. (Course 450). Jean Arlaud. (Voir index du carnet 1).
*Jean. (Course 453). Jean Ferbos, deuxième fils d’Henri.
*Baptiste, *Jean et *Véronique. (Course 456). Baptiste, fils de Jean Ferbos, Jean Ferbos lui-même et sa compagne Véronique.
*Didier. (Courses 457 et 479). Didier Léveillé, ami d’Henri et mari d’Isabelle Gallais.
*Pierre et *Michel. (Courses 461 et 462). Pierre Fougère et Michel Carteaud, les amis charentais.
*Pierre, *Fanfan, *Anouk, *Jean et *Baptiste. (Course 463). Pierre Ferbos, troisième fils d’Henri, sa compagne Fanfan et leur fille Anouk. Jean Ferbos et son fils Baptiste.
*Paula et *Jackie. (Course 464). Paula Caldera-Rufin et Jackie Loubet, deux amies d’Henri.
*Antoine Franceschini. *Jacques. *Denise. *Agnès. *Laurent. *Thomas. *Séverine. *Monette. *René. (Dans la parenthèse qui fait suite à la course 464).
- Antoine Franceschini, un artisan de Santa Reparata (Corse), né en 1925, a notamment sculpté un magnifique Christ en bois dans la chapelle de l’Annunziata ; on lui prêtait des dons de guérisseur.
- Jacques Ferbos, frère d’Henri, et son épouse Denise.
- Agnès, une petite-nièce d’Henri Ferbos et son mari Laurent.
- Thomas, un petit-neveu d’Henri Ferbos.
- Séverine, une autre petite-nièce d’Henri Ferbos.
- Monette (Raymonde), sœur d’Henri Ferbos et son mari René Berge.
*Nancy Benson. (6 septembre 1996 et course 470). Amie américaine d’Henri Ferbos.
*Jean et *Véronique. (Courses 465, 479 et 481). Jean Ferbos et sa compagne.
*Gina, Isabelle*. (Course 470). Gina X et Isabelle Léveillé, amies d’Henri Ferbos.
*Maison Laborde-Berges. (Course 470). L’hôtel-restaurant Le Biscaü, à Gabas (Pyrénées-Atlantiques).
*François et Xavier Defos. (Course 470). Les frères Defos du Rau, proches amis d’Henri Ferbos. (Voir carnet n°1).
*Janus et *Véronique. (Course 471). Jean Ferbos et sa compagne.
*Louis. (Course 471). Le petit-fils d’Henri Ferbos (le fils de Paul).
*Janus, *Baptiste et *Charly. (Course 472). Jean Ferbos, son fils Baptiste et Charly, un camarade de Baptiste.
*Louise. (Course 474). Louise Girard, petite-fille d’Henri Ferbos.
*Eaux-Claires. (Course 475). Site d’escalade en Charente, près d’Angoulême.
*Pierre. (Courses 474 et 475). Pierre Fougère.
*Paul, *Baptiste et *Louis. (Course 476). Paul Ferbos, le premier fils d’Henri ; Baptiste, le fils de Jean, frère cadet de Paul ; Louis, le fils de Paul.
*Christophe et *Olivier. (Course 477). Les deux étudiants rencontrés au sommet du Canigou (voir course 450).
*Jacques, *René, *Monette. (26 août 1997). Jacques Ferbos, frère d’Henri. René Berge, beau-frère d’Henri. Monette (Raymonde), sœur d’Henri et de Jacques, épouse de René Berge.
*Didier. (Course 479). Didier Léveillé.
*Janus. (Course 479). Surnom de Jean Ferbos.

Cet index a été réalisé par Jean-Paul Chaintrier et Jacques Harang avec le concours de la famille et des amis d’Henri Ferbos. Il est interactif. Toute personne susceptible d’y apporter sa contribution est invitée à écrire à la Revue Pyrénées, BP 204, 64002 PAU CEDEX.

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