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Carnet N° 5 (1933 - 1938)
Carnet N° 5 (1933 - 1938)
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Port d’Embalire-Soldeu
Soldeu-port Dret-L’Hospitalet
(4 - 8 juin 1933 ; Pentecôte)
4 juin. Partis de Saint-Gaudens avec maman et Élisabeth, nous déjeunons à Ax entre deux trains et arrivons à Porté-gare à 14 heures, où Martial nous attend. À 14h40, nous quittons le village de Porté pour monter au lac Lanoux par le sentier des ponts et chaussées, pierreux, au milieu des genêts en fleurs. Martial casse son piolet en tapant sur une vipère que j’achève. En continuant à monter, j’en tue trois autres. De loin en loin, nous rencontrons des groupes de pêcheurs qui descendent du lac, puis les femmes Barnale avec un âne et, enfin, le garde. À 17h45, nous atteignons le lac, près de la cabane du pêcheur Barnale, que nous inventorions. Puis, faisant demi-tour, nous allons rive gauche du torrent, à la maison des ponts et chaussées. Elle est absolument vide et ouverte à tout venant. Nous nous attendions à peu de confort, mais à ce point ! Philosophiquement, nous nous mettons à ramasser des branches de pin et des rhododendrons que nous entassons sur le plancher d’une pièce pour faire notre lit. Cinq Catalans qui descendent du Carlit viennent se gîter dans la pièce voisine. Dans la soirée, deux d’entre eux descendent à Porté.
Notre litière préparée, nous dînons et repartons à la corvée de bois de chauffage et de pommes de pins. Vers 22 heures, après une grande flambée, nous nous allongeons sur notre couche sylvestre, tout équipés et recouverts de nos imperméables. Nuit assez agitée et entrecoupée de factions auprès du feu que l’on ranime et que l’on entretient (oh ! scandale !) comme dans la vie de Bohème de Murger. À 4h30, je mets le nez dehors : il vente et il neige. Ce n’est qu’à 8 heures que, malgré le temps bouché, mais à la faveur d’une éclaircie, nous montons droit au nord en direction du Carlit, par une rude grimpette dans les rochers et la neige fraiche. Deux lagopèdes viennent animer un instant le paysage décourageant. Plus haut, nous traversons le déversoir des étangs Fourcat. À hauteur de ces étangs, presqu’invisibles sous la neige, nous faisons une halte à l’abri d’un rocher et essayons de repérer le Carlit. Mais les nuages et la neige qui tombe masquent les crêtes. Nous montons longtemps à flanc dans la direction supposée. (Deux lagopèdes font, sous nos yeux, des allers-retours rapides d’un versant à l’autre.) Nous attaquons un col que nous grignotons patiemment mais, parvenus jusqu’au sommet, le temps se lève et nous constatons que le pic dont nous avions fait notre objectif n’est pas le Carlit mais le Xemeneies.
Casse-croà »te sur un îlot rocheux, puis Martial se détache et part en reconnaissance pour essayer de gagner à flanc le col Carlit. C’est faisable, mais la pente est très raide et quelques passages de rochers sont verglacés. Heureusement, la neige est à point et la « trace  » est confortable.
Non sans peine et fatigue, nous atteignons le col à midi. La vue est libre, sauf sur le sommet du Carlit, toujours caché. Le désert du Carlit, avec ses lacs, produit une curieuse impression. À l’horizon, les Albères sont tronqués. Déjeuner au col puis, à 12h40, ayant renoncé à faire le pic, car il faut que Martial prenne le train à Mont-Louis ce soir, nous descendons sur le versant des Bouillouses par un couloir neigeux très déclive que nous dévalons en toboggans, dont certains désordonnés. En utilisant tous les névés, nous atteignons le premier lac, puis le « désert  » proprement dit. Blocs et arènes granitiques, moutonnements, végétation spéciale : pas de sentier. Rien ne manque à cette « hamada  », pas même un squelette blanchi de cheval !
Par gradins chaotiques encombrés de rhododendrons, nous arrivons à un grand lac (du Llat ?) où nous voyons des pêcheurs de Pamiers et deux cabanes, dont l’une doit être le refuge Baillif. Le temps est maintenant presque beau et chaque fois qu’on se retourne le Carlit nous nargue, mais il ne nous impressionne guère ; il est bien quelconque et on ne le regrette pas comme certaines belles cimes. Après ce lac, nous en remarquons quatre ou cinq autres, fort étendus, puis nous trouvons une série de traces parallèles et enfin un sentier vagabond qui nous promène dans une série de vallons, tourbières, puis dans un bois de pins touffu, et subitement, nous dominons l’immense lac des Bouillouses. C’est le plus vaste que nous ayons jamais vu. Cette superbe nappe, bordée de forêts, avec ses îlots boisés n’offre pas l’aspect de la généralité des lacs des Pyrénées, enchâssés dans une cuvette dénudée ; le lac des Bouillouses a quelque chose de canadien.
À 15 heures, nous traversons la grande digue, pleine de pêcheurs et de promeneurs. Plus loin, un garage d’autos en plein air permet d’apprécier le contingent de promeneurs qui sont venus ici depuis Mont-Louis, ce lundi de Pentecôte. Un café au lait est pris en passant au chalet du T.C.F. Et nous continuons l’étape par le sentier admirablement jalonné de Font-Romeu. Lac de Pradeilles, très pittoresque (il se déverse vers l’Èbre et vers la Têt). Après ce lac, nous entrons en forêt (Bois aux Esprits) mais, parvenus à une partie incendiée et à un terminus de câble transporteur, nous perdons le sentier de Font Romeu et descendons dans un vaste pâturage, en bordure de la Têt. Nous essayons de repartir en forêt vers Font-Romeu, mais il faut faire demi-tour et se résigner à traverser la Têt pour arpenter interminablement le chemin des Bouillouses, très pittoresque. Cette région Mont-Louis – Font-Romeu réunit nos suffrages ; c’est très attirant.
Enfin, à 19h15, (après onze trente de marche), nous arrivons à la gare de Mont-Louis – Cabanasse où nous embarquons Martial vers 20h15. Le temps est froid et maussade, le brouillard baisse, nous faisons irruption à l’Hôtel de la Gare où nous faisons un excellent dîner (15 francs) et où nous couchons (15 francs la chambre).
6 juin. Notre projet était d’aller aujourd’hui au Canigou, mais le temps est aussi mauvais qu’hier et il faut y renoncer. À 8 heures, nous prenons le train jaune de la Cerdagne via Porta, et le retour. Traversée pittoresque de la Cerdagne : col de la Perche, Font-Romeu, Saillagouse, Bourg-Madame, Latour-de-Carol, où l’on change de train. Le temps semble s’arranger ; nous allons essayer une incursion en Andorre. Pour cela, nous descendons du train à Porté et, à 10h45, nous nous présentons à l’Hôtel Michette pour déjeuner (15 francs). Nous en repartons à 12h20, puissamment réconfortés ; aussi, l’ascension du col de Puymaurens est-elle laborieuse par le rude raccourci.
À 13h35, sommet du col. Vue spacieuse mais pas très remarquable sur la vallée de l’Ariège et celle de Font Vive. Par le sentier de la mine de Puymaurens (fer), nous montons insensiblement. À 15h10, nous traversons la mine puis les ravins de Beladra et autres, où le brouillard et la pluie fondent sur nous.
Au pont-frontière de la Casa (poste de douaniers et baraquements rouges de la FYCMSA), il pleut à torrents. On s’abrite dans une forge, on pense à redescendre à L’Hospitalet par la route. Mais l’orage passe, on part aussitôt pour le port d’Embalire. Un veau vient de naître sur la route, pendant l’averse ! Un raccourci rectiligne, donc très raide, recoupe les lacets du col. Le cirque d’Embalire se dévoile ; on aperçoit l’étang de Font Nègre, source de l’Ariège, et quelques cônes élancés, mais ce n’est qu’un court répit. Arrivés au sommet du col (2445 mètres, 17h45) où l’on est surpris de voir une route carrossable, nous avons juste le temps d’apercevoir un peu le val d’Andorre et le cirque des Pessons, source de l’Envalira, et le voile se referme. On rabat les capuchons pour la dixième fois de la journée et il se met à neiger abondamment. Descente en file indienne par le raccourci, jusqu’au bas du col où nous sommes rejoints par deux individus suspects, que nous laissons filer devant.
L’Andorre ne s’est pas faite belle pour nous recevoir ; maintenant il pleut et l’air est vif. Enfin, à 19h20, nous atteignons le misérable village de Soldeu (1865 mètres d’altitude). On nous héberge à la première maison du village, maison typique où l’on rentre par la cour de l’étable. Galeries fleuries d’Å“illets, géraniums, basilics ; chambre à alcôve, cuisine avec ancienne cheminée monumentale, détrônée par une cuisinière. (Écot : 20 francs par personne.) Dîner pas trop mal (truites). À la fin du dîner, entrée inattendue et théâtrale d’un señorita, en peignoir à ramages et cheveux courts, qui vient dîner. Nous sommes fatigués et transis, d’autant plus qu’en attendant l’heure du dîner nous avons circulé, mouillés, dans le village et jusqu’au cimetière ; aussi nous regagnons notre chambre et notre double alcôve à rideaux de dentelles.
7 juin. Pluie implacable. À 8 heures, renonçant au circuit automobile Andorra – Seo d’Urgell – Puigcerdà , nous revêtons les imperméables et partons pour L’Hospitalet par le port Dret ou port d’Andorre. Le chemin s’élève brusquement au-dessus du village. Nous dépassons la dernière borde où nous voyons des moutons étroitement parqués qui ont enduré la pluie toute la nuit, en plein air. Grâce aux poteaux du télégraphe, nous suivons le bon chemin. Il est des plus raides et la montée est fatigante sous les manteaux. Courte halte, adossés à un rocher déchiqueté, puis nous atteignons la limite inférieure de la neige fraîche. Montée d’un vallon rectiligne jusqu’au port (2300 mètres). Il est 10h35 ; nous sommes dans le brouillard et la neige tombe, fine et glacée. En suivant les poteaux, nous descendons très raide jusqu’au riu de Sant Josep que nous suivrons désormais, tantôt sur une rive, tantôt sur l’autre. Rencontre d’un troupeau de moutons et de deux bergers avec leurs éternels parapluies. Plus bas, le riu coule, invisible sous la neige, et la ligne téléphonique est coupée en plusieurs endroits. Toujours la pluie. Enfin, à 11h45, nous arrivons à la limite inférieure des nuages, mais pas pour longtemps, car, après un casse-croà »te où, pris de fringale, je dévore le contenu du sac en commençant par la confiture (!) la pluie recommence à nous harceler et le brouillard à masquer tout le paysage. Sur le sentier, un veau, mort tout récemment, victime du mauvais temps, sans doute.
Enfin, on arrive au confluent avec l’Ariège. Interminables pâturages à vaches de la Soulane où l’on peut choisir son chemin, parmi une vingtaine de sentiers parallèles. Deux cabanes, un affreux chemin pavé, d’interminables murs en pierres sèches, un troupeau, un groupe de pâtres sous leurs immenses parapluies. Nous atteignons le thalweg, l’Ariège bondit et écume. À 14 heures (six heures de Soldeu), nous traversons L’Hospitalet sans arrêt jusqu’à la gare. Après avoir consulté l’indicateur, nous revenons au village pour acheter du pain (boulangerie Not) et consommer trois cafés au lait à l’hôtel du Puymaurens.
À 15h30, le train nous emporte vers Ax et Foix jusqu’où sévit le mauvais temps. À Portet-Saint-Simon (19h45), nous avons le désagrément d’apprendre qu’il n’y a pas de train sur Saint-Gaudens avant 1 heure du matin. Nous allons à l’auberge voisine où nous sommes reçus par un couple rigolo qui nous restaure à la fortune du pot et nous abreuve d’un petit vin blanc chaud redoutable ! (Repas et chambres : 48 francs.) On tombe de sommeil, et ce n’est que le lendemain matin, à 9h30, que nous prenons le train pour Saint-Gaudens, où l’autobus nous promène dans tout le marché avant de nous déposer devant la prison !
(4 - 7 juillet 1933)
4 juillet. Saint-Gaudens, réveil à 4 heures. Départ à 6h35, avec Élisabeth. À Saint-Martory, nous prenons maman. Halte à Castillon au château de Coumes. Nous arrivons au Bocard à 8h15 pour repartir à pied pour Bentaillou à 8h30, avec le jeune Anglade, après avoir mis nos sacs au câble porteur. Par temps beau et chaud, nous montons par Rouge et arrivons à 11 heures à Bentaillou où nous sommes reçus par le cantinier Cazeau. À 15h10, après de longs préparatifs et plan de combat, je pars pour l’Embudo de Liat en compagnie de Cabalé et d’Anglade, qui seront affectés à la surveillance de la Pile d’Arros, et de Prat, porteur du bidon contenant 7 kilos de fluorescéine
Je suis très nerveux et « fauché  » !
Le ciel est chargé de nuages, les sommets sont masqués dans le brouillard. À 17 heures, nous atteignons le port de la Hourquette où Prat fait demi-tour, passant le bidon à Anglade. Halte casse-croà »te jusqu’à 17h35. Le temps reste orageux mais beau et s’arrangera de plus en plus, jusqu’à la nuit. En descendant vers le Liat, j’aperçois un isard dans la zone des entonnoirs, à 1kilomètre. Il fuit à toute allure et disparaît en direction du Tuc de Crabes. Nous l’observons avec l’excellente lorgnette de Cabalé (sa nouvelle acquisition !). À 18h20, sans nous être pressés, puisque nous avons le temps, nous déposons le bidon et les sacs à l’Embudo. De là , nous allons, après quelques photos du gouffre, au déversoir du lac de Liat où je prends un bain à 19 heures. Retour à l’Embudo, dont le débit me paraît être d’environ 200 litres / seconde ; température de l’eau : 17,07°.
À 20 heures précises, Cabalé procède à l’immersion de la fluorescéine, par poignées lentes, au sommet de la cascade de 40 mètres de haut. En dix minutes, le bidon est vide. La coloration est intense, jaune franc dans l’écume, vert jaune dans les bassins. L’absorption se fait assez rapide en deux points situés respectivement à 10 et 20 mètres de la falaise sud. Il y a en ces deux points un petit bassin de quelques mètres carrés, profonds à peine de 0,50 m. Les pertes se font à travers des blocs d’éboulis de la rive droite. Pratiquement, la coloration est terminée à 20h35, mais le vert persiste, de plus en plus atténué, jusqu’à 21 heures où tout est redevenu limpide.
À 21 heures, nous arrivons aux mines de Liat où nous trouvons un gardien peu expansif mais qui nous reçoit bien, nous prêtant une lampe, le bureau pour dîner, nous offrant l’anisette traditionnelle et des lits, paillasses et couvertures dans la maison des ingénieurs où nous allons nous coucher vers 23 heures.
Mercredi 5 juillet. À 4h30, nous quittons notre hôte qui nous a offert le café et l’anis et, par très beau temps, j’amène mes deux porteurs à la Pile d’Arros où nous arrivons à 6 heures. À la même heure, maman et Élisabeth, qui ont couché à Bentaillou, arrivent à Ardan pour y monter la faction (depuis minuit, d’ailleurs, on avait surveillé à la Plagne). Je suis impressionné par le débit, que j’estime à 400 litres. La Pile est à 4,08°, le rio à 6 ,08°. À 7h30, après avoir déjeuné et m’être assuré que la cabane de Coujat est en état, je prends congé de Cabalé et d’Anglade et je fais demi-tour. Je marche fort bien et, malgré une chaleur terrible, je remonte la vallée, traverse l’Ase de Caldéré, la région des laquets (vue splendide sur Luchon et la Maladeta) et j’arrive au Liat à 9h50. Anisette, 12 francs d’étrennes et, à 10h15, je repars. Le gardien m’accompagne jusqu’au treuil du câble dont il me montre le fonctionnement.
À l’Embudo, je prends encore quelques photos. Je m’encombre, bien inutilement, du bidon vide de fluorescéine, et j’entreprends la montée fastidieuse et pénible du port de la Hourquette que j’atteins à 12h30. Je vais à l’est du port, en direction du Tartereau, et là je prends un bain à 7,09°, dans un petit étang herbeux envahi de neige. Puis je déjeune en faisant une séance de nudisme intégral, par un soleil dévorant. À 13h20, je repars par la Coumo deras Crabes, encombrée de neige. Plus bas, je dégringole sur des gazons très pentus, puis j’entreprends une marche à flanc très dangereuse vers Ardan. Bientôt, je dois abandonner le bidon, encombrant et dangereux, et, en m’agrippant des mains et du piolet, je descends des ressauts et des pentes vertigineuses jusqu’au-dessus de la grotte des Édelweiss. De là , mon regard plonge sur la résurgence d’Ardan où j’aperçois Prat en faction, qui a relevé maman et Élisabeth à 11 heures. En descendant, je jette un coup d’Å“il dans la grotte des Édelweiss, encore encombrée de neige et de glace, et j’atteins Ardan (14h15). Ardan : 3,02° ; trou souffleur : 2,07°. Je congédie Prat. J’attends, et, à 16 heures, ne comprenant rien à l’absence prolongée de maman et d’Élisabeth, je pars pour Bentaillou avec un supplément de charge écrasant (un sac bourré, qu’on a laissé là ). Très fatigué, et par une chaleur épouvantable, j’ahane sur le sentier, interminable, en corniche. À 17h30, j’arrive à Bentaillou, d’où un homme (le Ministre) partait pour aller me relayer ! Je retrouve maman, Élisabeth, Tapie, Hernandez, Bronca, Cazeau, Lacourège, etc... Tout le monde discute et suppute.
À la Plagne, la surveillance est assurée pour toute la nuit. Je m’enquiers de quelqu’un qui connaisse la cabane de Coujat pour aller ravitailler Cabalé et Anglade à la Pile d’Arros. Enfin, le berger « le Sourd  », le seul qui connaisse ces régions, s’offre à faire cette liaison. Il partira demain matin, au petit jour, avec Prat. On dîne et, à 22 heures, je me couche dans l’ex-chambre de Catala que je partage avec Élisabeth, tandis que maman occupe la chambre du téléphone.
Jeudi 6 juillet. À 4 heures, Élisabeth et maman se lèvent pour aller prendre la faction d’Ardan. Je me lève à 8h20 et, à 10h50, je pars à mon tour pour Ardan, emportant un sac formidable pour le déjeuner. À 11h55, j’arrive à destination et je trouve « les dames  » en proie au soleil étouffant, sur ce balcon aérien où il n’y a aucune ombre. J’en trouve cependant : une corniche délicieuse au-dessous de la grotte des Édelweiss et, à défaut d’autres distractions, nous faisons bombance (jambon, omelette, escalopes, cornichons, gruyère, gaufrettes, bière).
La journée se passe en visite à la grotte, glacée, où nous enregistrons une soufflerie à 0,08° et le haut du cours souterrain d’Ardan. Puis, un douloureux travail de déblaiement me permet de me faufiler dans une strate, toute proche d’Ardan. À 18h30, nous quittons Ardan, désespérés de ne pas avoir vu la coloration et ne l’attendant plus. En bas, à la Plagne, nous apercevons deux fourmis qui se rendent à leur poste, jusqu’à la relève de minuit. Quelques rares édelweiss, à peine ouverts.
Au Bocard, on n’a aucune nouvelle de la Pile d’Arros mais, à 21 heures, au moment où je suis en conversation téléphonique avec M. Souque, ingénieur à Toulouse, envoyé par M. Crescent, Élisabeth m’apporte la nouvelle : « Cabalé vient d’arriver ; ça a coulé comme du pippermint à la Pile d’Arros, ce matin, à 9h30 !! Il a donc fallu trente-sept heures (deux mètres à la minute). Le problème est résolu ! Je récompense « le Sourd  » et Cabalé et on va se coucher... tristement !
Vendredi 07 juillet. À 8h20, nous quittons Bentaillou, toujours par temps radieux et éclatant. Nous descendons par la Plagne afin de voir au passage la grotte de la Cigalère. L’eau a baissé et reculé, mais il faudra attendre vraisemblablement le mois de septembre avant de pouvoir passer. (Elle est à 48 mètres du cairn.) Depuis les lacets de la forêt, nous suivons la descente de Cabalé, qui va d’Ardan au limnigraphe du Tartereau par un itinéraire d’isard. Dans le vallon de la Plagne, profusion de digitales. Nous arrivons au Bocard vers 11 heures. Catala, Villemain, Sanègre, Tapis, Hulin. Après le déjeuner, nous repartons en auto pour Saint-Martory où nous déposons maman, et nous sommes à Saint-Gaudens à la fin de la journée. (Halte et prélèvement de brèche à Montsaunès. Bain à la Garonne.)
Le problème de l’Embudo est résolu. Celui de l’origine d’Ardan subsiste mais se précise. Il y a encore là matière à une étude passionnante.
Et il y aura des surprises...
Viella-Hospice de Viella.
Hospice de Viella-Beciberi-Caldas de Bohi.
Caldas de Bohi-Lac San Mauricio.
Lac San Mauricio-Salardù.
(8 - 12 aoà »t 1933)
Avec maman, Élisabeth et Martial.
Par train, tram et autobus, nous allons déjeuner à Viella, à l’Hôtel des Pyrénées (5 pesetas). Avant le déjeuner, je vais, avec Martial, acheter des espadrilles et nous baigner dans la Garonne.
À 14h50, sous un soleil de feu, nous prenons le chemin du port de Viella. Très chargés et avec la température qui règne, c’est vraiment pénible. Malgré la chaleur, nous rencontrons des Aranais en train de rentrer le foin sur les épaules. Après avoir dépassé le tunnel Alphonse XIII, on monte en forêt, le long du rio du port. Le sentier s’en écarte et sort de la forêt. Nous persistons à vouloir rester sous bois et nous flottons un certain temps. Mais nous retombons sur le sentier à la lisière supérieure de la forêt. Cabane et, plus loin, palanque sur le rio où nous nous désaltérons goulument. (NDLR : une palanque est une barricade de pieux mais le mot désigne ici une passerelle sommaire.) Après quelques lacets qui nous font dominer le barranco del port, j’aperçois au loin, rive droite, une entrée de grotte vers laquelle je me détache. À flanc, à travers des rhododendrons et des éboulis, je parviens jusqu’à cette grotte dont le plan est curieux.
En sortant de la grotte, Martial me hèle pour me dire qu’il voit, au-dessus, un lac dont le niveau a baissé de 7 à 8 mètres. En effet, en rejoignant le sentier, j’aperçois ce lac qui a baissé bien au-dessous de son seuil de déversoir. Il doit y avoir un soutirage dans son lit. La montée se poursuit lentement, à l’ombre, heureusement. À 20 heures, nous atteignons la fontaine-résurgence du vallon herbeux qui précède le col. À 20h40, nous atteignons enfin le port et nous redescendons aussitôt, car le temps presse. Bientôt, le décor (Féchan, Fourcanade, Monts Maudits) s’estompe, le jour baisse et, non loin du col du Toro, il devient difficile de suivre le sentier. La nuit tombe. Nous dévalons dans des pierriers, le long de mauvaises traces où Élisabeth perd sa veste qui était fixée à la patte de son sac. Toujours en tête, je m’efforce de ne pas perdre le sentier et je signale tous les accidents de terrain pour éviter les chutes à la caravane qui marche dans mes pas. La descente s’éternise, monotone et fatigante. On devine cependant le thalweg et la lune commence à éclairer la région des Moulières. Un feu apparaît, à l’origine du Ribagorzana. Enfin, à 22h20, nous voyons subitement devant nous l’Hospice, où nous sommes reçus par les nouveaux tenanciers. Ce n’est plus le vieux couple de 1929, quand nous descendions des Salenques avec maman, mais des jeunes. Le mari est en costume aragonais et la jeune femme a habité Saint-Gaudens. Malgré l’heure tardive, nous dînons fort bien et dormons de même. (6 pesetas, petits déjeuners compris.)
9 aoà »t. À 5h45, après le café au lait, nous quittons l’Hospice et descendons la vallée jusqu’à 6h20 ; nous traversons la Noguera pour désormais nous engager dans le val de Beciberi. Montée très raide en forêt, heureusement à l’ombre. Puis on passe rive gauche. Lacets nombreux, chaleur et, à 8h20, nous atteignons le replat où s’allonge le beau lac Beciberi.
C’est ici que commence le pays étrange que nous avons voulu connaître et parcourir. Martial étrenne son Vérascope qui nous donnera des vues splendides et de merveilleux souvenirs de cette randonnée. Les truites pullulent dans les eaux limpides. Les pins font des lisières pittoresques à la nappe d’eau, le fond du tableau est raide et déchiqueté. On repart pleins d’entrain et avides de gravir le Beciberi au nom étrange et qui nous dévoilera los Encantados. On remonte la haute vallée du Beciberi en direction d’un deuxième lac où nous arrivons à 9h30, après avoir rencontré des troupeaux de vaches et moutons. Ce lac supérieur est d’une transparence qui invite à la baignade. Sous les yeux stupéfaits de deux jeunes bergers, nous y plongeons avec délice. Il est glacial.
À la halte et à la baignade succède une montée très raide dans les rochers où cascade le torrent qui alimente le lac. Puis nous entrons dans une région chaotique, un affreux désert où sont entassés d’énormes blocs de granit. C’est le chaos le plus considérable que nous ayons vu dans les Pyrénées. La marche est épuisante et la direction à suivre est douteuse. Enfin, on se dirige vers le col d’Abellers, en marchant sur des névés. Devant nous, un isard traverse le vallon sur une plaque de neige et il disparaît dans les escarpements du pic d’Abellers. Sous un rocher, nous trouvons un filet d’eau où on se désaltère avidement et nous repartons pour le col que nous atteignons à 13h50, après une grimpette des plus pénibles, sur un sol mouvant. À 14h15, nous sommes réunis au sommet du Beciberi sud (3030 mètres) après l’escalade facile dans des rochers heureusement stables. La vue est très étendue. Ce qui nous frappe, après le voisinage immédiat du Comaloforno, c’est la profusion des lacs et l’aridité rébarbative de ces montagnes. Le Beciberi lui-même souffre du défaut d’être une crête qui émerge à peine des neiges de son glacier. Il faut faire effort pour se croire à 3000 mètres. Par une petite brèche de cette crête, nous prenons pied sur le « glacier  » et, longeant la muraille du Comalo, nous descendons vers un petit lac. Divers incidents émaillent cette descente : une chute de maman, que j’enraie au bout de 15 mètres ; un toboggan exprès de Martial qui, ayant lâché son piolet, fait une descente désordonnée ; un tandem avec maman, qui subit le même sort. Au petit lac, nous entreprenons la descente d’un couloir avalancheux qui nous dépose dans la plata du rio Malo, descente raide dans rochers et gazons où fuit un isard. À mesure que l’on descend, les difficultés grandissent et les chances d’atteindre le thalweg nous semblent problématiques.
Enfin, Martial, qui explore en avant (avec un soulier ouvert !) trouve une trace d’un troupeau (des plus escarpées) qui nous permet de prendre pied dans la vallée du rio Tor, non loin du lac des Caballeros où Martial prend un bain. Il est 19 heures. Après avoir longé ce lac et traversé son déversoir en marchant dans l’eau, nous nous hâtons, sur le sentier de la rive droite, vers l’établissement de bains de Caldas de Bohi dont nous apercevons les nombreuses lumières dans la nuit. Le sentier est exécrable et on trébuche dans l’obscurité mais, à 20 heures, nous entrons dans la cour de l’établissement, très animé. On nous conduit aussitôt, à la « Direccion  » et, un quart d’heure après, nous sommes installés dans une chambre à deux alcôves, à deux lits. C’est le havre, après une des plus rudes journées que l’on puisse faire aux Pyrénées.
- 9 aoà »t 1933. Esther Casteret (mère de Norbert) au sommet du Beciberri (collection Casteret)
- 10 aoà »t 1933. Halte reposante à l’établissement de bains de Castel de Bohi. (collection Casteret)
La journée n’est cependant pas terminée et c’est avec empressement que nous faisons une entrée remarquée dans la vaste salle à manger, pleine d’Espagnols et d’Espagnoles, élégants et gras. Repas englouti avec une ombre au tableau : la fadeur tiède de l’eau del Bou qui traîne sur toutes les tables, à l’exclusion du vin.
10 aoà »t. Repos à Caldas de Bohi. Le matin, promenade aux différentes sources, arrivée du ravitaillement à dos de mulet, bains dans une vasque d’un petit torrent voisin. Lit de 11 heures à midi. Déjeuner, sieste. Vers 15 heures, je me baigne au Tor, près de l’usine électrique. Visite au docteur et aux étuves naturelles. Dîner servi par un garçon très complaisant, qui a été à l’Hôtel Terminus de Toulouse.
Causette avec le Monsieur-de-Barcelone-qui-a-eu-quatre-enfants !
Office à la chapelle.
11 aoà »t. Réveil à 3h45. Déjeuner froid, servi depuis la veille, dans la chambre. Départ à 4h30, par le sentier rive gauche qui descend vers Bohi. Vallée pittoresque, premières cultures. Au confluent avec la vallée de Saint-Nicolas, nous nous engageons dans cette dernière que nous allons remonter jusqu’au Portarro d’Espot. Granges, sanctuaire de Sant Nicolau, lac de Llebreta (truites), ressaut.
Aigüestortes. Jolis méandres du rio aux rives boisées. Rencontre d’un jeune pêcheur qui opère dans le paradis des pêcheurs. Les truites sont innombrables, et pas farouches. À trois, nous prenons un bain dans ce rio enchanteur (10 heures).
À midi, nous atteignons le lac Llong, au fond de la vallée, dominé par le Portarro d’Espot, dont l’ascension est très pénible, sous la chaleur et la fatigue et en l’absence de sentier visible.
Enfin, à 13h50, nous faisons halte au port. Halte écourtée par une menace d’orage qui nous fait dévaler rapidement vers le lac San Mauricio où nous arrivons à 15h15. Quelques tentes de campeurs, dont un couple d’Allemands charmants. On erre autour du lac, en quête d’un gîte. Nous décidons de coucher par terre, sous bois. Bain. Rencontre du pêcheur Séverin Ramon, qui nous offre sa tanière. On assiste à sa pêche au filet et l’on va à l’abri sous roche où Ramon nous fait frire quelques truites délicieuses. Après quoi, on s’enfile dans les sacs de couchage pour une nuit assez agitée. Couché sur le dos, on aperçoit la voà »te rocheuse, éclairée par la lueur dansante du foyer, et le ciel étoilé. C’est tout à fait magdalénien.
12 aoà »t. À 4h30, on part après s’être équipés dans le noir et sans déjeuner. À 5h10, lac au-dessus de San Mauricio où Ramon et son « caracot  » lèvent un filet placé depuis la veille. Étrennes à Ramon (7 pesetas). Nous continuons, tandis que le pêcheur navigue sur son radeau préhistorique.
Traversée d’un corral avec nombreux moutons. Lac de Llosa d’où nous avons une dernière vision sur les Encantats. Quelques chaos. Aigues de la Ratère. Autre lac. Montée jusqu’au port de la Ratère. (8h45.)
Halte jusqu’à 9h20 face au cirque de Sabourède et aux Pyrénées ariégeoises. Descente sur le cirque de Colomers par le lac Obago. Rencontre de chasseurs qui portent quatre isards. Lac Llong, lac de las Clotès, pseudo lac de Llosa. Rives de l’Ayguarrech (profusion de cairns inutiles). Pâturages nombreux, bain délicieux, chaleur à assommer un bÅ“uf.
Halte café au lait aux bains de Tredos. Salardù, grouillant de Français. On trouve enfin un gîte chez Lareu, près du port de l’Iñola. Bon dîner et bonne nuit.
13 aoà »t. Journée du rapatriement. Impériale de l’autobus de Salardù à Fos, puis tram de Saint-Béat, trains (chaleur pénible), déjeuner au buffet de Montréjeau.
Arrivée à Mourlon où nous constatons les méfaits de la sécheresse.
Lac d’Araing
Maubermé
Grotte de la Cigalère
(22 - 27 aoà »t 1933)
22 aoà »t. Élisabeth nous dépose, Martial et moi, au Bocard d’Eylie. En deux heures trente, nous montons à Bentaillou par Rouge, dans le brouillard. MM. Vennin, Villars, Catala, arrivent peu après, à dos de mulet, par la Plagne. Dîner de gala. Bentaillou est frais repeint, les chambres empestent et on se met de la peinture sur tous les murs. Je couche dans un transatlantique, Martial au bureau.
23 aoà »t. Le brouillard intense d’hier soir a disparu ; il fait un temps superbe. Avec Catala et Villars, nous allons à Ourdouas. Au retour, à Bentaillou, on trouve Crescent, Wurtz, Ribe, Villemin, trois stagiaires, etc.…, et on part aussitôt pour l’étang d’Araing. On visite l’attaque Z du tunnel et on rentre à Bentaillou pour déjeuner. Après le déjeuner, plantureux et très gai, on va visiter les tunnels. Entrés au concasseur de Chichoué, on descend le puits central, on atteint le terminus de l’attaque vers Araing et on sort par la fenêtre 1. Là , nous prenons congé de la caravane qui va descendre au Bocard par Ourdouas et Banquetos et, avec M. Vennin, nous rentrons à Bentaillou. MM. Vennin et Loustau partent à mulet pour le Bocard et nous restons à Bentaillou avec Sanègre, Dubreuil, Hernandès, Gato, Mantefeld. Brouillard très épais, le soir.
24 aoà »t. Avant le jour, je sors et constate qu’il va faire très beau. Une splendide mer de nuages règne assez bas. En hâte, je réveille Martial et, du haut du piton Saint-Jean, nous photographions la mer et assistons au lever du soleil. À 6h30 nous partons pour Ardan où nous arrivons pour casser la croà »te, après avoir fait de nombreuses photographies.
À Ardan, on a commencé à déblayer et à attaquer la falaise. L’équipe d’ouvriers arrive pendant que nous déjeunons. Peu après, nous nous élevons par les pentes très redressées du Tartereau. La température d’Ardan est toujours d’environ 3°. Le débit est encore soutenu. Presque pas d’édelweiss jusqu’à Ardan. Au-delà , il y en a, mais ils cessent après le passage de la brèche. Après ladite brèche, je retrouve le bidon de fluorescéine que j’avais abandonné là le 5 juillet dernier. Le sac à pommes de terre neuf qui l’entourait a été lacéré par les rongeurs. La montée de la coume de Lebos est rude. Au sommet, nous voyons quelques brebis. Nous gagnons l’origine du couloir du Tartereau. Trois faibles résurgences à 1,08° l’alimentent. Nous traversons dans toute sa longueur le haut cirque du Tartereau. Chaos et éboulis, pas de névés si ce n’est quelques lambeaux insignifiants. À un ressaut du cirque (avant le col), on voit un suintement où nous buvons. (Quatre lagopèdes). Laissant le col à droite, nous montons au haut des éboulis pour escalader la crête rocheuse. Arrivés sur la crête, dont l’escalade vient rompre la monotonie du Tartereau, nous entendons une avalanche de pierres sur le Maubermé, Ce sont huit isards que nous avons dérangés et qui se profilent dans le ciel, tout près du sommet.
La crête, avec ses brèches et ses gendarmes, se prête à quelques belles photos. Le temps est très clair, les sommets apparaissent les uns après les autres. La mer de nuages est en partie dissipée. La chaleur est pénible et la soif se fait sentir. À 13h45, nous foulons le sommet aux doubles tourelles. Tour d’horizon, registre, plaquette où nous gravâmes nos noms, le 2 septembre 1932. Le drapeau tricolore de la tourelle est toujours en place. Comme il y a un an, un vautour passe en planant.
À 14h30, nous quittons le sommet et dévalons l’immense éboulis, avec quelques arrêts pour faire des clichés pittoresques de gendarmes. Une dalle qui distille de l’eau goutte à goutte nous arrête un long moment pour boire deux quarts d’eau imprégnée de minerai. Nous arpentons ensuite les gazons desséchés, criblés de sauterelles. Des éperviers chassent les mulots. Halte casse-croà »te à la fontaine de la cabane en ruine. Passage du port de la Hourquette, clôt d’Enfer. À 17h45, nous prenons un bain réparateur dans l’étang de Chichoué, extraordinairement bas et vaseux. À 18h20, nous arrivons à Bentaillou. Le soir, après dîner, Sanègre réussit à réparer le poste de la radio.
25 aoà »t. Le matin, vers 10 heures, malgré un orage, nous allons à Ardan avec Montalibet pour visiter la grotte et décider de tenter une désobstruction. Retour à Bentaillou et déjeuner. De suite après, je descends avec Martial à la grotte de la Cigalère. Il y a moins d’eau que l’an dernier et nous atteignons facilement le siphon. À partir des belles concrétions, nous faisons de longs arrêts pour les besoins de la photo au magnésium et à l’acétylène. Pendant une pause à l’acétylène, à 11 heures, nous sommes très troublés par des coups énigmatiques, frappés par intervalles. Ce phénomène très impressionnant, qui se renouvelle deux fois dans la journée, nous a intrigués au plus haut point. À la réflexion, il doit s’agir des volées tirées dans les tunnels. À 1350 mètres de l’entrée, par un laminoir où souffle un violent courant d’air, on entend le torrent qui cascade. Au terminus, je m’engage à fond dans ce laminoir. Courant d’air très violent à 6° et bruit de torrent. Malgré tous mes efforts, je ne peux forcer ce laminoir trop bas et, d’ailleurs, la trombe éteindrait ma lampe. Demi-tour et exploration de l’embranchement. C’est une dérivation, qui me permet de rejoindre le terminus. À 19h15, nous arrivons au porche d’entrée où nous trouvons trois ouvriers qui s’abritent d’un orage très violent (tempête de vent, pluie et grêle). L’orage passé, nous arrivons à la nuit à Bentaillou où nous dînons avec un groupe de chasseurs d’isards (Dunglas, Ger, Clair et X.…) qui ont subi tout l’orage et s’attablent dans des accoutrements de fortune. Histoires marseillaises et autres, Gaillac, mousseux, etc... On se couche fort tard.
26 aoà »t. À 9h30, nous pénétrons dans la grotte où nous allons passer sept heures. (L’incident des coups de mines ne s’est pas passé hier, mais bien aujourd’hui). Photos interminables. Enfin, nous arrivons au laminoir du terminus. Cette fois, je me suis muni du piolet et d’un morceau de vitrex pour protéger la lampe. Dans une position très pénible, je casse un plancher de stalagmite et je réussis à forcer le passage. Je débouche dans un couloir de 15 mètres au fond duquel, par une ouverture trop étroite, souffle la trombe d’air et s’entend, tout près, le torrent. J’enlève quelques blocs, mais il faudra revenir pour forcer ce passage. Un point important et capital est acquis : j’ai retrouvé le torrent au fond de la grotte. Au retour, j’explore à fond l’affluent qui débouche à 120 mètres de la sortie. Cette galerie fait 145 mètres, et draine deux ruisseaux. Sortis vers 16 heures, nous quittons nos caleçons et défroques et allons déjeuner d’une sardine salée (!) à l’aplomb du câble où glissent les bennes. Descente interminable des lacets. À la Plagne, nous prenons un bain tardif et glacé dans la chambre d’eau de la conduite forcée et nous arrivons au Bocard pour dîner. (Catala, M. et Mme Sartorio, Hubu, Dubreuil, Sanègre.) Nous couchons dans les nouvelles chambres, face au port d’Urets.
27 aoà »t. À 11 heures, apéritif à la gentiane, offert par Sanègre. Déjeuner.
Vers 14 heures, Catala nous descend en auto à Saint-Girons où nous prenons le car de Toulouse jusqu’à Boussens. Deux heures d’attente, que nous passons sur le pont du canal et à l’Hôtel Feuillerat, et, à 20h30, nous débarquons à Saint-Gaudens. Un coup de taxi nous met à Mourlon aussitôt.
(30 décembre 1933 - 2 janvier 1934)
30 décembre. Saint-Gaudens - Prades par le train. Tempête de vent sur le littoral où les étangs sont en furie. À la suite des grands froids, une « banquise  » borde la rive des étangs où se voient des bandes d’oiseaux (canards, foulques). À Prades, je vais chez M. Delfaut, président de la section du C.A.F. Puis, je dîne et couche à l’Hôtel Mallet.
31 décembre. À 6h20, j’assiste à l’arrivée du train qui apporte Martial. À bicyclette, sous la neige, nous allons jusqu’à Taurinya où nous laissons les vélos chez le maire qui nous offre le café et nous prête une petite pelle à la place de la grande que nous avait prêtée M. Delfaut pour dégager la porte du refuge des Cortalets, notre objectif d’aujourd’hui. À 8h06, les skis sur l’épaule et avec nos gros sacs, nous quittons Taurinya par le raccourci qui monte au col de Millères. Tout est sous la neige. À 9h10, après une montée fatigante dans les broussailles, nous débouchons sur la route, au col de Millères, et nous chaussons les skis. Par les lacets, nous montons par grand froid et vent. L’enneigement devient de plus en plus fort et, en arrivant en forêt, il est considérable et splendide.
Lacets et longue marche de flanc en forêt, puis tunnels, Pas de l’Ours, beaux précipices, galerie de mine, enfin baraque de mineur (1,30 m de neige), clairière. De nouveau en forêt, nous voulons raccourcir mais, après des efforts pénibles dans les sapins, il faut revenir au chemin. Neuf lacets terribles, à cause de leur longueur et de la neige profonde. Deuxième clairière. Il a neigé par intermittence, toute la journée. Maintenant il neige et il y a moins de brouillard. Martial ne s’y reconnaît plus et nous nous fourvoyons dans un bas-fond où il nous faut déchausser pour remonter. Il est 17 heures, la nuit va nous surprendre et le refuge est encore très loin. Le demi-tour s’impose jusqu’à la cabane des mineurs. Descente agréable des lacets si durement montés. Martial, qui n’a pas dormi la nuit dernière, est épuisé et s’abat sur un grabat tandis que je m’occupe à faire du feu et un bouillon. Puis on s’organise peu à peu, on met le châlit et une maigre paillasse devant l’âtre, on grignote. Je ramasse du bois et la veillée commence, jusqu’à minuit où on se souhaite la bonne année. Voilà une nuit du 31 décembre au 1er janvier dont on se souviendra. Il y a certainement -10° dans cette vaste baraque et le vin gèle dans mon bidon.
Après une rude nuit de treize heures, recroquevillés sur notre grabat, nous buvons un Kub et, à 9h35, nous partons pour les Cortalets. Épuisé par une dysenterie subite, je fais un gros effort pour arriver au refuge où nous arrivons à 13h15, par très beau temps. Martial se charge de déblayer et d’ouvrir la porte et on allume le poêle, qui fume abondamment à cause de la neige accumulée dans le tuyau. Complètement vidé, je ne peux manger et je fais des chocolats à l’eau. Nous passons la journée assis sur le bat-flanc devant le feu qui, maintenant, ronfle. À la nuit, nous n’avons plus de bougies et je confectionne un calelh avec une mèche de laine et un fond de bouteille d’huile. (NDLR : un calelh est un mot occitan désignant une petite lampe à huile.) De 8 heures à 10 heures du soir, Martial fait une photo du Canigou au clair de lune. Nuit passable.
2 janvier. Réveil à 6h30, départ à 7h10 sous les beaux sapins, sous un clair de lune qui dore la neige. Des coqs de bruyère se laissent prendre au branché. Neige excellente, fin de nuit et crépuscule impressionnants. Lever de soleil sur la mer que l’on découvre, assez confuse.
Dure et longue montée sur neige irrégulière jusqu’à la crête où nous plantons les skis dans la neige. À pied, nous atteignons le pic Joffre, à 10 heures, par grand vent et froid vif. (Lagopèdes, traces de lièvres.) Belle vue sur le massif du Carlit, les Bouillouses, Nohèdes, et sur la vallée de la Têt (Prades, Perpignan). La pointe du Canigou est fortement glacée, l’ascension en est impossible, sans crampons et piolets. Séance de photographie. Demi-tour. On reprend les skis, neige tôlée au début, puis excellente. Nous attendons longuement que le soleil éclaire le plan des Cortalets, aux fins de photos, puis on passe au chalet pour remettre tout en ordre, reprendre nos sacs et déjeuner. À 11h45 on ferme le refuge (écureuils) et la splendide descente commence. À midi vingt-cinq, nous sommes déjà à la maison de Balatg, de glaciale mémoire et, à 14h45, nous déchaussons au col de Millères. Taurinya à 15h10. On ficelle les skis et bâtons sur les vélos et, à 16 heures, nous sommes chez M. Delfaut qui, un moment après, nous accompagne à la gare. À Narbonne, à 21 heures, on se sépare après cette rude et belle course. J’arrive à Toulouse à minuit et à Saint-Gaudens le lendemain, à midi.
- 30 décembre 1933 - 2 janvier 1934. Après une progression épuisante dans une neige profonde (photo de gauche), Norbert et Martial Casteret ont renoncé à aller jusqu’au sommet du Canigou dont l’arête et la pointe étaient verglacées. Ils se sont contentés du pic Joffre : sur la photo de droite, c’est Norbert Casteret qui est au sommet. (collection Casteret)
(21 - 24 mai 1934)
21 mai. À 14h20, nous quittons le Bocard d’Eylie en autochenille, pilotée par Catala. Élisabeth et moi avons emmené Raoul, dont c’est la première ascension en montagne (si l’on excepte une montée à Orédon et au lac de l’Oule (en ?..) La chenille nous dépose au fond du cirque de la Plagne, au bas des lacets. Par très beau temps, pas trop chaud, nous nous mettons en marche à 13h15. À 17h15 exactement, nous entrons dans la grotte de la Cigalère où nous faisons une séance de photos. Grâce aux repères à la céruse de Cabalé, je constate que le niveau de l’eau est à 7,50 m au-dessus de l’étiage ; quelques stalagmites de glace.
À 17h45, on repart pour Bentaillou où nous arrivons à 18h15. Raoul a très bien marché et est très frais. (Montée en deux heure trente, depuis la Plagne.)
22 mai (Lundi de Pentecôte) . Il n’y a personne à Bentaillou et nous dînons seuls, servis par le fidèle Lledo, qui rentre de Pontaut par le port d’Albe. Le matin, nous allons dans les tunnels avec Hernandez : fenêtre 2 ; bas du puits central, réglages vers Araing. Repos et bain de soleil au pic Saint-Jean. À midi, nous déjeunons avec Hernandez, Dubreuil, Lacourrège. L’après-midi, avec Raoul, on va à l’étang de Chichoué, où commence la neige, et aux mines où nous faisons des photos avec l’échelle d’électron. Puis nous montons à 2050 mètres, au pied de la falaise supérieure de Chichoué où nous nous séparons. Élisabeth et Raoul redescendent par le ravin de la mort tandis que je monte jusqu’à la perte du torrent d’Albe. Tout est caché sous la neige et sous une monstrueuse avalanche. Je vais au gouffre Martel ; il est également nivelé et insoupçonnable. Une tourelle de pierres s’est effondrée. Je redescends par un beau toboggan et je retrouve Élisabeth et Raoul en aval du lac Chichoué sur le grand mur dit « voie romaine  ». Vers 18 heures, l’autochenille monte au dernier lacet praticable, tout près de Bentaillou, et dépose MM Catala, Broulhet et Lauriol, tandis que M. Vuillemin arrive par Rouge. Dîner et séance à la salle à manger.
23 mai. Le matin, visite des tunnels de la F.A. à Araing, en descendant le puits central. Retour et sortie par le F2. À Araing, courte halte au lac, entièrement glacé. De la F2, on arrive à Ourdouas, où M. Vuillemin nous quitte, et nous rentrons pour midi à Bentaillou. Raoul a suivi partout comme un rat et en compagnie de nombreux chiens avec lesquels il s’amuse beaucoup.
L’après-midi, après le départ de Catala, Broulhet et Lauriol, nous partons vers Chichoué avec Dubreuil et Zozo. (Note de Gilberte Casteret : Zozo, un affreux toutou à poil ras, tout pelé.) Au plan supérieur de Chichoué, on laisse Raoul seul, au bord d’une mare où il se baigne les pieds, et nous montons jusqu’au gouffre Martel dont nous prenons une photo. Puis Élisabeth redescend vers Raoul, suivie de Zozo, tandis qu’avec Dubreuil nous montons au port d’Albe par l’étang de Flouret (dégelé), et celui d’Albe (glacé). Beaucoup de neige à la montée du port. Du port, nous montons à la Pyramide de Serre où je retrouve mon inscription de 1933. Il y a juste un an, jour pour jour, j’étais monté ici, seul, par tourmente de neige et brume ; il y avait -3°. Aujourd’hui, il y a 19°, mais le brouillard est opaque et ne nous dévoile rien du versant français. Au sud, grâce à quelques éclaircies, on voit les cirques de Sabourède et de Colomers et un peu le Liat. Je trouve dans la tourelle une boite de fer blanc avec le billet suivant : « 23 octobre 1933. Mme Norbert Casteret, seule. Beau temps, neige fraiche, vue complète. Venant de Bentaillou par le port d’Albe  ». Au recto de ce message, je note notre passage avec Dubreuil et nous redescendons.
24 mai. Vers 8h30, nous quittons Bentaillou. Nous passons à Ourdouas, descendons le sentier de chèvres jusqu’à Banquetas, où Raoul est heureux de retrouver son ami Zozo, et nous dégringolons par la tranchée de la future conduite forcée. De Bentaillou, nous descendons en auto jusqu’à Saint-Girons, où nous déjeunons copieusement en face de la gare (après nous être arrêtés à Bénac, chez Mme Vuillemin, et à Engomer, avec MM. Tapie et Sartorio, croisés sur la route). Raoul a marché comme un homme, et tandis que nous emportons des coups de soleil, il est indemne.
(3 juin 1934)
En auto, à la vallée du Lys, avec les familles Contat et de Crozefon.
Après le déjeuner sur l’herbe, nous montons au gouffre d’enfer au complet, y compris Gilberte (3 ans et 8 mois), qui monte et redescend par ses propres moyens, avec une grande aisance ! (Note de Gilberte Casteret : hé ! hé !) Le gouffre est vraiment superbe ; je ne connais rien d’équivalent dans les Pyrénées.
(4 - 6 aoà »t 1934)
En auto, de Saint-Gaudens à Tramezaygues de Loudenvielle où nous arrivons à midi (G. et M. de Sède, Martial et moi). Déjeuner (pâté, melon) au bord de la Neste de Clarabide. Ensuite, le téléphérique nous monte à la Santète, puis à la Soula où nous quittons les de Sède qui redescendent tandis que, ployés sous d’énormes sacs, nous nous mettons en route pour le port de Clarabide, à 14h25.
En quittant la Soula, nous gravissons un contrefort qui nous donne accès dans la haute vallée de Clarabide où coule le torrent issu de la région de Pouchergues et d’Aigüestortes. Éboulis, verrous, minuscule lac, et on atteint le confluent. Un ressaut où cascade l’Aigüestortes, et nous voici dans cette vallée courbe. Au premier affluent de droite, nous grimpons en direction du port de Clarabide. Mais nous atteignons la région des nuages qui nous cachent la crête frontière. À travers de rares éclaircies, nous devinons deux échancrures vers lesquelles nous mettons le cap. Chaos de granit, grimpettes rudes. Replat où paissent quelques brebis. Nouveau chaos cyclopéen et, enfin, la crête, avec deux brèches. Nous choisissons celle de gauche (éboulis) et passons en Espagne. (18h25 ; quatre heures depuis la Soula.) La descente sur Paoules est raide et tapissée d’éboulis. Nous descendons en contemplant le massif des Posets.
À Paoules (19h25, cinq heures après la Soula), Martial se met aussitôt en devoir de pêcher, tandis que je cherche la grotte qui sera notre abri. Je la trouve dans des turons boisés et je l’explore. C’est un boyau de 50 mètres, avec couloir adjacent de 17 mètres. Martial renonce à la pêche ; cuisine et repas près de la grotte, puis veillée devant le porche même. Le site est sévère et assez borné. À l’ouest, le col de Gistain ; au nord, la crête frontière, à laquelle on est adossé ; au sud, la masse des Posets ; à l’est, la vallée d’Estos qui tourne vers Turmo. La nuit est étoilée (étoiles filantes). À 22 heures, nous pénétrons dans la grotte et faisons notre gîte à 15 mètres à l’intérieur. Roulés dans nos duvets, que nous étrennons, nous passons une bonne nuit. Le thermomètre marque 8°. À 3h45, je sors pour voir le temps ; toujours nuit étoilée. On fait un bouillon Kub et, à 5 heures, nous quittons notre original bivouac. Coupant transversalement la vallée d’Estos, nous attaquons aussitôt la vallée de Paoules qui monte au glacier de ce nom. C’est ici le déversoir naturel du versant nord des Posets mais, par un phénomène assez commun en montagne, il n’y coule pas d’eau, car il y a, en amont, un puits d’engouffrement et une dérivation souterraine. Éboulis, cheminée raide, montée sévère, et toujours nos terribles sacs surchargés. Celui de Martial s’orne d’une canne à pêche destinée à nous fournir en truites. Nous sommes écrasés par la paroi verticale d’un contrefort où s’entend le sifflet d’un tichodrome. Le soleil gagne les cimes.
À 7 heures, nous faisons une halte casse-croà »te près du point de perte des eaux du glacier de Paoules, marqué « gouffre  » sur la carte de Schrader. Le gouffre existe à coup sà »r, mais il est invisible, l’absorption des eaux se faisant au travers d’une couche d’éboulis considérable. À cette hauteur, la crête nord des Posets montre une bande calcaire qui explique la disparition des eaux du thalweg au contact schiste-calcaire. Où vont ces eaux ? Probablement à une forte résurgence, entrevue hier dans la vallée d’Estos, en aval de la grotte de Paoules. Par des névés glacés, on monte opiniâtrement vers le grand col de Paoules en défilant tout le long du glacier, peu crevassé.
À 8h45, on atteint ce col où notre itinéraire se précise : il faut gravir le glacier supérieur, assez incliné, ce qui est fort pénible et aveuglant, et choisir la cheminée qui nous mènera vers la crête. La vue s’étend de plus en plus et devient immense. Pour atteindre la cheminée choisie, il faut faire une vire à droite pour éviter la rimaye (10h30). Ensuite, on s’élève sans grande difficulté, malgré les lourdes charges. Martial reçoit une mitraille de pierres. Enfin la crête, mais crête impraticable (11h15). Il faut redescendre un peu, accéder dans une cheminée jumelle, à gauche. Avant d’arriver au sommet de cette deuxième cheminée, on s’en évade par la gauche pour monter dans un terrain relativement facile, encore que l’escalade en soit fort pénible.
À ce moment, cinq alpinistes nous hèlent. Ils sont au col de Paoules et semblent venir du plateau de Baticielles. Longue marche sur la formidable crête des Posets et, à midi dix, nous sommes à la tourelle (3370 mètres), qui abrite deux registres et une boîte aux lettres. Tour d’horizon fantastique, la visibilité étant exceptionnelle. On voit du Montcalm au pic d’Ossau et, au sud, on voit très distinctement l’Ébre, tandis qu’au nord on distingue le plateau de Lannemezan et les plaines du sud-ouest. Déjeuner, photos. Nous suivons du regard la marche, fort lente, de la caravane sur le glacier. À 13h20, au moment où nous quittons le sommet, ils n’ont pas encore attaqué les cheminées.
Par un éboulis croulant qui nous porte, on dévale rapidement. Quelques toboggans, encore plus rapides sur la neige, nous font descendre la Rue Royale, tandis que la dent de Llardana nous captive, et … se transforme à vue en une muraille massive et verticale. À 13h30, nous sommes en bas où coule déjà un joli torrent que nous laissons descendre vers Éristé pour remonter vers le col des Pavots ou celui d’Éristé.
Le soleil fait rage depuis le matin, les sacs nous écrasent et on marche toujours. Après bien des efforts, nous arrivons au col de la crête tant désiré. Déception ! Il donne sur des précipices et nous apercevons au loin le vrai col d’Eristé. Il faut redescendre, marcher à flanc et tirer vers le col d’Éristé. Chemin faisant, nous voyons un grand lac qui se déverse dans un tout petit et ce dernier envoie un émissaire qui se perd dans les cailloux. Martial entend des rochers qui dégringolent et aperçoit quatre isards qui tombent plus qu’ils ne courent du haut de la crête du Fourcau. Le col d’Éristé est en vue et, à 16 heures, nous l’atteignons. À la descente, sept isards traversent le vallon au-dessous de nous et disparaissent dans des escarpements vertigineux de las Espadas.
Quittant le thalweg du col, nous tirons vers la gauche d’où l’on domine un grand lac allongé dans une profonde cuvette. C’est le lac Millar où nous descendons laborieusement à cause des escarpements qui l’entourent (17h10). Pas une truite ! Au déversoir, nous trouvons deux hommes qui travaillent aux fondations d’un barrage ! Une cantine existe plus loin et plus haut, vers les autres lacs Millar que l’on capte également. Cela nous explique les détonations et un moteur entendu quand nous étions au sommet des Posets.
Après un plongeon dans le lac, nous décidons de descendre vers Viados (18 heures). Un très bon sentier, récemment arrangé pour les travaux du lac, nous fait descendre interminablement vers la vallée sous les escarpements extraordinairement plissés de la muraille des Espadas. À19h20, nous stoppons en aval de la passerelle du rio de Millar, dans la zone des prairies et des pins. On confectionne deux bouillons et un chocolat à l’eau, et on repart en quête d’un bivouac propice.
À 21 heures (il y a seize heures que nous avons quitté Paoules), on s’enroule dans les duvets entre quelques touffes de rhododendrons.
6 aoà »t. Après une nuit calme et douce, on quitte le bivouac à 3h30 pour être au confluent des cinquetas d’Aygues Cruces et de la Pez à 6h20. Nous comptons une vingtaine de granges, la plupart abandonnées. On déjeune à la passerelle du confluent où passent une fillette et deux cochons, et nous remontons la cinqueta de la Pez, vallée pyrénéenne type dans toute son interminable longueur. Toujours pas de truites, les eaux étant trop ferrugineuses et magnésiennes. À 8 heures, on aperçoit la molle inflexion du port. À 9h35, le col nous apparaît, défendu par une falaise. À 10h50, on attaque les éboulis sous la falaise. À 11h20, on atteint le bas de l’inquiétante muraille où se trouve une corniche des plus faciles, mais invisible du bas. À 11h40, port et coup de théâtre : le versant français est plus escarpé et beaucoup plus profond. Déjeuner sur la crête du col où le vent fait rage. Au sud, le temps se gâte. À midi trente on part. Il faut redescendre en Espagne pour retrouver le sentier qui descend en lacets serrés et parfois détruits sur le versant français. À 13 h 10, bas de la rude descente et photo d’un pont de neige. Dans la traversée du pâturage encombré d’éboulis nous voyons des vaches et des brebis, les seuls animaux vus depuis le port de Clarabide. Où sont donc les fameux troupeaux espagnols ?
Aux vannes du torrent de la Pez, à l’entrée d’un étroit et profond cañon, la pluie commence. Sentier taillé dans le roc, descente au torrent par cône de déblais du tunnel où passe la conduite forcée. Cueillette de myrtilles. À 15 heures, nous arrivons au câble de la station de Tramezaygues où le chef d’usine, Trébosc, nous fait monter dans une camionnette qui, providentiellement, va à Arreau. L’orage crève et dure jusqu’à Montréjeau. À 19h45, Saint-Gaudens. Autobus jusqu’à l’octroi. À 20h15 nous arrivons à Mourlon, étant partis le matin des granges de Viados...
Très belle tournée, dans un splendide massif. Un point noir : les sacs, beaucoup trop lourds. Nous avions pris trop de vivres ; nous n’en avons pas mangé le quart !
Cigalère
Crabère
(14 - 17 aoà »t 1934)
14 aoà »t. En auto, avec Élisabeth, Édouard, et cinq sacs de matériel, jusqu’à Saint-Girons où nous attend la camionnette de l’U.P.E. Déjeuner au Bocard avec M. et Mme Sartorio, et Tapie. À pied, par la Plagne, nous montons à Bentaillou. Au passage, on entre à la Cigalère qui accuse un niveau de 0,20 m. Bentaillou est désert en cette veille du 15 aoà »t et nous dînons seuls, servis par le fidèle Lledo. Nous occupons la chambre de Montalibet.
15 aoà »t. Nous entrons à la grotte de la Cigalère à 9h45, tous trois, plus Lledo. Nous avons des bottes en caoutchouc, sauf Élisabeth qu’il faut porter aux passages d’eau. Il y a 0,18 m à la perte. On arrive au siphon, puis au laminoir (après avoir déjeuné aux 1300 mètres). Le trou souffleur souffle fort. La remontée jusqu’au pied de la cascade de 10 mètres est assez laborieuse, car l’eau arrive à la limite des bottes. La cascade, très forte, se révèle infranchissable. La perche métallique est toujours là et semble en bon état. Demi-tour. Aux stalactites noires on fait une cueillette, puis au buisson de cristal, et le retour s’effectue sans incident. Le soir, nous dînons encore seuls et la soirée se passe à lire des romans policiers à la lampe à acétylène, car il y a panne d’électricité.
16 aoà »t. À 8h25, nous partons tous quatre, par la fenêtre 1 et le tunnel, pour l’étang d’Araing (9h15). À 10h25, nous faisons une halte au col d’Auréan pour être au Crabère à 11h45. Déjeuner au sommet, face à la Maladetta. Un berger, monté entre Canejan et Crabère, vient faire la causette. On va déposer une carte à la tourelle et on décide de passer à flanc, jusqu’à la brèche entre Lauzès et Albe, pour descendre par les étangs d’Albe, Floret et le gouffre Martel.
On quitte le sommet du Crabère et, dans la première cheminée herbeuse qui se présente, je glisse sur le « gispet  » et dégringole sur 20 mètres, brutalement. (Note de Gilberte Casteret : le gispet est une herbe redoutable parce qu’elle pousse en coussins drus, très glissants.) Je me casse deux ongles de la main droite et me relève avec une entorse au pied droit. Après une longue pause, allongé en plein soleil, je décide de remonter au Crabère pour redescendre par l’itinéraire de la montée. Je remonte la cheminée à cloche-pied et en m’agrippant avec les mains. La descente, interminable, s’effectue en boitant, puis à califourchon sur Lledo enfin assis sur des bâtons que tiennent Lledo et Édouard. Puis, porté tantôt par l’un, tantôt par l’autre, quelquefois en clopinant seul, nous arrivons au tunnel d’Araing. Il est 16 heures. Enfin, on m’installe sur un wagonnet et on me véhicule jusqu’à Bentaillou où nous sommes à 18 heures. Notre programme était de descendre demain au gouffre Martel. Mon entorse change tous les projets. Je me bande le pied après un massage et un bain.
17 aoà »t. Le matin, tandis que je reste à Bentaillou, Élisabeth va à Ardan avec Édouard, Montalibet et Lacourrège. À midi, la table est garnie : Hernandèz, Dubreuil, Bayle et Belzunce. À 13 heures, Cabalé me descend jusqu’à la chenille et nous quittons Bentaillou dans l’autochenille. Lledo descend en courant au-dessus de la Cigalère et nous expédie Zozo, le chien de Sanègre, que nous allons emmener à Mourlon. Au Bocard, Tapie nous prend dans la camionnette avec notre matériel, qui n’a pas servi. Transbordement à Saint-Girons, dans notre auto, et retour à Mourlon à 20 heures, après halte à Saint-Martory. La guigne s’acharne sur moi : après la chute à Labastide, qui m’a abimé l’épaule, me voilà blessé au pied. Quand pourrai-je revenir à la Cigalère et au gouffre Martel ? Cabalé m’a communiqué les niveaux d’eau à la Cigalère. Le maximum a été 58 mètres le 20 mai, le minimum 0,12 m en février et mars. Il résulte de cela qu’à la rigueur je pourrai explorer la Cigalère en hiver. À Ardan, rien de nouveau ; la prospection s’annonce difficile et dangereuse, car la diaclase est peu solide. Le tunnel du gouffre Martel ne sera entrepris qu’après réussite à Ardan.
(21- 22 avril 1935)
En auto, avec Martial, à Fabian. (Messe de Pâques, à 7h30, à Saint-Gaudens.) Départ à pied, skis sur l’épaule, de Fabian, à 11 heures. Skieurs à pied devant nous et derrière. Déjeuner à la première avalanche. Grain et neige. Une dizaine d’avalanches jusqu’à Orédon, où la neige commence vraiment. Installation dans la maison des gardes, puis promenade à ski et quelques descentes au bord du lac qui a baissé de 24 mètres. (Débâcle de glaces.) Dîner et coucher avec Segond, Foury et Chapoulit.
22 avril. Je donne le réveil à 5 heures. On part, tous les cinq, à 6h15. Montée à Aumar, traversée du lac. Puis, on monte vers le col d’Aubert ; on atteint un replat du col d’où nous montons vers le glacier du Néouvielle. Le temps, beau dans l’ensemble, se gâte. Nous montons toujours. Au-delà de la brèche de Chausenque, nous entrons dans le brouillard. On monte encore. Puis, la pente s’accentue, le brouillard augmente. Je suis en tête et remarque des pentes à avalanches. À 11h30, on s’arrête dix minutes pour attendre une éclaircie. Mais le temps devient mauvais et il faut faire demi-tour. La descente est gâchée par le brouillard et le vent, les traces de la montée sont effacées. On croise trois skieurs (dont une dame) qui s’entêtent à monter. Au replat du col, on sort de la brume. Peu après, Martial casse son ski. Heureusement, Foury a une spatule en aluminium. Descente vers Aumar, traversée du plateau sous la neige et grand vent. À Orédon, il neige abondamment. Vu Ledormeur et Piette. Descente sur Fabian. Il neige à flocons énormes et serrés. À Fabian, il neige aussi. Départ de Fabian à 18h15 en auto. Il neige jusqu’à Saint-Lary (un 22 avril !) Ensuite il pleut, et tempête de vent jusqu’à Mourlon. Il a neigé sur toute la chaîne.
Sortie en partie gâchée et écourtée par le mauvais temps.
Martial regagne Sète en auto (650 kilomètres de route, aller et retour, 800 kilomètres avec Fabian).
Araing
(25 avril 1935)
Par pluie battante, en auto, au Bocard à 7 heures. (Élisabeth, Raoul et Marcelle Azéma). Au Bocard, nous montons, avec Montalibet, dans l’autochenille. À partir de la Plagne, il neige. La montée en forêt est très pittoresque avec la neige fraîche. Un peu avant la Cigalère, il faut descendre de l’auto et poursuivre à pied, dans la neige épaisse et molle. Vers 9h30, nous arrivons à Bentaillou, assez mouillés. Après séance de séchage et café au lait, nous allons au lac d’Araing par le tunnel. Le temps s’est mis au beau : soleil splendide, enneigement considérable. À midi, nous déjeunons à Bentaillou et, de suite après, en route pour la Serre d’Araing que nous atteignons assez péniblement à cause de la neige qui ne porte pas. Au retour à Bentaillou, nous trouvons Cabalet qui fait du ski. Enfin, on quitte Bentaillou et nous reprenons la chenille à la Cigalère. Au Bocard il pleut un peu, à Figarol et Saint-Gaudens, déluge.
(12 juin - 1er juillet 1935)
12 juin. En auto, en famille, chez M. Dauzère. Puis à Artigues où nous allons à la cascade de Garet. Au retour, on me dépose à Gripp où je dîne et couche (Hôtel Brau).
13 juin. Réveil à 4 heures. Départ à 4h30 avec le porteur Ferdinand Cazaux. Nous stoppons au dépôt à 5h05. À 5h50, nous passons le pont d’Arizes. Halte casse-croà »te à la cabane de la Roche Fendue, de 6h40 à 7h15. La neige commence ici. Bas du câble à 8 heures. Observatoire 9h45 (cinq heures quinze à la montée). L’observatoire est habité par Carmouze, 58 ans, et Fourcade, 25 ans. Je vois la nouvelle route de l’hostellerie des Laquets. Temps superbe, tour d’horizon, sommet du Pic. Je passe la journée à regarder le panorama et à écrire mon second livre. Je prends les repas à la cuisine, avec le personnel, et j’occupe la chambre du général de Nansouty. Coucher à 22h15. Il y a 3,10 m de neige sur la terrasse.
14 juin. Lever 4h40. Lever du soleil. (Vu la tour d’Ausseing et la Montagne Noire.) Ecritures, lecture, observations météorologiques trihoraires. Flânerie sur la terrasse à l’affà »t des vautours, travail, lecture.
À 18heures, crête nord du Pic avec Fourcade à la recherche de fulgurites. Temps nuageux, mer de brouillard à 2000 mètres. À 22 heures, il neige. Vers minuit, chute de la foudre, à trois reprises, sur l’observatoire. Le téléphone est grillé à 4 mètres de moi.
15 juin. Brouillard et verglas toute la journée. Minima : -4, maxima : 0°. Travail au bureau. (J’achève « l’Histoire d’une goutte d’eau  ».) Menace de rhume enrayée. Coucher 22 heures.
16 juin. Lever 5 heures. Tour d’horizon, lever du soleil, mer de nuages, travail. À 9h15, arrivée des porteurs et du courrier (Théodore Cazaux et Jean-Marie Brau). Déjeuner à 11 heures. À 15 heures, départ des porteurs avec Fourcade qui va essayer d’arranger le téléphone coupé par la foudre. Mauvaise journée de travail. À 16 heures, je vais faire un tour sur la crête est. Dîner avec Carmouze. Veillée jusqu’à 23 heures.
17 juin. Lever 6h40. À 9 heures, Fourcade apparaît à Sencours. (Avalanche sur le lac d’Oncet.) Travail au bureau et observations. Montée au pylône de TSF (25 mètres). Coucher du soleil magnifique au sommet du Pic. Coucher 23 heures.
- Observatoire du pic du Midi de Bigorre, 17 juin 1935. Norbert Casteret aimait grimper au sommet du pylône de TSF, haut de 25 mètres. (collection Casteret)
18 juin . Lever 6h30. Très beau temps. Vu le bois de Mourlon à la longue-vue. À 9h30, arrivée du mécanicien de Luz et de François Vignole (le champion de ski de Barèges). Travail sur la terrasse nord, montée au pylône, travail dedans. Splendide coucher de soleil. Coucher 22h30.
19 juin . Lever 7 heures. Arrivée de M. et Mme Duluc. Un avion passe au nord. On entre chez Garrigue. Travail et bain de soleil. Debout sur le pylône. Partie habituelle avec la chienne Fifi. Déjeuner et dîner à la salle à manger. Vignole fait un peu de ski. Veillée, belote. Coucher 22h15.
20 juin . Lever 6h30. Flânerie sur la terrasse. À 10 heures, départ de M. et Mme Duluc. Montée de six touristes aux Laquets. Pylône, debout. Après déjeuner, départ de Vignole et du mécanicien. L’électricité est réparée. Travail du manuscrit en plein soleil, sur la terrasse. Promenade avec le chien et le chat. Après dîner, avec Carmouze et Fourcade, au Pic, pour le coucher du soleil. Coucher 22h30.
21 juin . Lever 5h30. Terrasse. À 8 heures, deux touristes en vue, que je prends pour Martial et Élisabeth. Je me précipite avec une bouteille de café chaud. Mais je me suis trompé ! Je remonte par le câble. Travail, terrasse, pylône. Après déjeuner, j’écris à la terrasse. Descente interminable du couple des Laquets. Vu Mourlon. Coucher du soleil au sommet du Pic (le plus long jour de l’année).
À 21h30, vu deux phares de l’océan, dont celui de Biarritz.
22 juin . Lever 6h20. La neige fond beaucoup, même la nuit. À 8h30, trois touristes à Sencours, dont deux femmes nudistes ! Coup de soleil (migraine). Travail au bureau. Pylône. Lancement de roches jusqu’à la coume du Pic. Visite à la « Villa Garrigue  ». Bombardement avec roches. Les premiers moutons, venus du Tourmalet, apparaissent. Coucher 22heures.
23 juin . Lever 5h10. À 5h30, arrivée de deux Autrichiens qui ont couché aux cabanes de Tramezaïgues. Je hisse le drapeau au pylône (debout). Terrasse. Bureau. Affà »t aux vautours. Orage sur la chaîne.
24 juin . Je descends de bonne heure jusqu’à Pène Blanque, avec Fifi, pour attendre Élisabeth. Vers 8 heures, je remonte par la crête est, en cherchant des grottes. Passages délicats. Élisabeth ne viendra pas ce jour-là .
25 juin . Vers 9 heures, arrivée d’Élisabeth avec Ferdinand Cazaux, sous la pluie et le vent. Après déjeuner, départ de Cazaux. Sommet du Pic (vent). Je descends le drapeau du pylône. Bibliothèque et terrasse avec couvertures, tant il fait froid. Nous couchons dans la chambre de M. Dauzère où il manque la fenêtre du sud. Tempête de vent toute la nuit.
26 juin . Terrasse, bibliothèque. Fourcade descend. Je monte à la coupole avec Élisabeth. Toujours grand vent, surtout la nuit, où il rugit dans la chambre.
27 juin . Fourcade arrive à 9 heures du matin. Il repart à 13 heures avec Élisabeth. À 15h05, en allant au blockhaus météorologique, je les vois un instant descendre le Tourmalet en moto. Promenade à la crête ouest, Hôtel des Laquets. Au retour je suis surpris par la pluie ; à peine rentré, violent orage, chutes de la foudre sur les paratonnerres, forte grêle. Dîner seul avec Carmouze. L’orage sévit maintenant sur la plaine où j’observe sa marche.
28 juin . Vingt-quatre ouvriers viennent travailler à la route de Sencours. Carmouze descend à midi. Je reste seul. À 19 heures, tandis que je suis au Pic, j’aperçois Fourcade qui arrive péniblement, en poussant sa moto, à Sencours.
À 20 heures, Fourcade arrive. À 21 heures, au Pic, vu les lueurs de Pau.
29 juin . Deux touristes (homme et femme) tentent de monter au Pic mais font demi-tour. Ils restent à Sencours et y couchent. À 22 heures, alors que nous sommes à la bibliothèque avec Fourcade, Théodore Cazaux fait irruption avec le ravitaillement.
30 juin . De nombreux touristes viennent à Sencours et plusieurs tentent l’ascension du Pic. Deux réussissent, mais une dame fait une chute terrible et se blesse à la tête et au visage. Fourcade descend à leur secours avec de quoi faire un pansement. Monté plusieurs fois au Pic et crête nord. Fourcade tire un chocard. À la nuit, nous faisons partir une fusée.
1er juillet . Je pars à 6 heures du matin par les Laquets, Sencours et le Tourmalet, que je descends dans le brouillard. Gripp à 10 heures où je trouve Garrigue et Devaux. À 11 heures, Élisabeth arrive en auto avec Gilberte et Mme Artigue. Déjeuner tous ensemble et retour à Saint-Gaudens avec arrêt chez M. Dauzère.
Très satisfait de mon séjour de dix-huit jours à 2860 mètres d’altitude, face à la chaîne enneigée que j’ai admirée à toute heure. Heureux aussi d’avoir écrit les chapitres de mon second livre. Excellente impression de Carmouze et Fourcade, charmants compagnons.
Document annexe, hors Carnets. Dans le prolongement de son séjour au pic du Midi en 1935, relaté ci-dessus, Norbert Casteret a publié, avant la guerre, dans la revue Match (devenue Paris-Match en 1949) l’article suivant intitulé : « Dans les neiges éternelles. La vie de ceux qui observent au pic du Midi  »Â« L’observatoire du pic du Midi de Bigorre, perché à 2860 mètres, est, de beaucoup, l’habitation la plus élevée de France. Son altitude et sa situation exceptionnelles attirent, en été, de nombreux savants, d’innombrables touristes. Mais cette période d’activité est de courte durée : du 10 juillet à la fin septembre. Alors, toutes les provisions (combustibles, vivres etc.…), sont hâtivement montées à dos de mulet.
« Théories de touristes et caravanes de mulets porteurs se croisent et se dépassent sur les flancs de la montagne ; mais dès la fin du mois de septembre, les tourmentes de neige et de brouillard succèdent sans transition au bref été.
« Le personnel de l’observatoire se réduit alors à son effectif d’hiver : deux observateurs et un cuisinier qui mènent une existence des plus rudes, vivant neuf mois par an dans la neige ou sous la neige.
« Ces ermites de la science ne voient plus de visage humain que de loin en loin, quand de courageux et d’énergiques porteurs réussissent l’ascension à skis, chargés de quelques kilos de viande, de légumes frais et de lettres.
« L’observatoire est pourvu du téléphone et de la T.S.F., mais, à cette altitude, les avalanches continuelles, les tempêtes et les blizzards sont si violents qu’aucune installation ne peut y résister et les observateurs restent isolés du monde.
« Observations météorologiques périodiques (toutes les trois heures), consultation de nombreux appareils occupent les heures. De plus, les observateurs se livrent à des recherches, des expériences et des études personnelles qui occupent la monotonie de leur solitude.
« La terrasse de l’observatoire mesure 100 mètres de long sur 25 mètres de large. Tout autour, c’est le vide des précipices. On ne conçoit pas que les habitants de ce nid d’aigle puissent être des sportifs à leur manière.
« Le sport pratiqué au pic du Midi est spécial, mais c’est l’un des plus rudes qui soient : la lutte continuelle contre l’ensevelissement sous la neige.
« Bien que la terrasse de l’observatoire soit exposée au vent presque perpétuel des cimes, la neige y atteint chaque année cinq à six mètres d’épaisseur. C’est contre cet ensevelissement qu’il faut lutter sans relâche, sous peine d’être emmuré et de vivre dans l’obscurité permanente.
« À la pioche et à la pelle, on entretient tant bien que mal de profondes tranchées en face des portes et des fenêtres ; mais vienne une tourmente de neige ou un coup de vent, aussitôt les tranchées se comblent et le travail est à refaire.
« Le tonneau des Danaïdes ne pouvait jamais se remplir ; ici, ce sont les tranchées qu’on ne peut jamais vider ! Or, nous l’avons dit plus haut, l’essoufflement et la lassitude obligent à travailler au ralenti et avec de fréquents repos.
« Si les trois habitants de l’observatoire n’étaient pas des athlètes, ils ne pourraient pas endurer les froids extraordinaires auxquels ils sont exposés, froids rendus intolérables par la violence du vent. Ils ne pourraient s’acclimater à l’altitude et à la raréfaction de l’air qui rend tout exercice pénible (là -haut, le thé n’est jamais réussi, l’eau bouillant à 92° !)
« En outre, il faut être doué d’une excellente santé et d’un organisme sans tare pour s’accommoder des mois entiers d’une alimentation à base de conserves. Enfin, il faut être alpiniste et skieur consommé pour descendre du Pic et y remonter lors du congé.
« Pour si paradoxal que cela puisse paraître, cet observatoire si élevé ressemble beaucoup à un navire. La terrasse, bordée d’un bastingage, en a les dimensions et la forme ; deux pylônes de 25 mètres de haut simulent les mâts ; un blockhaus, la passerelle du commandant. Comme un navire, l’observatoire est souvent perdu dans le brouillard ; souvent aussi, il émerge d’une mer de nuages, océan aérien grandiose.
« À l’intérieur, la ressemblance s’accentue : couloirs étroits, escaliers en colimaçon, cabines et couchettes exigües, cabines de TSF, soute à charbon, cambuse, citerne à neige fondue, four à cuire le pain. Enfin, pour être complet, mentionnons le livre de bord où sont mentionnés les observations trihoraires, les phénomènes atmosphériques, les incidents et évènements remarquables. Comme sur les navires, il y a toujours quelqu’un de quart, ce qui est particulièrement assujettissant quand on est deux !
« À minuit, alors que tant de gens dorment ou prennent paisiblement leur manteau aux vestiaires des théâtres ou des cinémas, l’observateur du Pic saute hors de sa couchette, parcourt le couloir souterrain qui communique avec le blockhaus sur lequel se trouvent, en plein vent, appareils et instruments. Dix mètres avant d’arriver à la porte, les murs et les marches de l’escalier sont tapissés de cristaux de givre. D’un coup d’épaule, souvent à l’aide de la fesse, l’observateur ouvre la porte ; lampe électrique à la main, il consulte les appareils, note les indications. Presque toujours, il faut gratter le manchon de glace qui recouvre les instruments. Ensuite, un tour d’horizon pour examiner l’état du ciel, la direction du vent ; l’observateur grelottant regagne sa cellule.
« A trois heures, le réveille-matin sonne les matines : l’observateur, vrai cistercien de la science, enfile ses galoches, sa pelisse, va faire sa ronde, enregistre des températures arctiques, inconnues de l’homme des plaines.
« Enfin, à 6 heures, alors que nous dormons tous encore, la porte du blockhaus s’ouvre. Sous la tempête de vent ou de neige, dans le froid noir ou la splendeur de nuits où scintillent les phares de Biarritz ou celui de l’aérodrome de Toulouse, sous des clairs de lune magiques ou des aubes livides, l’ombre falote de l’observateur apparaît, va, vient, vire, se penche, repart. Obstinément, il fait son devoir, tous les jours, toutes les nuits, durant des mois et des années.
« Conçue dès 1775 par le physicien Darcet, l’idée de cet observatoire fut reprise à diverses époques ; mais ce n’est qu’en 1881 que la construction en fut réalisée, grâce à l’initiative, au dévouement et à la ténacité des fondateurs : le général de Nansouty et l’ingénieur Vaussenat.
« Le général de Nansouty vécut onze ans, hiver comme été, sur le pc du Midi, dans des conditions très précaires et périlleuses ; quant à l’ingénieur Vaussenat, devenu directeur de l’observatoire, il continua à s’y dépenser corps et âme, à tel point qu’il mourut à la tâche, en plein hiver de 1892. On n’eut que le temps de le descendre sur une chaise à porteurs improvisée, au prix de mille difficultés, dans la neige épaisse. Il expira quelques jours après. De tels sacrifices ne pouvaient rester stériles.Norbert Casteret
(8 juillet 1935)
En auto au Bocard, avec Élisabeth, Raoul, l’abbé Ducasse et Mme Artigue (après messe à 4 heures du matin). À 7 heures, nous montons dans l’autochenille avec Montalibet. Sitôt à Bentaillou, nous montons vers Chichoué et le gouffre Martel. (Premières neiges.) Puis à l’étang d’Albe où je me détache, avec Ducasse, pour monter au port d’Albe (névé très penté) et à la Pyramide de Serre. Descente à Bentaillou, visite au puits central et à la cimenteuse de la fenêtre 1. On repart en chenille et on rentre à Saint-Gaudens à minuit (ayant dîné au Bocard avec Catala et Tapie).
(22 - 24 juillet 1935)
Avec Jean Dèze, sa sœur Mme Austry, Louis Dastre.
22 juillet. Départ de Castel-Gérac, en Hotchkiss, à 7 heures. Arrivés de bonne heure à Lèz, nous devons attendre l’heure d’ouverture de la douane (10h10). Causette avec Felipe Boya. Port de la Bonaigue, 11h10 ; Esterri, 12 heures ; Espot, 12h30. (Quatre heures vingt de Lèz.) Il faut attendre longtemps l’heure tardive du déjeuner à l’hôtel, qui est bien garni.
Départ, 15h30. Rencontré Séverin Ramon, le pêcheur de San Mauricio. Chaleur accablante. Lac San Mauricio, 18h30. Tour du lac et des tentes. Dîner au bord du torrent ; coucher dans l’abri sous roche de Ramon. Nuit douce.
23 juillet. Départ 6 heures. Remontée de la vallée de Monestero, sous les Encantats. Lac à 7h20 ; casse-croà »te. Fond de la vallée. Grimpette pénible dans les éboulis ; on cherche vainement le lac supérieur indiqué par Soubiron. (Il n’existe pas.) On laisse les sacs sous un rocher et en route pour le col de la Peguera. Du col, vue sur de petits lacs dans le granit. On monte toujours : quelques dalles, un couloir, cheminée, crête, sommet à 11h40. Déjeuner. On domine tous les lacs captés de Capdella. Beau panorama. À 12h15, on repart. On repasse au col, aux sacs ; on rejoint le thalweg et on quitte la vallée pour monter au col de Monestero. Montée pénible, surtout pour Mme Austry dont nous soulageons le sac. Arrivés au col, on renonce à atteindre la pleta de los Gavachos par le col de Subenulls et l’estan Long, et on descend la vallée (très belle mais fatigante), jusqu’au lac de San Mauricio, où nous sommes à 20 heures. Dîner au bord de l’eau, et, à 21h10, à la tombée de la nuit, nous traversons le déversoir et nous nous hâtons sur le chemin d’Espot grâce à ma lampe électrique. Descente éreintante et interminable. Espot à minuit. (On a marché depuis 6 heures du matin !) Après avoir bu, on va se coucher. Orage violent vers 1 heure du matin.
24 juillet. À 7h30, l’auto de l’hôtel nous descend à Esterri où nous prenons l’autobus à 9 heures. Arrêt à Viella, de 11 heures à 12h30, pour déjeuner à l’Hôtel Royer. (Repas, 5 pesetas, comme à Espot.) Fos à 17h20 où l’Hotchkiss de M. Dastre vient nous prendre. Arrivé à Mourlon, M. Loiseau vient m’aviser qu’il me prendra le lendemain matin, à 6 heures, pour aller à Bentaillou.
Ardan
(25 juillet 1935)
Arrivés à 8 heures à Bentaillou, en chenille, après être venus de Saint-Gaudens en 201 (en une heure neuf minutes) avec M. Loiseau ; ai fait un tour dans les tunnels et, après le déjeuner, on se rend en caravane à Ardan : Catala, Montalibet, Loiseau, famille Parisot. Pluie et brouillard. On laisse Mme Parisot et ses deux enfants à la fenêtre C.
À Ardan, rien de nouveau. À la grotte des Édelweiss, la cheminée principale s’est déchargée de ses pierrailles et donne passage à un courant d’air. Retour à Bentaillou ; dîner au Bocard. Retour à Mourlon à minuit et demi, avec Loiseau.
(31 juillet 1935)
En auto à Fabian avec Élisabeth, Maud, Gilberte, Mme Artigue et Montécat. (Raoul passe tout le mois d’aoà »t à Hossegor, en colonie de vacances.)
À 10 heures du soir, je rentre à Mourlon, ayant laissé Élisabeth et les filles à Fabian pour dix jours. À Fabian, nous avons fait l’ascension d’un piton qui domine le confluent de Fabian.
Ardan
Cigalère
Puits de l’Aspre
(1er - 04 aoà »t 1935)
1er aoà »t. Mourlon, Chein-Dessus, col de Portet, Bocard où je couche.
2 aoà »t. En chenille à Bentaillou, et de suite à Ardan où je vais avec Castélar faire partir un pétard à la grotte des Édelweiss. Le soir, brouillard et pluie ; je vais jusqu’à Ourdouas avec Cabalet. Puis aux effondrements de Chichoué et dans une petite grotte où je lis longuement le livre le plus vil qui soit : Clochemerle.
3 aoà »t. Malgré le brouillard, je pars avec Montalibet et Halçaren pour le Maubermé. Au port de la Hourquette, nous faisons demi-tour car il fait très mauvais. Dans l’après-midi, je vais, avec Halçaren à la grotte de la Cigalère, jusqu’aux 1000 mètres. À la sortie de la grotte, je suis cueilli par la chenille qui me dépose au Bocard où je couche.
4 aoà »t. Je pars à 8 heures, en suivant le câble du Mail de Bulard. J’atteins l’éperon de la crête du Cagonille à 10h30, où je déjeune et stoppe jusqu’à midi. Un troupeau de moutons, parti de la cabane de l’Aspe, s’est propagé rapidement sur tout le versant que je vais prospecter, à la recherche de puits. (J’en ai déjà repéré un où s’est enfourné un chocard.) À flanc, à la limite du brouillard, puis dans le brouillard, je cherche des puits et en trouve, grâce aux chocards qui s’y engouffrent. Beau puits à deux orifices, bouché par la neige à 20 mètres, près d’un sondage de mine. Résurgence ouverte mais impénétrable au bout de quelques mètres. Je vais au premier puits repéré : puits du Sureau. J’y assiste aux allées et venues des chocards non effarouchés qui y nichent à 20 mètres de profondeur. Je flâne et cherche, puis je descends vers la résurgence du Mount Her, qui est forte mais impénétrable. Au-dessous, je surprends un isard isolé en pleine forêt. Marche en balcon sur très pittoresque sentier et descente sur le Bocard où je dîne.
À 21 heures, je pars en auto avec Lacourrège que je dépose à Saint-Girons. (Alerte de gendarmes à Castillon et à Prat.) Mourlon à minuit.
5 aoà »t. Battages à Mourlon.
Araing
Martel
Cigalère
Maubermé
(06 - 09 aoà »t 1935)
6 aoà »t. Mourlon, 4h30. Saint-Martory où je prends maman. Bocard, 6h30. En chenille à Bentaillou avec maman, Montalibet et Lacourrège. De suite au lac d’Araing par les tunnels. L’après-midi à Ardan où je m’aperçois que le tunnel retourne et où maman fait d’intéressantes constatations à la baguette, en présence de Dubreuil et d’Halçaren.
7 aoà »t. Le matin, avec maman, à la perte du Floret et puits Martel (séance de baguette et pendule). Le soir, visite détaillée de cinq heures à la Cigalère (photos au magnésium, cueillettes de concrétions vertes. De 14 à 19 heures.
8 aoà »t. À 8h45, départ pour le Maubermé avec maman, Montalibet et Halçaren. Port de la Hourquette, marche de flans vers le Maubermé, quelques grains. À la base de l’éboulis, halte casse-croà »te. (Grain violent ; Halçaren a vu dix-huit isards.) Ascension de l’éboulis, tornade de vent et pluie d’une rare violence. Nous devons nous coller au rocher et attendre. Le vent faiblit, et nous continuons. À 15 heures, sommet ; très belle vue. Descente par éboulis, passage du col supérieur (petite grotte). Lac de Montolieu. Port d’Urets. Vent intolérable jusque-là . Descente interminable du port. Bocard à 10 heures.
9 aoà »t. Bocard, 13h30. Fabian, 18 heures (en auto, avec court arrêt chez M. Ducasse). On couche chez don Carlos.
10 aoà »t. Fabian – Tramezaïgues en auto. Tramezaïgues, 8 heures. Hospice de Rioumajou, 10h45, après avoir croisé Maud et Gilberte dans un tombereau, avec Mme Lécuyer. Nous déjeunons, avec maman, à l’hospice, puis Élisabeth, Mme Artigue et Mme Lécuyer arrivent du port d’Ourdouas. On descend tous ensemble à Tramezaïgues et on dîne à Fabian. À 23 heures, nous sommes tous les cinq à Mourlon.
Durant leur séjour à Fabian, Élisabeth, Maud et Gilberte ont été aux granges de Moudang. Vallée de Rioumajou très belle, fond de la vallée quelconque.
(18 - 20 aoà »t 1935)
18 aoà »t. Le lendemain de ma conférence à Barbazan, nous partons en Fiat (Élisabeth, Martial et moi) pour Gèdre où nous sommes à 14 heures. Aussitôt, sous la pluie, nous partons pour Héas avec un boy-scout rencontré. La pluie cesse ; on croise une cinquantaine de scouts et de nombreux promeneurs et on atteint Héas après s’être gavés de framboises. Dîner et coucher à l’Hôtellerie de la Munia, chez Chapelle.
19 aoà »t. Réveil, 3 heures. Départ, 4h05. Clair de lune. Longue montée par le sentier de Touyères. Seuil du cirque à 6 heures. On se dirige vers les « Deux sÅ“urs  » à travers des mamelons accidentés. La traversée d’un éboulis où tombe une cascade issue d’un glacier nous mène à la base du curieux couloir en corniche qui est la voie d’accès à la Munia (7 heures). Le cirque se voit maintenant en entier. Il est très régulier et vaste. Les murailles de Serre Mourène sont imposantes et lisses.
Après un couloir croulant et un passage amusant à grimper, nous débouchons sur un glacier débonnaire. (8 heures.) La roche (calcaire cristallin blanc) qui borde la glace est percée, vers 2400 mètres, d’un aven vivant. À 8h30, après avoir remonté tout le glacier, nous atteignons le col de la Munia d’où l’on découvre le massif calcaire, la vallée de Pinède et deux lacs fort sales. Une caravane avec guide s’essouffle à nous suivre mais perd du terrain. Nous attaquons la longue crête de la Munia que nous appréhendions à cause de sa réputation, mais aucun passage n’offre l’ombre d’une difficulté ; c’est enfantin.
En une heure (9h30), nous touchons la tourelle du sommet (3159 mètres). Beau panorama, sauf vers l’Ariège et les Monts Maudits qui sont dans les nuages. Les nuées ne tardent d’ailleurs pas à accourir de cette direction et, à 10h15, quand nous quittons le sommet pour faire place à la caravane qui arrive, les nuages arrivent aussi.
À 14h45, nous sommes de retour à Héas après un arrêt casse-croute près du lac fossile des Aires. Martial, fatigué par des crampes d’estomac, rentre à Gèdre et Mourlon, tandis qu’à 15h30 (après un café au lait), nous montons sacs au dos au cirque de l’Aguila (16h30), à la cabane de Camplong (17h10), et à la crête hourquette - Aguilous (2600 mètres), dans le brouillard (18h30). Là , nous perdons une demi-heure dans la brume, puis nous descendons dans la vallée de Campbielh où le brouillard nous gêne pour nous diriger. L’instinct y pourvoit ; nous dépassons un joli lac et, à 20 heures, nous sommes arrêtés par la nuit précoce, à cause du brouillard épais. Dans un chaos avec rhododendrons, nous préparons le bivouac. On dîne à la lueur d’une bougie et on se roule dans le duvet recouvert d’un ciré.
À 21 heures, ciel étoilé ; à 23h30, lever de la lune. Nuit peu froide mais rosée. Cette journée bien remplie a été l’anniversaire de mes 38 ans. (Seize heures de marche !)
20 aoà »t. Lever, 6 heures. Temps idéal, visibilité exceptionnelle. Le Vignemale se découvre de notre couche. Un isard (mon 101e isard) se profile en plein ciel sur la crête des Aguilous. Départ à 6h30. Nous contournons le fond de la vallée du Campbielh en passant non loin de la hourquette du Campbielh, puis on attaque des gazons de bancs rocheux avant d’atteindre le gigantesque éboulis qui défend l’accès à la hourquette de Badet. Dur calvaire que cet éboulis instable. Sur notre gauche, deux alpinistes descendent vers Gèdre. D’où peuvent-ils venir de si bonne heure ?
À 9h20 (soit près de trois heures), nous atteignons la crête. Nous avons manqué la hourquette, qui est à 300 mètres à gauche, et nous sommes sur le flanc du Campbielh, entre ce pic et le terrible pic Badet qui paraît inaccessible sur cette face. Après un arrêt, je descends beaucoup vers le « gour glacé de Cap-de-Long  » pour remplir notre bidon, tandis qu’Élisabeth commence la montée du Campbielh. Nous nous rejoignons sur le fastidieux éboulis de ce pic, invraisemblablement ruiné. Et, à 11h30, nous sommes enfin au sommet (3175 mètres), après avoir dérangé une bécassine (!) Très belle vue. Température agréable, halte jusqu’à 12h25. Nous renonçons à la descente directe sur le Plan, jugée douteuse, et nous dégringolons avec les éboulis, puis en toboggans sur quelques névés. Mais nous avons tiré trop à droite et on perd du temps dans des rochers, un névé très redressé et des falaises. Le lac de Cap-de-Long se fait désirer longtemps, puis sa traversée se prolonge, et ce n’est qu’à 16h15 que nous passons au lac de Loustallat (très beau).
Rencontre inattendue de deux jeunes gens de Nantes qui ont assisté à ma conférence dans cette ville, au début de l’année.
Une marche ininterrompue nous conduit à Fabian, à 18h55, chez Urasol où nous surprenons Mme Artigue et M. Lécuyer. On nous loge en face, dans une immense pièce.
21 aoà »t. À 11 heures, Martial vient, comme convenu, nous chercher à Fabian. On déjeune, puis on va au Tapis Vert et, vers 16 heures, Martial me ramène à Mourlon tandis qu’Élisabeth, qui restera à Fabian quatre jours encore, fera le port de la Barroude, le 22, et le lac de Caillaouas, le 24.
Fontaine Notre-Dame
(24 aoà »t 1935)
Avec Martial, au moulin Notre-Dame, à l’assaut des gorges. Nous examinons la forte résurgence de Notre-Dame qui sourd sous le cimetière et se jette dans la Save au bout de 15 mètres. D’où peut venir un tel débit ? Nous nous enfonçons dans les gorges, Martial pour pêcher (trois goujons), moi pour naviguer dans ma « « mouette  » pneumatique.
(28, 29, 30 aoà »t 1935)
Avec Martial, nous partons en Fiat de Saint-Gaudens, à midi, par temps exécrable. Gavarnie, 15h30, temps superbe. On gare l’auto chez M. Vergez, dont nous faisons la connaissance, et en route pour le cirque. Cohorte innombrable de touristes, écriteaux extraordinaires : « Repas sur l’herbe, 0,50  » « Ici, sanglier vivant des Pyrénées 1 Fr  » ... À 16h30, nous sommes à l’Hôtel des Cascades. Nous décidons de ne pas nous y arrêter et d’aller camper aux Sarradets. Dans l’échelle des Sarradets nous croisons trois alpinistes en espadrilles et avec corde, et... un troupeau de 120 moutons. Haut de l’échelle, 18 heures. Vallon des Sarradets, perte du ruisseau. Nous décidons d’aller coucher à la brèche. Bas de la moraine à 18h30. Nous sortons définitivement d’une bande de nuages qui nous ont gênés depuis les Sarradets. Le cirque est splendide. À 20 heures (quatre heures et demie depuis Gavarnie), nous passons la brèche de Roland. Après huit ans, nous revoyons ce revers de Gavarnie et le porche de la grotte Casteret. Nous dressons la tente dans le petit abri espagnol de la brèche. Dîner sous la tente, car il gèle. Nuit étoilée. On se roule dans les duvets qui nous protègent bien du froid, mais non des cailloux de notre couche ! (Note de Gilberte Casteret : Notre père craignait beaucoup les sols caillouteux. Le soir, en préparant sa couche, il épierrait soigneusement la surface sur laquelle il allait dormir, et il prenait grand soin de creuser un trou pour loger l’os de sa hanche, car il reposait toujours sur le côté. Je lui ai vu faire ce petit manège bien des fois.)
29 aoà »t. Lever à 6heures, déjeuner (l’eau des quarts où trempaient nos pruneaux est glacée). Lever des chocards qui tournoient. Lever de soleil à la brèche, vent froid. Départ à 6h45. Passage aux crampons du Casque ; col des Isards ; on contourne le Casque ; montons par névés et pentes sud-est (puits et zones d’absorption). Crète, escalade, à -pic sur le cirque. Sommet décevant à 8h15. Beau et froid. On redescend, on cueille les sacs, laissés au bas d’un névé et, en corniche, on contourne la Tour du Marboré que nous attaquons trop tôt (escalade). Sommet de 10h15 à 11 heures. À-pic formidable sur le cirque (photos). Ce n’est pas un pic, mais le sommet du cirque.
Presque à plat, on gagne le col de la Cascade, en contrebas duquel nous déjeunons au bord d’une mare gelée, dans un cadre chaotique. Autour de ce point existent des avens, crevasses, diaclases, tout un système hydrogéologique que je n’ai pas le temps d’étudier, car nous ne restons là que de 11h30 à 12h30. Puis, en route pour l’étang glacé du mont Perdu où nous arrivons à 14 heures, après marche pénible dans les ressauts, gradins et corniches du Marboré et du Cylindre.
L’étang glacé est entièrement libre de glace et on voit son déversoir souterrain. À 15 heures (après repos à l’étang), nous atteignons le col du mont Perdu où je me détache sur la crête en direction d’une grotte supposée. Puis, descente sur le glacier et le couloir, vers Tuquerouye. Un isard que nous avons dérangé (mon cent deuxième), fuit sous les escarpements du Cylindre. Le débarquement sur le glacier inférieur est facile et nous allons à flanc jusque sous les séracs, pour photographier.
Lentement et péniblement, on sort de la zone tourmentée, on franchit le déversoir du Lac glacé, on passe au Casetou, sur la digue du lac, et, à 17h30, nous plantons la tente sur le balcon qui domine la splendide vallée de Pinède.
Dîner, froid, vent. Brusquement, nous décidons d’aller coucher au refuge de Tuquerouye. Le niveau du lac ayant été exhaussé depuis 1927, le sentier est noyé et nous devons faire une varappe fatigante et dangereuse pour rejoindre le couloir de Tuquerouye. Refuge (à 19h45) où nous trouvons trois Catalans et Crétina, qui font des cuisines interminables et copieuses. Nuit infecte sur fumier juteux !
30 aoà »t. Réveil, 6h45. Départ, 7h30. Couloir glacé de Tuquerouye. Sentier pénible de la brèche d’Allanz. (Note de Gilberte Casteret : Hé ! Hé ! Les héros sont fatigués...)
Hourquette à 9h10. Gavarnie, 11 heures. Saint-Gaudens à 15h30 (déjeuner sur le pont Napoléon.)
Tour du Marboré
Arazas
(6, 7, 8, 9, 10 septembre 1935)
6 septembre. Saint-Gaudens-Gavarnie en auto, avec Élisabeth et Mme Artigue. Au passage, à Gèdre, on fait clouter les chaussures d’Andrée Artigue et Élisabeth laisse les siennes pour un ressemelage. Nous allons dîner et coucher à l’Hôtel du Cirque où je fais la connaissance du propriétaire, Pierre Vergez-Lacoste.
Coucher de soleil splendide, puis magnifique clair de lune.
7 septembre. Départ à 5h45. Beau temps. Au bas des Sarradets, nous cheminons avec deux hommes et une jeune fille qui vont à la fête de Fanlo. Montée lente et laborieuse. Au vallon des Sarradets, Mme Artigue est indisposée, comme jadis, en 1926, Élisabeth, à la même altitude. On fait un thé et l’on poursuit l’ascension. Très beau temps, cirque splendide. À 10h45, nous déjeunons à la brèche, tandis que les Aragonais s’éloignent vers Fanlo et que trois Espagnols et un guide descendent vers Gavarnie.
Nous passons le câble du Casque et, avant le col des Isards, nous descendons vers la grotte Casteret. Chemin faisant, nous découvrons et examinons un lapiaz formidable, avec beaux puits malheureusement bouchés par la neige, entre 10 et 15 mètres. Le lac d’entrée de la grotte est presque tari et la glacière diminuée à son contact, mais, à l’intérieur, quelle splendeur ! Nous visitons la salle de droite, et tout, en détail. La corneille de 1926 est toujours là . La grosse colonne est toujours majestueuse. On contourne l’oubliette et on s’attaque aussitôt à la cascade avec le piolet. Malgré les gros sacs, nous effectuons assez rapidement la traversée. Le cairn est toujours là et, dedans, une grosse boite en fer où nous retrouvons notre carnet de 1926, et des cartes de visite (en particulier une caravane de treize Tarbais). À la sortie de la grotte, nous flânons longuement et décidons de bivouaquer sur place. On aplanit longuement le fond d’un puits caillouteux ; on fait une cueillette d’édelweiss, puis la cuisine nous retient longuement, ainsi que le dîner. Dans cette désolation sans eau, j’ai eu la bonne fortune de découvrir une vasque dans la grotte et je fais la navette, avec le bidon. Après le dîner, on s’installe sur un banc de rocher, au clair de lune, et nous contemplons les sierras et les étoiles. Le froid et le vent nous chassent. Étendus entre nos duvets, on passe une nuit blanche, assez inconfortable, avec mauvais vent.
8 septembre. Nous ne quittons le bivouac qu’à 6h50, après un tapioca. On s’élève par le lapiaz extraordinairement crevassé. Dans la falaise Faja Luenga, entre le Casque et la Tour, je monte vers des ouvertures de grottes. Il y a là , dans le couloir blanc, deux grottes qui communiquent avec le haut de la falaise par des puits à neige. L’intérieur de ces cavernes (40 à 45 mètres de large), est en partie glacé. Dans une de ces grottes, je suis arrêté par une corniche de glace qui borde un gouffre inondé. Parvenus au-delà de la Tour (est), nous montons vers une échancrure de la Faja, que nous escaladons par une cheminée souterraine. Vers midi, nous atteignons le sommet de la Tour où il fait beau et chaud. Chaleur orageuse. On casse la croà »te ; les dames font la sieste pendant que j’explore la plate-forme sommitale qui est un lapiaz. On redescend la cheminée, on reprend les sacs, et en route pour Gaulis. Chemin faisant, un orage menace tandis que nous cheminons (avec des moutons montés de Millaris) et ne tarde pas à éclater. Débandade à travers gradins, ressauts, pierrailles et pâturages jusqu’à Gaulis où nous trouvons deux couples charmants qui nous offrent le thé (Ollivier – Maité, Fauqué – Levasseur). Après la pluie, on va, avec deux bergers, à la grotte de Gaulis où nous passerons la nuit grâce à l’hospitalité et aux « mantels y piels  » de Vicente Praded, petit bonhomme de 10 ans qui couche là tout seul. Après le tapioca, nous recevons la visite de nos voisins, intrigués par de prétendues phosphorescences dans les flancs de l’Arruelo. Avec Fauqué et Ollivier, nous y allons (taches de neige). Excellente nuit dans la grotte.
9 septembre. Départ tardif (8h30). Saut de Gaulis, vallée d’Arazas en flânant. Nous trouvons, vers la cascade de Ramond, des promeneurs élégants venus en auto à Ordesa (la route est ouverte depuis deux mois). À Ordesa, nous allons à la casa Vergez où nous décidons de passer la nuit. Arrivée de nos amis de Gaulis qui montent leur tente à proximité. Pluie légère ; je rédige une note sur la grotte Casteret dans le registre. Dîner avec Messieurs Lacrozo (prof de philo à Chaptal), Odell et le guide Lartigue. Bonne chambre.
10 septembre. À 8h40, nous partons d’Ordesa par la superbe route qui, en une heure, nous conduit au nouveau pont des Aranais. Lentement, nous atteignons Boucharo, le pont de Gavarnie, et, à 17h40, Gavarnie où nous faisons un petit repas chez Vergez, avant de nous mettre en route pour Saint-Gaudens, où nous sommes à 20h20.
(13 - 14 septembre 1935)
Sartorio m’emmène en auto au Bocard, à 10 heures. Nous montons en autochenille à Bentaillou. (Messieurs Catala, Vuillemin, Villard et Hulin.) Après déjeuner, on va à Ardan où je vois le tunnel nouveau de 23 mètres. Nous montons à la grotte des Édelweiss, toujours glacée. La cheminée libre de la voà »te s’est obstruée de blocs, complètement. Retour à Bentaillou. On va jusqu’à Ourdouas par le tunnel (cheminée d’équilibre). Là , on quitte Messieurs Catala, Vuillemin, Villar et, avec M. Hulin, je rentre à Bentaillou par le sentier. À Bentaillou, il y a le personnel ordinaire, plus Mme Hulin et la petite Jacqueline (5 ans).
14 septembre. À 7 heures, je monte vers Flouret. La tuyauterie de l’air comprimé est placée. Il y a aussi, au point d’attaque du prochain tunnel, un wagonnet et des rails. Je passe au gouffre Martel, puis à l’étang de Flouret et à celui d’Albe. Je voulais faire une coloration à la fluorescéine de l’émissaire souterrain d’Albe, mais il est grossi par la pluie de l’avant-veille et son cours superficiel va bien dans l’étang de Flouret. Je me repose, puis vais faire une incursion dans la grotte des Corneilles, dans la falaise de la Pyramide de Serre. Au fond pénétrable, dans les fissures, il y a de la glace. Je redescends à Bentaillou à midi. À 14 heures, nous descendons à pied jusqu’à la Cigalère, avec la famille Hulin. Il y a 4 mètres d’eau. La veille, il y en avait 8 mètres, d’après Cabalet. La chenille nous prend à la grotte. Retour à Saint-Gaudens avec M. Sartorio.
(19 20 septembre 1935)
En chenille à Bentaillou : Catala, Vuillemin, Hulin, Montalibet, Jean, Jeanne (Note de Gilberte Casteret : Jean et Jeanne, respectivement frère ainé et belle-sÅ“ur de N.C.), Raoul et moi. Puis on va au barrage en construction à Chichoué. À 13 heures, déjeuner avec M. Bonin, commandant de gendarmerie de Foix, et son secrétaire. On ne sort de table qu’à 15 heures. Jean, avec Montalibet et le commandant, font une visite dans les tunnels jusqu’à Ourdouas où, avec Jeanne et Raoul, nous allons les attendre par l’extérieur. Visite à la cheminée d’équilibre. Retour à Bentaillou et départ de Jean et Jeanne.
20 septembre. À 8 heures, je pars avec Raoul pour Ardan où nous allons par la fenêtre B jusqu’à D. Visite du tunnel avec Castélas. À midi, nous rejoignons, à Chichoué, Élisabeth, Maud, Gilberte et les de Sède qui sont montés ce matin en chenille. Déjeuner. Ensuite, avec Montalibet, je vais visiter le thalweg supérieur de Chichoué en vue du prochain captage du gouffre Martel.
De Bentaillou, avec Élisabeth, Raoul, Germaine et Géraud de Sède, nous allons au puits central et sortons par la fenêtre 1. Repos au piton Saint-Jean et descente en chenille à Bentaillou où nous dînons tous, avec MM. Catala et Tapie. Retour à Mourlon à minuit.
(24 septembre 1935)
En auto, à Juzet, avec M. et Mme Castéran. Montée en groupes, puis seul, avec le général Lafont. Nous arrivons à la croix en trois heures. Brouillard, pluie. La foule (300 personnes) arrive peu à peu. (Frossard, Palaminy, Delvigne, Lacroix, etc.). À 10h30, déjeuner. À midi, messe par M. l’abbé Saint, curé de Mazères ; allocutions du chanoine de Courrège et du doyen d’Aspet. Cette croix en remplace une de 1873 et une précédente de 1787. À la fin de la messe, distribution d’édelweiss. À l’issue de la cérémonie, nous érigeons un cairn (Frossard, Lafond, Castéran et moi) et descente générale. En juillet 1915, il y a vingt ans, je faisais ma première ascension du Cagire. (Voir mon premier carnet.)
(3 et 4 octobre 1935)
Avec Sartorio, qui est venu me chercher à 7 heures du matin, j’arrive à 10 heures au Bocard. Je monte en benne jusqu’à Rouge et, de là , à pied à Bentaillou. À midi, déjeuner : M. et Mme Vennin, M. et Mme Loustau et leurs enfants, M. et Mme Crescent et leur fille, Catala, Vuillemin, Montalibet, Blazy, etc... Après déjeuner, visite de la Cigalère avec des porteurs bottés. On arrive aux 1300 mètres. Là , je me détache avec Parizot jusqu’au trou souffleur et aux stalactites noires. Au retour, nous rattrapons la caravane dans les bassins. Trois chenilles nous attendent à la sortie. Avec M. Crescent, sous une pluie violente, nous descendons jusqu’à la Plagne où la nuit et le brouillard nous arrêtent. Nous attendons longtemps les autochenilles dont les phares balaient la brume dans tous les sens. Dîner au Bocard où je couche après le départ des invités.
4 octobre. À 7 heures, je monte par le câble aérien, avec Montalibet, jusqu’à la Cataouère. De Bentaillou, je vais au tunnel Martel, qui est commencé depuis quelques jours (depuis le 1er octobre). Il a neigé dans la nuit, jusqu’à 1900 mètres. Au tunnel, je trouve Gonzalès qui vient de faire partir une volée. L’avancement est à 10 mètres, dans un calcaire excessivement dur. Je monte au gouffre Martel et dans l’entonnoir voisin où je m’abrite du froid et du vent, en retouchant la préface de « Au fond des gouffres  ». Revenu à Bentaillou, j’assiste à l’arrivée des chenilles avec quatorze congressistes de la Fédération d’économie montagnarde (M. et Mme Dauzère, Mlle Flous, M. et Mme Gaussen, Pénic, Bahoneau, Durand, Nougarède, Bouissaget, Bouget, Chalat, etc.…) Déjeuner, et en route pour le lac d’Araing par le tunnel. Retour à Bentaillou et descente au Bocard (les congressistes en chenille, Montalibet et moi par le câble, depuis Rouge). Retour à Saint-Gaudens, à 10 heures du soir, avec le car du congrès qui est allé déposer tout le monde à l’exprès de Boussens.
(11 et 12 octobre 1935)
Avec Maurice Gourdon (88 ans et demi), nous visitons et mesurons le château de Saint-Marcet, par temps beau et chaud.
12 octobre. Le lendemain, départ de Mourlon en auto à 5 heures (pluie). À 7 heures, nous prenons la chenille au Bocard. Pendant la montée à Bentaillou : pluie, brouillard, grêle, neige, tonnerre. À Bentaillou, il neige dru. On ne peut pas sortir. Température : 1° (maximum de la veille : +18°) Déjeuner. À 14h30, nous redescendons en chenille au Bocard. Et nous rentrons à Mourlon, toujours sous la pluie, en faisant un crochet par Chein-Dessus. Maurice Gourdon est étonnant de vitalité.
Le lendemain, dimanche, nous allons tous à Luchon déjeuner à l’Hôtel des Pyrénées, avec maman, qui fait une saison.
Gouffre Martel
(19 novembre 1935)
Dans la nuit du 16 au 17, le tunnel de dérivation des eaux du gouffre Martel (qui avait été commencé le 25 septembre et arrêté plusieurs fois), a été achevé. Avec M. Loiseau, nous arrivons le 19, à 7 heures, au Bocard. En autochenille, avec M. Montalibet, j’arrive à Bentaillou vers 8h30. Aussitôt, je monte au tunnel, dans la neige. Le tunnel a 49 mètres et débouche à - 43, au bas de la petite cascade de l’écroulement. Je fais quelques photos, je vais à l’aplomb du puits, qui est déjà obstrué par la neige. Je marque l’emplacement d’un burin à planter, au bout de la cascade de 11 mètres. On travaille à la dérivation des eaux, qui se fera demain. Par l’extérieur, je monte au gouffre Martel ; il est obstrué par la neige. Je redescends à Bentaillou pour déjeuner et je conviens de revenir jeudi pour tenter la descente intégrale du gouffre.
Retour à Saint-Gaudens par le col de Portet.
(06 janvier 1936)
À bicyclette, je passe à Hountarède et je vois que la résurgence est forte : 11°. Laissant le vélo dans un fourré, je m’engage à travers champs et bois, dans la région susceptible d’alimenter cette résurgence. J’arrive ainsi jusqu’à la route Payssous-Barbazan et je fais demi-tour. Je cherche longtemps un certain puits incliné, de « chez Baculte  », mais je ne le trouve pas. Je fais l’ascension du Montaigu (525 mètres) où je déjeune et dors sur un tapis d’hysope. Puis je redescends sans avoir rien trouvé, mais ayant constaté que tout est calcaire et fissuré. De la croix de Hountarède, je vais au lac de Barbazan, au petit trou que j’ai essayé de désobstruer l’été dernier. Le trou est envahi de milliers de moustiques. Je m’engage de 2 mètres. Au bout d’une gaule de 3 mètres, j’avance une bougie qui éclaire un conduit minuscule ; 5 mètres au total. Il y a peu de chance que cela soit intéressant.
(13 avril 1936)
Au cours des vacances de Pâques, à Auzas, nous allons tous à la Tuto de Pégot où se voit encore notre tranchée de fouilles de 1921-1923. Au retour, ramassage de fossiles au bord de la Piche. (Note de Gilberte Casteret : comme on le voit, toutes les occasions étaient bonnes pour nous intéresser à toutes les sciences.)
(26 avril 1936)
En délégation avec le ski-club de Saint-Gaudens, nous allons en autobus à l’origine de la vallée d’Estours, qui mène au port d’Aula et au Valier, pour planter une croix sur le lieu où s’est tué récemment Jean Guichereau (20 ans). À midi, nous déjeunons en face de la belle résurgence du Cruet (qui serait une dérivation du ruisseau d’Ethins ; elle est, paraît-il, pénétrable en été...)
À 400 mètres en amont de la maison forestière, nous trouvons, sur un éboulis, une simple croix marquant l’endroit où Guichereau a été retrouvé. Chute terrible, dans des à -pics. On procède au scellement de la croix de chêne. Le mauvais temps survient et c’est sous une pluie torrentielle que nous revenons à la carrière de marbre où nous attend l’autobus.
(18 - 19 aoà »t 1936)
18 aoà »t. En FIAT (maman, Martial). Saint-Gaudens, 7h45 ; Gabas, 10h45.
Déjeuner. Remise de l’auto aux cabanes de Sagne, 13h25. Montée au refuge de Pombie, 16h10. Cuisine, tour du lac. Nous sommes seuls au refuge et passons une nuit confortable (matelas pneumatiques et duvets) au pied de l’Ossau.
19 aoà »t. Départ, 6h40. Franchissement d’un mauvais chaos, puis de l’éboulis où nous cachons les sacs. Montée au col de Suzon. Escalade des cheminées, varappe, terrain varié, petits névés, cime à 11h45. (Cinq heures de montée.) Mer de nuages sur la plaine, très beau temps.
Au sommet, je trouve une boussole. (J’avais trouvé des lunettes à Pombie et une scie à mains au-dessus de Sagne !) Nous déjeunons et flânons au sommet jusqu’à 13 heures. À la descente, nous croisons cinq jeunes gens (boy-scouts). On fait un crochet pour récupérer les sacs et, à 16 heures, nous arrivons à Sagne (quatre heures depuis le sommet).
Gabas à 17h20. Le soir même, nous sommes à Licq-Atherey. À 22 heures, alors que nous sommes au lit, Cosyns et Van der Elst font irruption dans notre chambre ! (Maman, âgée de 63 ans !)
(28 aoà »t 1936)
Avec Martial. Saint-Gaudens, 5h25. Astau, 6h50-7h10. Par très beau temps, nous montons au lac d’Oô / Espingo (refuge reconstruit) et arrivons au lac glacé (cantine) à 11h25 (quatre heures quinze de montée). Le sentier de Saounsat au lac glacé est une piste merveilleuse comparée au terrain vague de 1925. Au lac glacé, nous prenons un bain entre les glaçons. Repas, sieste au grand soleil. Nous nous hissons péniblement à la Tusse de Montarqué où le panorama est splendide. Puis, fatigués, nous décidons d’abandonner le Perdiguère qui était inscrit pour demain. À 17 heures, nous quittons la Tusse. À 19h10, le refuge. À 20h20, nous sommes à Astau (et nous avons dîné à la coume de la Baque). Il faut réveiller le propriétaire où est garée la FIAT. À 23h15, nous sommes à Mourlon.
(06 septembre 1936)
Au cours de ce congrès, tenu à Ax, je fais une communication sur « quelques phénomènes hydrogéologiques dans les Pyrénées  » (médaille de bronze). On visite les mines de talc de Trimouns, au-dessus de Luzenac ; la grotte de Lombrives (magnifique et imposante) ; le val d’Andorre (montée en wagonnet – câble au lac d’Engolasters.
(28 – 30 septembre 1936)
28 septembre. Arrivé au Bocard, vers 14 heures, avec Sartorio, par grande pluie, je monte aussitôt en chenille jusqu’à la Plagne d’où je monte au port par le câble avec une cargaison de vivres pour ce chantier. Pluie et vent glacial. Je me mets en route aussitôt, par le nouveau chantier du Tartereau. À Ardan, je pénètre dans les divers tunnels et dans la grotte des édelweiss. Comme il neige et qu’il fait froid, il n’y a pas aujourd’hui de courants d’air dans les tunnels, ni dans la grotte. Le petit tunnel de 20 mètres creusé sur les indications de maman (séance de baguette du 7 aoà »t 1935) a donné beaucoup d’eau à la fonte des neiges : 100 litres / seconde, par un trou situé à 18 mètres à l’intérieur. C’est bien là que maman avait décelé un courant souterrain... À la fenêtre D, je pénètre dans le tunnel qui va vers Ardan. Les soixante derniers mètres sont dans un terrain épouvantable et on est à dix mètres du tunnel rond d’Ardan. J’arrive à Bentaillou sous la neige, tout est déjà blanc. Dîner et soirée avec les habitués et deux nouveaux gendarmes.
29 Septembre. Vers 9 heures, je monte vers le gouffre Martel. Toute la montagne est blanche au-dessus de 1700 mètres. Beaucoup de nuages. Le chantier du Fleuret a triste mine sous la neige. Le canal de dérivation est presque comblé par le chasse-neige de vent. Dans le gouffre, je suis surpris de voir le barrage presque achevé ; un gros tuyau déverse l’eau par-dessus. Par l’amont, je vais presque sous l’orifice du puits Martel (où la neige commence à s’amasser). Puis je pousse jusqu’à soixante mètres en amont, jusqu’à la chatière. À la sortie, je fais une photo du barrage, au magnésium, et je redescends à Bentaillou. Le wagonnet et le câble montent des buses au plan supérieur de Chichoué et les mulets montent les lacets enneigés, chargés de sacs de ciment, jusqu’au tunnel du gouffre.
Après déjeuner, je monte à la Serre d’Araing où la corniche de neige a déjà soixante centimètres de haut et où souffle un vent glacial. Partout, bataille de nuages et grains. Je décide de monter au pic de Lort pour rééditer mon ascension du 23 novembre dernier (lendemain de la grande descente au gouffre Martel). Du sommet, je redescends à toutes crêtes vers Ourdouas, tantôt dans le brouillard, tantôt avec de belles échappées à travers les nuées. Je regagne le chemin d’Ourdouas en descendant très raide en aval de la fenêtre 2.
30 septembre. Descente par Rouge, de 7 heures à 8h30. Visite à M. Vuillemin. Descente en auto avec M. Hulin jusqu’à Bonac, puis vallée d’Orle (résurgence). Descente jusqu’à Saint-Girons avec M. Lemasson (entrepreneur de transports). Midi trente, retour à Saint-Gaudens par le train et à Mourlon en auto, avec Urbain.
(Note de Gilberte Casteret : À ce stade des récits de N. C. une question se pose : qu’est-ce que mon père cherchait dans ces montagnes ? Qu’allait-il y faire ? Quel intérêt le poussait à y aller aussi souvent, par tous les temps, même les plus désagréables ? Il est certain qu’il y trouvait son plaisir de sportif, de marcheur, de naturaliste et d’observateur infatigable de la nature Il est sà »r aussi qu’il avait ses entrées dans ces chantiers de montagne, parfois dangereux, où il évoluait comme chez lui, toujours à son aise et aidé, à l’occasion par ces ouvriers rudes et expérimentés. Je pense que c’était pour lui une grande jouissance d’aller étudier sur place tous ces réseaux hydrogéologiques et de vérifier in situ toutes les théories qu’il avait apprises, jeune étudiant amateur au Museum de Toulouse. Il était doté d’une grande érudition en géologie ; il avait un flair sans pareil pour déceler et résoudre tous les problèmes que lui posait Dame Nature. Par ailleurs, je me suis demandé si l’UPE ne l’aurait pas rétribué pour cette espèce de surveillance qu’il paraît avoir exercée sur cet imbroglio de grottes, de tunnels, de circulations souterraines qu’il connaissait parfaitement. Cela, nous ne le saurons jamais, je n’en ai vu aucune trace dans ses archives. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’il a Å“uvré pour la réussite de ces exploitations de ces eaux de nos montagnes...)
(11 octobre 1936)
En auto, aux granges d’Astau, avec Élisabeth, Raoul, Maud, Jean, Jeanne, Pierre et Maurice (Note de Gilberte Casteret : Pierre et Maurice, neveux de N. C.) Nous montons, par mauvais temps au lac d’Oô où nous déjeunons debout dans la grange. Il neige, et à aucun moment on ne peut distinguer le lac. Le retour, sous la neige et la pluie.
(12 octobre 1936)
Le 11 octobre, à 18h30, à peine de retour du lac d’Oô, je vais chercher l’abbé Ducasse à Montréjeau. Il dîne et couche à Mourlon.
Le 12, réveil à 4 heures. À 7 heures, déjeuner au Bocard ; puis, Élisabeth, Ducasse et Hulin allons à pied jusqu’au téléphérique du port où nous prenons place. Très belle montée, vue splendide. Au port (où nous voyons Halçaren alité, malade), nous prenons le sentier d’Urets. Puis, revenus au port, nous prenons la merveilleuse corniche vers le Tartereau. À la fenêtre E, nous visitons la cavité chaotique et dangereuse, découverte tout récemment. Halte à Ardan. Bentaillou, midi ; déjeuner et longue conversation avec Montalibet. Le temps a changé, il pleut. Nous allons (Élisabeth et Ducasse) au gouffre Martel où il neige. Le barrage est terminé, le tunnel en partie bétonné ainsi que le canal de dérivation. Descente en chenille avec Montalibet. Il pleut toujours et je suis malade depuis midi. À Sentein, courte visite à Mme Montalibet. Dîner à Mourlon. À 23 heures, nous ramenons Ducasse à Montréjeau.
(Octobre 1936)
Séance de recherches autour de cette résurgence. Pas de résultat, sinon la mort d’une grosse couleuvre.
(19 - 22 octobre 1936)
19 octobre. En auto, au Bocard, avec Sartorio, à 17 heures. Je monte au port seul, au crépuscule, en câble, et de là , avec Gateau, nous allons au tunnel E’ d’Ardan où l’on a découvert une petite grotte. À 19 heures, j’arrive seul, de nuit, à Bentaillou.
20 octobre. À 8 heures, je reviens à Ardan où les ouvriers creusent à plat ventre pour désobstruer la grotte. Je fais une incursion entre des blocs peu rassurants. Le soir, je vais à Ourdouas et à la cheminée d’équilibre. Je voudrais prospecter le cirque voisin, mais le brouillard est opaque. Je fais une portion de la crête d’Ourdouas et redescends par le sentier de la chambre d’eau.
21 octobre. À 9 heures, je suis à Ardan E’ où M. Montalibet vient me rejoindre. Je creuse de quelques mètres dans la salle de l’avancement. Le soir, grâce au beau temps, je vais avec Durieu et les deux gendarmes voir un trou au-dessus de la Cataouère puis, de là , je vais seul visiter le cirque du pic de Lort. Plusieurs gradins avec calcaire lapiaz, doline ; pas une goutte d’eau, pas de lit de ruisseau. C’est un cirque sec, karstique. Retour à Bentaillou par une cheminée de neige raide et descente par le ravin schisteux de la fenêtre 1. Magnifique coucher de soleil.
22 octobre. Départ, 8 heures. Ourdouas, conduite forcée. Bouquetins. Là , je plonge à gauche dans la forêt très escarpée. Inspection d’une falaise et arrivée au thalweg où court un fort ruisseau. Origine triple dont la branche principale, que je remonte, provient d’éboulis (6,08°) et longe une muraille calcaire à la base de laquelle coule une résurgence (5,08°). En aval, autre résurgence dans pente d’éboulis : 5,09°.
Une marche de flanc me conduit à un petit col (trois chaumières) où je déjeune dans un cadre merveilleux. À 13 heures, je suis au Bocard où j’attends l’arrivée de Sartorio. À 18 heures, je télégraphie à Élisabeth de venir me chercher. Elle arrive à 19h15 et me rapatrie à Mourlon.
(30 octobre 1936)
Avec Bernard Casteret (Note de Gilberte Casteret : le cousin de N.C), en auto, au Bocard, à 7h30. À pied à la Plagne où nous montons au Post en câble. De là à E’, où le tunnel est toujours dans le chaos. Puis, Ardan et fenêtre C où nous rencontrons Catala, Vuillemin, Vilart, Montalibet. Déjeuner au Post, descente en câble à la Plagne. Retour en auto à Saint-Gaudens, avec M. Vilart. Deux crevaisons nous retardent. M. Vilart dîne à Mourlon et je l’emmène à la gare à 21heures. Bernard nous quitte le lendemain.
(31 janvier 1937)
En allant en auto à Pau, chez les Coulon, avec Élisabeth et Maud, nous nous arrêtons à la grotte de Lourdes et à Bétharram. Examen de la vallée : montagnes très calcaires ; grottes visibles à droite, avant Saint-Pé. Le massif du Béout serait intéressant à étudier pour la grotte de Lourdes et sa source miraculeuse.
(06 avril 1937)
En auto, à Bezins. Puis, à pied sur le chemin du col de Caube. Je cherche et finis par trouver la résurgence qui sort au-dessus du sentier. Elle sort assez impétueusement d’un tiroir noyé. Débit évalué : 80 à 100 litres/seconde. Température : 9,05°.
À 50 mètres au-dessus, je découvre une résurgence supérieure servant de trop-plein éventuel. L’eau se livre passage par une lucarne et tombe en cascade dans un court ravin-diaclase de 25 mètres jusqu’au chemin. Aujourd’hui tout est à sec. J’escalade le ravin et accède dans la grotte. La nappe d’eau est à 0,50 m au-dessous du déversoir, donc prête à déborder. Ce n’est sans doute pas une « laisse  » de crue, car on m’a dit que par temps sec on peut pénétrer dans une salle horizontale qui se termine par un puits par où monte l’eau. Aujourd’hui le niveau est haut, à la suite des récentes chutes de neige. Température : 9,05°, comme à la résurgence pérenne. En somme, même dispositif classique que celui examiné à Sarrancolin, le 31 mars dernier.
Toute la journée j’ai sous les yeux la curieuse Tuto de Mount, cet immense porche au-dessus d’Eup. Je ne m’explique pas bien la formation de cette cavité. Au retour, arrêt entre Bagiry et Bertren, à la résurgence de la route (examinée en dernier lieu le 9 octobre). Aujourd’hui, la résurgence supérieure coule aussi. Je fais une séance de désobstruction sans résultat et le plan de l’ensemble des trois sources.
(10 juin 1937)
Avec Élisabeth, nous montons en autochenille à Bentaillou, le matin. Au passage, arrêt à la grotte de la Cigalère où le niveau de l’eau atteint 5 mètres (malgré la dérivation du tunnel Martel). Après le déjeuner à Bentaillou, nous montons à Chichoué et au Floret. La cascade de récupération du gouffre Martel est splendide. Le débouché du tunnel est invisible sous la neige, ainsi que le gouffre Martel et la perte du torrent d’Albe. Cette dernière sous l’énorme avalanche habituelle. Sous le soleil, très vif, et au milieu des neiges, nous faisons de l’héliothérapie. À la descente, nous prenons un bain frappé dans l’étang de Chichoué.
(06 - 07 septembre 1937)
Avec Raoul, nous arrivons au Bocard vers 8 heures. Montée en chenille avec Messieurs Crozet, Bordes, Montagné. On va directement, sauf Raoul et Carnéra (Note de Gilberte Casteret : le chien de Raoul), à la perte d’Albe et au tunnel Martel où Montagné procède à des jaugeages (8 litres à Albe, 12 litres à Martel, 10 litres à la Cigalère). L’après-midi, je remonte à Albe, avec Raoul et Carnéra. À 15h55, je jette 500 grammes de fluorescéine un peu en aval de l’étang de Floret. La coloration met une heure pour atteindre les pertes du petit cañon. Au bout d’une deuxième heure, le torrent coule encore vert. Nous allons au tunnel Martel (où nous pénétrons) et nous montons la faction jusqu’à 19 heures. (Perte d’Albe, 13° ; tunnel Martel, 7° ; Cigalère, 6° ; source près de la perte d’Albe : 3°).
Dîner avec Rata.
7 septembre. À 7 heures du matin, je monte à l’étang de Chichoué et je constate, dans le ruisseau du gouffre Martel, une coloration faible mais très caractéristique. Est-ce la fin ou le début de la coloration ? L’étang ne montre aucune trace. Je reviens à Bentaillou et, avec Raoul, nous allons sur le chemin d’Ourdouas, pour surveiller la résurgence de la Cigalère à la lorgnette (visite à la cheminée d’équilibre). À 14 heures, nous entrons dans la Cigalère pour aller au-devant de la coloration. Je porte Raoul et Carnéra dans les bassins et nous arrivons aux 1300 mètres (où nous découvrons de splendides fleurs de gypse). À 17 heures, nous sortons ; la chenille commandée par téléphone est là , avec Alonzo. À la station inférieure du câble du Post, nous attendons longuement Montalibet qui descend en benne et je vais dîner, avec Raoul, chez M. et Mme Crozet. Retour à 23 heures à Mourlon. Le torrent d’Albe est donc récupéré par le tunnel du gouffre Martel et la Cigalère vient d’ailleurs...
(23 novembre 1937)
Avec Catala et Montalibet. Arrivés à Sentein à 9 heures du matin, nous laissons les autos au village du Pont de l’Isard, la route étant coupée en amont. Les inondations des 4 et 24 octobre ont ravagé la vallée. Tout est méconnaissable. Au Bocard, nous déjeunons au château, puis, nous remontons jusqu’à la Plagne. Chaos indescriptible.
Le câble porteur nous monte au Post d’où nous allons à la prise d’eau d’Urets pour constater les effets et les dégâts des pluies torrentielles qu’y ont causés les inondations. Vent glacial. Descente par le sentier du port. Sentein à 17h30.
(7 mai 1938)
Je monte au sommet du Picon à la recherche d’un puits naturel que je ne trouve pas. L’abbé Estinès, de Polignan, l’a visité jadis, d’après un vieux carrier rencontré dans la carrière voisine.