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N. SCOTT MOMADAY ET LES PYRÉNÉES

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N. Scott Momaday àGavarnie. 7 octobre 2007. © Christiane Fioupou

Le 24 janvier 2024, N. Scott Momaday, l’un des plus grands auteurs américains, dont le premier roman House Made of Dawn, Prix Pulitzer pour la fiction en 1969, avait entraîné ce que l’on a appelé la « Renaissance amérindienne  », est parti dans les étoiles. Lui qui se considérait comme la réincarnation de l’enfant ours du mythe Kiowa est parti rejoindre les sept étoiles de la Grande Ourse (les sÅ“urs de l’enfant ours dans le mythe).

N. Scott Momaday avait un lien spécial et profond avec les Pyrénées. D’abord, les Pyrénées étaient présentes dans son nom et dans ses racines. Le N. un peu mystérieux de son nom signifie Navarre parce que sa mère Natachee, en partie d’origine Cherokee, avait aussi des origines en Navarre.

Il y a quelques années, il avait envoyé pour Pyrénées un poème qu’il avait écrit sur le crocodile de Saint Bertrand de Comminges (n° 252, octobre 2012). Je n’avais pas eu besoin de le lui demander. J’avais juste espéré. Et douze ans après un voyage initié par mon amie Catherine Lanone, il avait écrit ce poème.

Notre amitié profonde a été scellée par les Pyrénées. En 2000, il était venu pour la première fois àToulouse et cette amie avait eu l’idée de le conduire voir les grottes de Gargas. Une fois dans les grottes, il avait vu dans les peintures des mains àquatre doigts des similitudes avec un signe de chasse chez des peuples d’Amérique. Puis après un long silence, il avait dit : « nous sommes dans le temps géologique  ». Sans sa remarque, sans sa présence, je n’en aurais pas eu conscience. Il était un révélateur de conscience. En ressortant, j’ai clairement eu l’impression que nous revenions dans le présent après un voyage « dans le temps géologique  » que seul un Amérindien en osmose complète avec la terre pouvait percevoir.
Puis nous sommes allés àSaint-Bertrand-de-Comminges ; je n’oublierai pas son exclamation d’admiration lorsqu’il est entré dans le cloître au moment où le soleil allait se coucher, ce cloître au cÅ“ur de la montagne qui a une telle force spirituelle. Au moment où le grand-père de mon amie passait de ce monde àl’autre, un rayon de soleil nous a fait un signe. Comme si son grand-père lui parlait. N. Scott Momaday était un médiateur spirituel. Son beau conte Circle of Wonder. A Native American Christmas Story révèle cette connexion. Comme le grand-père du conte venu chercher son petit-fils muet le soir de Noë l et l’amener vers ce « Cercle merveilleux  », il rappelle constamment que ceux qui sont partis sont dans ce cercle merveilleux où, de temps en temps, ils vous conduisent pour vous montrer les couleurs de la vie et vous rendre votre voix comme au petit garçon du conte.

Il avait été nommé artiste de l’UNESCO pour la paix pour l’année 2004. Dans les locaux de l’UNESCO àParis, je voyais son regard plein de joie et de poésie et qui racontait tant d’histoires.

En 2007, il revenait pour un colloque sur la montagne. Tout le monde a encore dans les yeux sa voix profonde dans le grand amphithéâtre bondé de l’Université quand il nous racontait des histoires de chiens qui parlaient il y a très longtemps ; et la magnifique lecture àGavarnie devant la grange de Holle. Dans les nuages qui s’accrochaient au flanc de la montagne, une clarine rythmant la lecture tandis que des moutons paissaient tranquillement, N. Scott Momaday avait lu un extrait de son roman House Made of Dawn : un passage décrivant un aigle captif dans une cage. Au même moment, aigle ou vautour, un rapace est passé haut dans le ciel au-dessus de lui. Comme si l’oiseau pyrénéen répondait àl’oiseau de sa voix Kiowa et lui faisait un signe de liberté retrouvée.

N. Scott Momaday avait une passion pour l’histoire de Martin Guerre et les parents de mon amie l’avaient amené àArtigat, ce qui lui avait laissé un souvenir rare dont il me parlait souvent. Pourquoi ce poète Kiowa s’intéressait-il tant àl’histoire de Martin Guerre ? Quelque chose lui parlait dans cette histoire.

Durant ces dernières années, ses problèmes de santé ne l’empêchaient pas de continuer àécrire, àpeindre, et àrépondre àdes invitations et àdes interviews alliant la profondeur de sa sagesse àson humour car il savait toujours faire rire son auditoire en le faisant réfléchir. Par exemple en prononçant un mot navajo tout en précisant qu’il ne parlait pas cette langue difficile mais savait la prononcer ; et il prononçait un mot navajo signifiant « l’eau sombre  » ; ainsi, il pouvait àla fois faire entende la langue navajo et faire sourire son auditoire en lui disant que le mot désignait le whisky ; puis sans esquisser le moindre sourire sinon dans la manière de raconter, il avait ajouté : « ou le café  ». D’un moment solennel (il était célébré pour recevoir le Prix Anisfield Wolf pour l’ensemble de son Å“uvre en 2018), il rend àla fois hommage àun peuple et crée un moment de partage complice avec un auditoire àqui il a envie de raconter son histoire et de faire entendre la voix des peuples d’Amérique. Et il nous amène, comme dans la grotte de Gargas, très longtemps en arrière. Il y a 3500 ans, quand son peuple parcourait les grandes plaines. Ce n’est pas un moment d’Histoire. C’est son histoire. Il est avec son auditoire mais il est surtout 3500 ans plus tôt avec son peuple. Il parle au présent. Il est l’ours du mythe. Il est làet 3500 ans plus tôt avec son peuple.

Dans un de ses derniers messages, il m’avait dit qu’il aimerait revenir dans les Pyrénées. Sa voix chaude et profonde me parle toujours dans un coin de ma tête et quand j’écoute le vent ; l’ écho de sa. voix continue de résonner dans les montagnes de Gavarnie comme « sur le chemin de la Montagne de Pluie  ». Ses pas et ceux de sa lumineuse épouse Barbara y restent inscrits.

Il s’interrogeait sur la pieuvre qu’il avait sauvée et dont il se demandait si elle se souvenait de lui. L’aigle qui volait au-dessus de sa voix àGavarnie en octobre 2007 se souvient-il ? Dans son dernier livre, Earth Keeper : Reflections on the American Land, il écrivait : « Quand on meurt, dit Dragonfly [ou Koik-hanhole, une vieille femme kiowa] nous allons dans les campements lointains. La mort n’est pas la fin de la vie. Il y a la vie dans les campements lointains. Les étoiles sont des feux dans les campements lointains  » (Momaday 2000. Ma traduction).

N. Scott Momaday est une grande voix dans la littérature mondiale, une voix puissante dans la défense des peuples amérindiens et un guide dans la préservation de la planète et de tous ses habitants.

Ses textes et ses mots continueront toujours de nous accompagner. Et quand nous regardons le ciel et les étoiles on peut redire comme il m’avait dit quand Barbara s’en était allée, que le poète kiowa et ses ancêtres, celle qui l’aimait et sa fille, dansent dans les étoiles. En regardant la Grande Ourse, c’est le mythe kiowa que je lirai toujours et j‘y verrai les sœurs de l’enfant ours qui aimait aussi les Pyrénées. De leurs sommets ou de leurs prairies, en regardant les étoiles, nous verrons des feux de camps où chantent les étoiles.

Françoise Besson

Bibliographie sélective :

Momaday, N. Scott. Earth Keeper : Reflections on the American Land. Harper, 2020.

—. Une maison faite d’aube. Traduction de Joë lle Rostkowski. Albin Michel, 2020. (House Made of Dawn, 1968). Une autre traduction avait été faite par Daniel Bismuth sous le titre La maison de l’aube, Éditions Gallimard, coll. « Folio  », 1996.

—. Again the Far Morning : New and Selected Poems. University of New Mexico Press. New Edition, 2013.

—. Three Plays : The Indolent Boys, Children of the Sun, the Moon in Two Windows, University of Oklahoma Press, 2007, 177 pages (ISBN 0806138289). Une de ces pièces, jouées pendant la saison 1993-1994, a été traduite en français : Les Enfants du soleil (Children of the Sun), traduit de l’américain par Danièle Laruelle, Éditions du Seuil, 2003, 80 pages.

—. In the Bear’s House, University of New Mexico Press, 2010 (1999), 96 pages.

—. L’homme fait de mots (The Man Made of Words : Essays, Stories, Passages, 1997), traduit de l’américain par Danièle Laruelle, Éditions du Rocher, coll. « Nuage rouge  », 1998, 256 pages.

—. L’enfant des temps oubliés, (The Ancient Child, 1989), traduit de l’américain par Danièle Laruelle, Éditions Gallimard, coll. « Folio  », 1998.

—. Le chemin de la montagne de pluie (The Way to Rainy Mountain, 1969), traduit de l’américain par Philippe Gaillard, illustré par le père de l’auteur Alfred Momaday, Éditions Gallimard, coll. « Folio  », 1997, 105 pages.

—. Circle of Wonder : A Native American Christmas Story. Clear Light Publishers, 1993.

—. In the Presence of the Sun : Stories and Poems, 1961-1991, illustré par l’auteur, University of New Mexico Press, 2009 (1992), 143 pages.

—. The Gourd Dancer : Poems, HarperCollins, 1976, 64 pages.

—. Les noms : Mémoires (The Names : A Memoir, 1976), traduit de l’américain par Danièle Laruelle, Éditions du Rocher, coll. « Nuage rouge  », 2001, 180 pages.

—. Angle of Geese and Other Poems, Godine, 1974.

Récompenses et honneurs :

Lauréat du prix Pulitzer, dans la catégorie « Å“uvres de fiction  », pour son roman House Made of Dawn6, 1969.

Médaille Frost décernée par la Poetry Society of America en l’honneur de l’ensemble de son Å“uvre, 2021

Prix Anisfield Wolf pour l’ensemble de son œuvre. 2018.

Docteur Honoris Causa d’une douzaine d’universités américaines et en 2003 Docteur Honoris Causa de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

Bibliographie critique sélective :

Ouvrages :

Garrait-Bourrier, Anne. N.Scott Momaday : l’Homme-Ours. voix et regards, collection "Littératures", PUBP, 2005.

Rigal-Cellard, Bernadette. N. Scott Momaday. House Made of Dawn. Didier Erudition, 1997.

—. (dir.). House Made of Dawn. N. Scott Momaday. Ellipses, 1997.

Schubnell, Matthias (ed.). Conversations with N. Scott Momaday. Jackson : University Press of Mississippi, 1997.
Woodard, Charles L. Voix ancestrale. Conversations avec N. Scott Momaday. Traduction de Daniel Lemoine (Ancestral Voice. Conversations with N. Scott Momaday, University of Nebraska Press, 1989). Editions du Rocher,. Coll. « Nuage Rouge  » 2020.

Interviews et ressources en ligne :

« N. Scott Momaday : Words From a Bear  ». https://www.youtube.com/watch?v=tyOJIrQvkZY

Festival Etonnants Voyageurs. https://www.etonnants-voyageurs.com/MOMADAY-Scott.html

« L’ours et moi  » par Laure Morali, 2007. https://www.etonnants-voyageurs.com/L-Ours-et-moi.html

« Vik Muniz et Scott Momaday pour la Journée Internationale pour la Diversité Biologique 2021  » https://www.unesco.org/fr/articles/vik-muniz-et-scott-momaday-pour-la-journee-internationale-pour-la-diversite-biologique-2021

Remise du prix « 2018 Anisfield Wolf Book Award Lifetime Achievement Winner  » https://www.babelio.com/auteur/N-Scott-Momaday/185978

« Un entretien avec N. Scott Momaday  » avait été réalisé par Christiane Fioupou et moi en 2020 et peut être vu sur Canal-U : https://www.canal-u.tv/chaines/ut2j/anglais/entretien-avec-n-scott-momaday

« A conversation with N. Scott Momaday. Writer’s Symposium by the Sea 2023  ». https://www.youtube.com/watch?v=2PA3PZqeIuc.

« N. Scott Momaday,Pulitzer Wining American Novelist, Dies at 89  ». https://www.nytimes.com/2024/01/29/books/n-scott-momaday-dead.html

Quelques articles de Françoise Besson sur N. Scott Momaday :

Besson, Françoise. “Nature’s Speech and Storytelling : The Voice of Wisdom in the Nonhuman†, in Dwellings of Enchantment, Bénédicte Meillon dir., Rowman and Littlefield, 2020, 67–84.

—. "Transfert botanique et rencontre des cultures méditerranéennes et atlantiques dans un récit de voyage de N. Scott Momaday en Espagne : "Granada : a Vision of the Unforeseen", Caliban n° 58, "Le pays méditerranéen en profondeur" / "The Mediterranean and its Hinterlands" (co-dirigé par Helen GOETHALS et Isabelle KELLER-PRIVAT), juin 2018, 357-372. (https://journals.openedition.org/caliban/5278)

—. "Real and Mythical Animals in N.Scott Momaday’s Work : Who Is at the Origin of First Narratives ?" in Françoise Besson, Claire Omhovère et Héliane Ventura. The Memory of Nature in Aboriginal, Ca-nadian and American Contexts, Newcastle Upon Tyne : Cambridge Scholars Publishing, 2014, 215-234.

—. "Arts and Crafts in N. Scott Momaday’s Novels", in European Review of Native American Studies, , Al-tenstadt, 18 : 2, 2004, 33-40.
—. " N. Scott Momaday as UNESCO Artist for Peace", European Review of Native American Studies, Al-tenstadt, 18 : 1, 2004, 62.
—. "N. Scott Momaday àToulouse", Ok’Oc Oklahoma Occitania n° 117, Février 2001.
- â€”. "The Doll, the Zodiac and the Deer of Lascaux : the Essence of the World in N. Scott Momaday’s Pictorial Language", European Review of Native American Studies, Altenstadt, 13 : 1, 1999, 35-46.
—. “Murs visibles et invisibles ou le paysage mémoire de House Made of Dawn de N. Scott Momaday†, in RIGAL-CELLARD, Bernadette (ed.). House Made of Dawn, N. Scott Momaday, coll. “CAPES / AGREGATION ANGLAIS, Réussir l’épreuve de littérature†, Paris : Ellipses, 1997, 101-114

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N. Scott Momaday àGavarnie. 7 octobre 2007. © Christiane Fioupou





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